Cette année, le temps des Fêtes aura été indissociable des commentaires sur l'«accommodement raisonnable», source d'indignation dans les réunions de famille et de «Joyeux Noël» exagérément soulignés. Ces «accommodements», dénoncés avec plus ou moins de nuances, vont pourtant de pair avec un profond changement dans la structure démographique du Québec dont on ne parle pas assez.
C'est par les chiffres que le portrait du Québec se trace le mieux, et ceux très précis du bilan démographique annuel de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) font état d'un constat implacable: depuis 2001, c'est l'immigration plutôt que les naissances qui fait croître notre population.
Il est vrai qu'en 2006, le nombre de naissances a fortement augmenté, au point que les dernières prévisions les chiffraient à 80 000, avec peut-être même une pointe à 81 000 -- une situation que le Québec n'a pas connue depuis 1997. Mais dans le même temps, comme Le Devoir en faisait état le mois dernier, de plus en plus de parents de nouveaux-nés sont d'origine étrangère, une tendance amorcée depuis 20 ans.
En 1985, 86 % des naissances étaient le fait de deux parents nés au Canada, alors que dans 7 % des cas, ils provenaient tous deux de l'étranger -- situation qui ne variait pas par rapport aux années précédentes. Vingt ans plus tard, on en est à 75 % des deux parents qui sont nés ici contre 16 % qui sont tous deux immigrants (dans les autres cas, seul l'un des deux parents est né à l'étranger). À Montréal même, 51 % des mères des bébés de 2005 étaient nées en dehors du Canada.
Ce changement, nouveau pour le Québec, s'explique non seulement par le fait que les immigrants sont plus nombreux, mais aussi parce que leur fécondité est plus forte, leur proportion augmentant dès que l'on passe du deuxième au troisième ou quatrième enfant.
On ne peut, de ces seuls chiffres, tirer la conclusion que l'intégration ne se fera pas, mais il est clair que la société québécoise n'a pas fini d'être bousculée, moins en raison du nombre (l'Ontario et la Colombie-Britannique ont des proportions beaucoup plus fortes d'immigrants) que de la concentration de l'immigration, qui isole de plus en plus Montréal du reste du Québec. Ce phénomène participe d'une part au repli sur elles-mêmes des collectivités culturelles, et encourage d'autre part des critiques d'autant plus vives touchant leur mode de vie que bien des Québécois «de souche» n'en voient que la version tronquée donnée par les médias.
Pour que l'équilibre tienne, il faudra donc à la fois un souci d'ouverture aux autres, moins présent qu'on ne le croit (il n'y a qu'à scruter notre miroir collectif, le petit écran, pour s'en rendre compte), des stratégies de «mélange ethnique» pour que les gens se rencontrent, mais aussi une plus grande assurance dans l'affirmation des valeurs du Québec moderne.
L'irritation devant «l'accommodement raisonnable» et ses dérivés est dû en effet autant aux demandes qui sont faites à différentes institutions qu'aux réponses que celles-ci leur donnent. Il faut le dire, les Québécois sont «fins», prêts à rendre service sans toujours réfléchir à la portée de certaines décisions. Pourtant, les limites acceptables existent: l'égalité hommes-femmes en est une, la rareté des ressources, en santé par exemple, en est une autre. L'équilibre, ce serait aussi de se pencher plus sérieusement sur notre démographie et d'accepter de faire davantage pour aider tous les Québécois à aller au bout de leur désir (quasi unanimement présent, selon les études) d'enfants.
Science oblige, les démographes se montrent prudents quand ils observent une hausse de la fécondité comme celle de 2006. Difficile néanmoins de ne pas faire le lien entre des choix politiques d'une certaine ampleur et la décision d'enfanter. Au tournant des années 1990, le versement d'importantes allocations par le gouvernement libéral de l'époque avait accompagné une augmentation sensible de l'indice de fécondité. En 2006, la hausse du nombre de nouveaux-nés est concomitante à l'entrée en vigueur au Québec d'un congé de maternité bonifié: le Régime québécois d'assurance parentale. Il y a des coïncidences qui sont quand même troublantes!
Ce qui est sûr, c'est que ni pour l'immigration, ni pour la natalité, une seule mesure ne peut suffire. Pour changer les attitudes personnelles (et l'histoire racontée en page Idées par une jeune femme enceinte est éloquente), il faut créer un climat collectif, et que l'exemple vienne d'en haut, du politique. Les immigrants sont importants? Donnons-leur davantage de services pour les intégrer. Les enfants sont notre avenir? Aidons les parents avec plus d'argent, plus de rabais pour les familles, plus de congés. Et l'harmonie doit régner? Alors que les politiciens prennent enfin la parole à propos de ces accommodements qui font tant jaser.
jboileau@ledevoir.ca
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