NATIONALISME

La survivance tranquille d'un peuple apolitique

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Un peuple consensuel qui a préféré la survie culturelle plutôt que l'émancipation politique

Ce court texte sera légèrement différent des précédents à savoir qu’il apportera possiblement davantage de questionnements sur le sujet abordé que d’éclairage sur celui-ci. C’est du moins ce qui m’a traversé sans cesse l’esprit pendant l’écriture de la présente réflexion. Il sera beaucoup plus personnel également car vous conviendrez qu’il est quasi impossible de porter un regard complètement détaché de ses racines, de ses compatriotes, donc au final, de soi-même.


En espérant que vous puissiez y apporter aussi vos propres éléments de réponses et vos lumières à la suite de la lecture.




“On préfère subir l’histoire en s’y adaptant, plutôt que de la créer.”


Pierre Vadeboncoeur, écrivain québécois




J’ai longtemps réfléchi sur le sort de mon peuple. Quand je fais un effort conscient de l’observer de l’extérieur, comme un étranger le ferait, je reste bien souvent sur ma faim. Je suis trop souvent déçu de sa nature complaisante, de son manque d’ambition politique, de son absence de rigueur, de son côté bon enfant voire même bonasse. De son obsession du présent, de sa mémoire sélective malgré sa devise “Je me souviens” et de sa facilité à rejeter toute confrontation intellectuelle. Certains diront que ça fait partie de son charme, d’autres avanceront que ça le condamne à sa disparition. Peu importe. Ce qui me semble clair par contre, c’est que ça fait partie de son ADN et qu’il faut en prendre acte.


Et pourtant…


D’une poignée de Français dans la vallée du Saint-Laurent au début du 17e siècle jusqu’aux Québécois d’aujourd’hui plus de 400 ans plus tard, ce peuple, peu ou pas instruit pour la majeure partie de son histoire et peu enclin à la chose politique, demeure bien vivant malgré tout; du moins au sens linguistique et culturel. On se rappelle qu’un Alexis de Tocqueville en visite au Bas-Canada plus de 70 ans après la défaite de 1759, était même resté surpris d’entendre encore sa langue dans ce coin de pays. Alors imaginez sa surprise s’il pouvait y remettre les pieds au 21e siècle. Quand on parcours les régions du Québec, on ne ressent ni résignation ni amertume lié à son statut précaire. Les gens vivent en relative quiétude avec une assurance tranquille.


On peut débattre en long et en large de sa vitalité politique actuelle, de son avenir démographique au siècle prochain - et dieu sait que la liste d’observateurs lanceurs d’alerte à ce sujet est longue - n’empêche que le Québec d’aujourd’hui demeure malgré tout une entité nationale cohérente et perpétue encore plusieurs des mœurs d’origine du peuple naissant de l’époque de la Nouvelle-France.


Décrivant une partie de ces premiers colons Français qui ont fait le choix de faire la grande traversée vers le nouveau monde au 17e siècle, les portraits de Serge Bouchard sur ces oubliés de l’histoire de l’Amérique française nous plongent directement dans les motivations, les intentions ainsi que le jeu d’alliances, de métissage, d’immersions dans la culture amérindienne de la part de ces hommes venus refaire leur vie sur ce contient.


Sur les aventures et les voyages d’un certain Étienne Brûlé, un des premiers truchements (ou traducteurs au sein des premières nations), Bouchard écrit:



“ Il est d’ailleurs le premier Blanc à vivre en permanence auprès d’une communauté autochtone, à pêcher, chasser, courir les bois comme un véritable Amérindien. À sa suite viendront des générations d’”ensauvagés”, ainsi que les surnommeront plus tard, non sans mépris, les missionnaires.


On le verra au cours des siècles: il est plus invitant pour les Français de s’indianiser que pour les Indiens de se laisser civiliser, évangéliser, assimiler au mode de vie européen.”


Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, 2014







Voilà une citation qui synthétise en peu de mots les valeurs qui ont largement caractérisées le premier siècle de colonisation à la française où ces nouveaux arrivants ont exploré de vastes territoires en Amérique du Nord, ont forgé des alliances stratégiques avec Montagnais (Innus), Hurons, Algonquiens, ont positionnés des postes de traite en fonction de leurs besoins et ce, avec une très faible population comparativement aux colonies britanniques. Ce mode de vie en évolution, né de la cohabitation des premiers colons Français avec les Amérindiens, caractérise toujours jusqu’à un certain point notre vision du monde plusieurs siècles plus tard; de notre relation particulière avec la nature et le territoire jusqu’à notre gestion gouvernementale par consensus qui s’apparente, à mon sens du moins, plus aux traditions autochtones qu’aux systèmes politiques classiques à l’européenne.


