Louise Mailloux, professeure de philosophie
Allocution présentée au Colloque sur la laïcité, UQAM, 22 janvier 2010.
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Il me fait grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour présenter le
point de vue de notre "Collectif citoyen sur l’égalité et la laïcité" sur la
place de la religion dans l’espace public. Et je tiens à remercier toute
l’équipe de la revue À Bâbord pour l’organisation de ce colloque qui
contribue favorablement au nécessaire débat sur la laïcité.
S’il est une question importante dans la préservation de nos institutions
publiques et qui passionne les Québécois depuis quelques temps, c’est bien
celle de la laïcité. Peut-être même plus que la langue et l’indépendance,
celle-ci est devenue un sujet brûlant qui nous préoccupe au plus haut
point. Nous avons cru à tort que la religion était derrière nous. Mais
aujourd’hui, nous devons à nouveau la regarder en face.
Les religions ont toujours eu des visées théocratiques et totalitaires et
elles ont toujours combattu la démocratie, l’Universalité des Droits de
l’Homme, la liberté de conscience et l’égalité des sexes. C’est d’ailleurs
en combattant les religions que ces valeurs ont pu devenir notre héritage
le plus précieux. L’ironie veut qu’aujourd’hui ces mêmes valeurs servent
ceux qui hier les combattaient et que par un curieux renversement des
choses, la démocratie et la liberté de conscience se retrouvent dans la
bouche de ceux qui souhaitent redonner aux religions une légitimité dans
l’espace public.
S’appuyant sur le principe de laïcité qui suppose la séparation de
l’Église et de l’État, nos sociétés modernes ont pu contenir jusqu’ici les
ambitions hégémoniques des religions en les cantonnant dans la sphère
privée. Ce qui a permis aux femmes d’être autre chose que la reine du
foyer. Les religions n’ont jamais digéré d’être confinées à l’espace privé,
pas plus qu’elles n’ont accepté l’émancipation des femmes. De sorte que la
résurgence et la persistance du religieux dans nos sociétés doivent être
comprises comme une tentative politique pour les religions de vouloir
reconquérir l’espace public et contrer la révolution féministe.
Ne nous laissons pas distraire par l’argument d’un regain de ferveur
spirituelle qui viendrait combler un vide moral et existentiel produit par
nos sociétés modernes, pas plus que par celui d’un retour à la pudeur
(toujours féminine, bien sûr) pour contrecarrer l’hypersexualisation des
filles de même que par celui d’un besoin d’affirmation identitaire dont le
religieux serait une composante incontournable.
Ce retour du religieux, qui vient cogner aux portes de nos institutions
publiques ou privées, n’est pas propre au Québec, et il doit être envisagé
dans un contexte international où les fondamentalismes religieux,
particulièrement celui de l’islam radical, exercent des pressions et des
menaces éhontées sur les institutions de l’ONU et y mènent une offensive
soutenue et concerté. C’est dans cette perspective plus globale qu’il faut
envisager la laïcité au Québec et pour bien en cerner les enjeux, il
conviendrait de changer de langage et d’arrêter de parler «d’ouverture à
l’autre» comme si nous étions dans le petit Prince de St-Exupéry.
L’islamisme politique n’est pas un club de boys scouts. C’est un mouvement
intégriste politico-religieux qui s’attaque au fondement même de la
démocratie en faisant la promotion d’une idéologie violente, sexiste,
raciste et homophobe. Parmi «l’autre», il y a, au Québec, des femmes et des
hommes qui sont des militants islamistes et qui défendent des valeurs
rétrogrades contraires à celles que nous estimons. Comment se fait-il que
Québec solidaire, notre élite de gauche, ne voit rien de cela et n’en parle
jamais? Québec solidaire nous parle du voile des sumériennes d’il y a 4000
mille ans mais il tait celui de Khomeiny qui date de 30 ans seulement et
qui, partout dans le monde, est l’étendard de l’islam radical. C’est quoi
l’affaire? On dirait que Québec solidaire n’a qu’un rétroviseur et qu’il
n’a pas de pare-brise! Mais il faut regarder en avant, surtout lorsqu’on se
présente comme le parti de l’avenir.
