La tentation du populisme

Accommodements raisonnables


Mario Dumont a raison, du moins sur la forme: la recherche des accommodements raisonnables tourne parfois au déraisonnable au Québec.
Mais ce n'est pas parce que l'on a raison sur la forme que l'on peut dire n'importe quoi sur le fond. Au contraire, les leaders politiques ont le devoir de faire preuve de prudence et de retenue quand ils jouent avec des éprouvettes aussi explosives dans le grand laboratoire social québécois.
Ils ont surtout le devoir de résister à la tentation du populisme, celle, justement, qui permet de déformer les faits, d'exacerber les problèmes et de dire n'importe quoi sur le fond. D'abord, commençons par le commencement, Mario Dumont confond compromis et accommodement.
Mais il est vrai que certains compromis sont déraisonnables et même carrément contreproductifs.
Quand un YMCA décide, par exemple, de givrer trois fenêtres pour que les passants ne voient plus de cuisses dénudées, ce n'est pas un accommodement raisonnable au sens légal du terme, c'est un compromis fait à quelques juifs hassidiques des alentours. Compromis déraisonnable parce qu'exagéré. Et contreproductif parce qu'au bout du compte, il fait plus de tort à la communauté hassidique qu'il la sert. En plus d'indisposer sérieusement bien du monde au Québec.
Il aurait été plus sage de la part des autorités du YMCA de refuser ce compromis en expliquant aux juifs hassidiques que cette solution allait se retourner contre eux. La situation est d'un ridicule consommé: il faudrait cacher quelques paires de cuisses de femmes en train de s'entraîner dans un centre sportif alors que, moins d'un kilomètre plus au nord sur la même avenue du Parc, les bars de danseuses peuvent décorer leur devanture d'images de femmes à poil, un droit qui leur a été reconnu par les tribunaux...
Quand la police de Mont-réal suggère aux femmes patrouilleurs de rester en retrait quand leur collègue masculin intercepte un juif orthodoxe, ce n'est pas de l'accommodement raisonnable, c'est un scrupule déraisonnable. Et contreproductif, parce que cela envoie un message contraire à ce que l'on cherche, précisément, en engageant plus de femmes dans la police.
Quand un CLSC décide de faire passer un individu devant les autres parce que sa religion exige qu'il soit revenu chez lui avant la nuit, c'est une décision ponctuelle, ce n'est pas une politique gouvernementale. Même chose quand un autre CLSC exclut les hommes des cours prénatals.
On a l'impression que ces cas se multiplient parce que c'est à la mode d'en faire tout un plat dans les médias, mais il s'agit, quoi qu'en dise Mario Dumont, d'exceptions, non de la norme. Ces exceptions, et leur récupération par le chef de l'ADQ, font oublier que derrière quelques compromis déraisonnables, la vie en société au Québec est régie quotidiennement par de très nombreux accommodements raisonnables qui fonctionnent très bien et ne dérangent personne.
C'est là où Mario Dumont vire au populisme: en généralisant quelques accrocs en grave problème menaçant l'identité québécoise. La stratégie sera probablement payante en région, où il y a peu ou pas d'immigrés et où l'ADQ recueille le plus d'appuis (le dernier CROP donne 8% des intentions de vote à l'ADQ à Montréal et 22% en province).
Les radio-gueulardes de la région de Québec feront sans doute écho à la nouvelle bataille de M. Dumont, comme elles ont appuyé son credo du "parti du vrai monde", mais cela ne fera qu'exciter les sentiments xénophobes. Les chroniqueurs démagos qui suggèrent à ceux qui ne partagent pas toutes les coutumes de la majorité de s'acheter un billet d'avion pour aller vivre ailleurs s'y retrouveront aussi.
En faisant de l'accommodement raisonnable le thème central de son congrès la fin de semaine dernière, Mario Dumont s'est placé volontairement sur la très fine ligne entre critique et démagogie.
Quand il attaque André Boisclair en disant qu'il "est curieux qu'un successeur de René Lévesque ne soit pas capable de relever le menton pour dire que les Québécois ont le droit d'exister", il traverse cette ligne en sous-entendant que seuls sont québécois les pure laine de la majorité.
Les risques de dérapage démagogique sont d'autant plus élevés pour Mario Dumont qu'il sait que ça passe ou ça casse pour son ADQ aux prochaines élections. Confiné à la marginalité depuis 1994, le parti de Mario Dumont va sombrer dans l'insignifiance s'il ne perce pas pour vrai au prochain scrutin. Les calculs électoraux faciles et l'urgence de survivre pourraient mener M. Dumont au populisme.
Le chef de l'ADQ promet un programme électoral avant Noël, question de prendre ses adversaires de vitesse (comme Stephen Harper l'a fait l'an dernier au fédéral). On verra si M. Dumont peut avancer des solutions constructives au délicat débat des relations avec les immigrés et les communautés culturelles ou s'il se contentera, comme il l'a fait la fin de semaine dernière, de se faire du capital politique en alimentant les peurs du "Nous" contre les "autres".
Le chef du PQ, André Boisclair, nous doit aussi quelques éclaircissements, lui qui a lancé dimanche qu'il voudrait bien dépoussiérer la Charte québécoise des droits pour qu'elle reflète mieux sa vision du multiculturalisme.
Ce n'est pas le genre de choses que l'on balance, comme ça, entre un canapé et un verre de vin.
C'est finalement le gouvernement Charest qui aura eu le plus de sagesse dans ce débat en mettant sur pied un comité pour étudier toute la question de l'accommodement raisonnable.
Discuter calmement, dans un contexte non partisan, d'un problème relativement mineur dans le grand portrait québécois vaudra certainement mieux que de prédire la disparition de l'identité québécoise devant ses militants à la veille d'une campagne électorale.


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