Bref, on n’a jamais vraiment discuté de philosophie politique dans notre coin de pays contrairement aux pères fondateurs des États-Unis. Notre culture n’a pas généré de James Madison, John Adams ou Alexander Hamilton. On ne valorise pas autant les valeurs protestantes d’implication politique, de compréhension des institutions civiques, de valorisation de l’apprentissage et des connaissances, et j’en passe. Que voulez-vous, c’est pénible à admettre de nos jours mais ça demeure une des différences fondamentales entre les valeurs sous-jacentes à l’établissement de la Nouvelle-France et celles des premières colonies britanniques de la côte est américaine, notamment par les Puritains (Pilgrims) dans le nord-est.


Ce manque flagrant d’intérêt pour le chose politique semble être le fil conducteur du psyché de la nation; un état d’esprit qui aurait dû, en d’autres lieux, signé l’arrêt de mort ou du moins une décadence plus rapide de la nation. Après tout, de nombreux peuples ont été assimilés au sein d’ensembles politiques plus fort culturellement et politiquement. C’est le propre de l’évolution des sociétés humaines.


Un siècle et demi après la fondation de Québec et suite à la conquête de 1759 par les forces britanniques, les Canadiens Français ont adopté (ou poursuivi) un mode de vie qui a toute les caractéristiques d’une "survivance silencieuse”. Une survivance qui s’est avérée fructueuse sur le long terme.


À ce sujet, Christian Dufour, politologue et fin observateur de la culture politique québécoise, écrit:



“Tout d’abord, les Habitants restent silencieux, passifs. La situation individuelle de certains d’entre eux s’est améliorée depuis le régime français; le sort d’une nation qui n’existe pas encore n’est pas leur responsabilité. Mais ils sont là, pour l’essentiel spectateurs de leur destinée collective. Cette inertie est d’ailleurs plus une force qu’elle n’y paraît au premier abord, car elle est adaptée à une situation sans issue. Se révolter aurait probablement été proprement suicidaire; s’assimiler était impensable, ou plus prosaïquement impossible.”


Christian Dufour, Le défi québécois, 1989






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Ce peuple apolitique que nous sommes, n’ayant aucun véritable “ressort” et aucun outil pour exiger, militairement ou diplomatiquement, l’implantation de son propre régime politique, a toujours su par contre développer une capacité collective, difficile à cerner par ailleurs, pour sauvegarder sa langue, l’occupation du territoire, sa société civile. On négocie, on revendique, on menace, on fait des compromis, on se fait petit mais sans jamais prendre la totalité des responsabilités. En autant que notre mode de vie demeure inchangé dans notre quotidien, le reste ne semble pas avoir d’importance.


Outre les quelques éclats d’affirmation nationale ici et là de nature politique au cours de son histoire, le Québec donne l’impression de se “laisser vivre” depuis plus de quatre siècles maintenant, avec un fond d’insouciance. Pour le Québécois, il n’y a pas de sens tragique dans l’histoire, comme s’il savait profondément qu’il est à l’abri de tous ces tracas. Bien sûr, il a connu des épisodes un peu plus revendicateur au fil des siècles mais il manquait toujours une conviction certaine pour faire basculer le cours de l’histoire. Les défaites sont multiples et les victoires peu nombreuses. Que le territoire québécois abrite toujours une culture francophone vibrante, relativement importante sur le plan démographique, tient carrément du miracle dans l’histoire des peuples.


Après tout, les Irlandais ont obtenu leur indépendance depuis un siècle maintenant mais leur langue maternelle, le Gaelic, survit de manière folklorique à présent. Comment peut-on expliquer la présence de ces Canadiens-Français malgré les nombreux revers, le vent de face, la position minoritaire, la fuite graduelle d’un certain poids démographique ainsi que les tentatives délibérées du régime britannique d’assimiler ce peuple qui, dois-je le rappeler, n’avait en ces rangs seulement 65 000 individus sur le territoire au moment de la conquête au milieu du 18e siècle ?


Et si c’était justement ça le secret derrière notre survie, notre survivance tranquille.