Au CCIEL, la laïcité que nous défendons est celle de la complète
neutralité de l’État et de ses représentants. Cela signifie que tous les
employés de l’État qui actuellement sont tenus à un strict devoir de
réserve pour ce qui est de leurs opinions politiques doivent être tenus aux
mêmes obligations pour ce qui est de leurs opinions religieuses. En
conséquence, ils ne doivent pas arborer de signes religieux ostentatoires
dans l’exercice de leurs fonctions. En clair, cela veut dire pas de voile,
pas de croix, pas de kippa, pas de turban, ni de kirpan dans nos
institutions et services publics québécois.
Vouloir vivre dans un Québec laïque, ce n’est pas simplement vouloir
vivre dans un Québec d’où on aurait décroché le crucifix de l’Assemblée
nationale et mis fin aux prières des assemblées municipales. Vouloir vivre
dans un Québec laïque, c’est aussi avoir le courage de dire non à tous les
signes religieux, y compris au hidjab et à l’intégrisme politico-religieux
dont il est l’emblème.
La liberté de conscience qui est garantie par la laïcité est une liberté
qui permet à tous de choisir ou non une option religieuse ou humaniste,
d’en changer ou d’y renoncer. Cela n’autorise absolument pas les religions
à envahir les institutions publiques.
Une laïcité ouverte aux religions dans nos institutions publiques, ce
n’est pas de la laïcité. C’est un cheval de Troie qui nous ramène par la
porte de derrière ce que nous avons sorti par la porte d’en avant.
Une laïcité ouverte, nous disent ses défenseurs, c’est une laïcité où
l’État est neutre mais pas les individus, qui eux, évidemment, profitent de
l’ouverture. Ce n’est pas pour rien que c’est le modèle préféré des
intégristes.
Vous n’êtes pas sûr de bien comprendre? Alors entrez dans une école
primaire, dans une salle de classe dont on a retiré le crucifix du mur avec
une enseignante portant le hidjab et des élèves, des filles de 10 ans
portant le hidjab aux couleurs de l’uniforme de l’école et des garçons
portant le turban et le kirpan. Ça c’est la laïcité ouverte telle que
recommandée par le rapport Bouchard-Taylor.
Voilà pour l’ouverture. Grande comme des portes de grange. Bienvenue les
religions, dégréiez-vous mais entrez-donc! On l’as-tu l’hospitalité depuis
l’Expo 67! Une laïcité où les murs doivent être laïques mais pas les
individus! Parce que l’État, ça va de soi, ce sont les murs, la brique, les
statues et le chauffage qui doivent s’astreindre au devoir de réserve. De
la brique, comme neutralité, c’est béton! Alors que les individus sont
invités à l’affirmation multiconfessionnelle qui s’inscrit directement dans
la logique du multiculturalisme canadien. On peut comprendre que les
Québécois soient en colère, après tous les efforts qu’ils ont mis pour
déconfessionnaliser leurs écoles.
La laïcité ouverte, c’est une arnaque pour semer la confusion et affaiblir
la laïcité. C’est une position anti-laïque qui ne vise qu’à permettre aux
religions de retrouver une légitimité dans nos institutions publiques.
Et nous avons parmi nos intellectuels, des spécialistes de ces pirouettes
conceptuelles. Confortablement installés dans nos universités québécoises,
agissant comme conseillers à la commission B-T, de même que celle des
droits de la personne et de la jeunesse qui fait actuellement la pluie et
le beau temps en matière d’accommodements religieux, ces universitaires
abonnés au multiculturalisme conseillent tous ceux qui achètent leurs
arguments. Pour Québec solidaire comme pour le parti Libéral, ces
spécialistes de l’ouverture aux religions sont au travail depuis un bon
bout de temps. Un cours d’Éthique et de Culture Religieuse pour formater
l’esprit des tout-petits et un beau symposium pour les plus grands! Pour
nous expliquer ce que l’on n’a pas compris, comme si les Québécois ne
savaient pas ce qu’ils voulaient.