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Des figures importantes dans l’histoire du Québec ont tenté de brasser la cage afin de convaincre la masse d’exiger leur indépendance et de prendre les moyens nécessaire à une réelle souveraineté. Certaines de ces figures étaient d’ordre religieux comme un Lionel Groulx. D’autres des cercles purement politiques, tel un René Lévesque. Depuis des décennies, de nombreux historiens, politiciens, et simples observateurs de la vie publique québécoise s’interroge sur le destin politique du Québec. Jacques Parizeau, ancien Premier Ministre, a prétendu jusqu’à sa mort que l’indépendance était la suite logique de son histoire. Et pourtant, nous n’y sommes toujours pas et tout porte à croire que nous y serons probablement jamais. Nos voisins sur le continent vont sans doute s’en charger à notre place (comme d’habitude) et nous subirons probablement (malgré nous) un éventuel recadrage politique.


Au sein de la culture au sens large, les exemples de figures publiques qui ont tenté de brasser la cage sont nombreux également mais un homme a particulièrement marqué les esprits par son franc parler et sa passion. Pierre Falardeau, cinéaste et militant pour l’indépendance, a jusqu’à sa mort lui aussi tenté de sortir ses compatriotes de leur torpeur, selon ses dires, mais sans réel succès (sauf pour une frange de la population déjà convaincu). Encore une fois, il m’apparaît clairement que les Québécois ne sont simplement pas intéressé par la chose politique. Leur existence et identité n’est de toute évidence pas étroitement lié à un projet politique.


Ci-dessous un extrait représentatif de la pensée de Falardeau, qui pensait à travers ses textes et ses films, faire bouger les esprits:



“ Mais pour vaincre, il faut d’abord comprendre. Nous sommes avant tout désarmés dans nos cerveaux. Notre pire ennemi, c’est notre ignorance. Penser d’abord. Organiser ensuite.


Lisez ce livre (Les Habits rouges et les Patriotes). Vous verrez que les choses n’ont changé qu’en surface: fondamentalement la situation est la même. L’histoire c’était hier. Mais c’est aussi aujourd’hui. Et c’est surtout demain.”


Pierre Falardeau, Les boeufs sont lents mais la terre est patiente, 1999






L’état d’esprit d’un Falardeau reflète assez bien la lutte menée par certains Canadiens, Canadiens-Français ou Québécois (selon l’époque) pour allumer cette flamme "politique” et ce sens tragique de l’histoire au sein de la collectivité mais, soyons lucides, avec un succès mitigé.


L’historien Marcel Tessier a longtemps affirmé que si les Québécois connaissaient leur histoire, il ferait l’indépendance. Je n’en suis pas convaincu. Dans les faits, on s’est dit “NON” deux fois sur l’indépendance en seulement quinze ans, et de manière démocratique en plus. Sans doute l’acceptation d’une telle proposition aurait demandé trop d’efforts, trop de responsabilités à prendre sur nos épaules. Ce peuple n’est pas motivé à la base par la chose politique, ça me semble une évidence. On se complaît depuis longtemps dans un état administratif qui n’est jamais complètement le nôtre et ça nous convient (faut croire).


Mais ce peuple, avec autant de défaites dans son histoire et si peu de force politique, a tout de même maintenu une position enviable au niveau culturel, une occupation impressionnante de son large territoire malgré une faible population, une gestion entière de son système d’éducation et une faune artistique capable de générer plus de productions musicales, télévisuels, théâtrales, littéraires et cinématographiques per capita que des nations comparables.


Et si les Québécois avaient eu instinctivement raison tout ce temps ? Comment expliquer autrement notre survivance en tant que peuple depuis plus de quatre siècles ? Nos défaites sont multiples mais la défaite ultime ou fatale n’est jamais venue. Faut dire que nous ne l’avons jamais vraiment provoqué, ce combat ultime qui aurait pu sceller l’issu de notre peuple.


Pour le siècle à venir, sans doute que la survie du Québec tel qu’on le connaît aujourd’hui passera par cette survivance tranquille. Peut-être que le génie (sic) de la survivance à la québécoise en est une d’affirmation purement et simplement culturelle, de rapports de force basés non pas uniquement sur une indépendance politique mais d’affirmation nationale assumée; du droit à pratiquer sa religion hier aux balises linguistiques d’aujourd’hui en passant par son code civil propre. Peut-être avons-nous développé à notre insu ce mode de gestion politique “dégradé” avec nos voisins et auquel nous en soutirons suffisamment de paix d’esprit pour être confortable collectivement.


Cette courte réflexion, vous l’aurez deviné, est incomplète, inachevée et sera confrontée à des visions opposées. Ce qui demeure vital par contre, c’est la nécessité de s’en parler.


Gaston Miron, poète québécois, disait que tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire.


Aujourd’hui, avec le recul de plus de 400 ans d’histoire, mon sentiment est le suivant: si indépendance il devait y avoir, elle serait déjà faite.