Et tout cela, aux frais de la princesse, pendant que les contribuables,
les syndicats, le Conseil du Statut de la Femme et les partis d’opposition
réclament une Charte de la laïcité, d’inspiration française, qui définirait
clairement les droits et les devoirs de chacun dans les institutions
publiques, une Charte dans laquelle le port de signes religieux serait
interdit pour les agents de l’État et où aucun accommodement religieux ne
remettrait en question le statut des femmes. La grande majorité des
Québécois ne veulent pas d’une telle ouverture aux religions. Allons-nous
devoir organiser nous aussi un symposium pour leur expliquer cela?
Les accommodements religieux consentis jusqu’à maintenant ont provoqué
avec raison la grogne des Québécois parce que bon nombre d’entre eux
remettaient en question le statut des femmes, heurtant ainsi de front l’une
des valeurs les plus fondamentales de notre identité. Rappelons-nous
l’automne dernier, l’épisode de la SAAQ, où notre Collectif a révélé aux
médias les accommodements sexistes consentis pour des motifs religieux par
la Société d’assurance automobile du Québec à des juifs hassidiques et des
femmes musulmanes qui refusent la mixité dans l’espace public. Parce
qu’entre la femme et l’homme se faufile toujours le diable. Mettez-vous des
gants, un voile ou mieux, mettez-vous en ligne et demandez un
accommodement!
S’il existe une universalité entre toutes les religions, c’est bien celle
du mépris partagé à l’égard des femmes. Femmes au corps second, au corps
raté, au corps impur, au corps sensuel et menaçant que l’on doit tenir à
l’écart de la vie publique qui n’appartient qu’aux hommes, au point
d’enfermer leurs femmes sous le voile lorsqu’elles vont au dépanneur ou à
l’université.
Sur ce refus de la mixité et dans le but de protéger l’égalité des femmes
et des hommes, la position de notre Collectif est que les usagers des
services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni
exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un
équipement public pour des motifs religieux.
Au Québec, les hommes et les femmes vivent et travaillent ensemble et sont
considérés comme des partenaires égaux. Et nous sommes assez grands pour
faire cela tous seuls, sans que le diable ou le bon dieu s’en mêlent.
Concernant les signes religieux, l’offensive vient surtout du voile. C’est
la raison pour laquelle au printemps dernier des militantes de Présence
musulmane ont décidé de rejoindre leurs sœurs de la Fédération des Femmes
du Québec alors que celles-ci devaient prendre position sur cette question.
Plus que la soutane et les cornettes que nos religieux ont abandonnées depuis
Vatican II, c’est le voile qui est au cœur de toutes les controverses. Et
il en est ainsi dans le monde entier, y compris dans les pays musulmans.
Parce qu’il est l’emblème politique le plus manifeste d’une idéologie
sexiste et totalitaire qui veut imposer sa loi religieuse, la charia, qui
consacre l’inégalité entre les hommes et les femmes de même qu’entre le
musulman et le non-musulman.
Ce voile que l’on ne fait porter qu’aux femmes est tout, sauf neutre.
Symbole sexiste par excellence, il viole la neutralité des institutions
publiques. Et le fait que certaines femmes le portent de leur plein gré ne
légitime pas pour autant l’État québécois à cautionner pareille aliénation.
Quel message, pensez-vous, qu’une enseignante voilée envoie à ses élèves,
en particulier aux petites filles? «Maman, pourquoi les filles doivent
cacher leurs cheveux et pas les garçons?» Ceci se passe aujourd’hui dans un
Québec, qui il y a quarante ans, a travaillé très fort pour désexualiser
les rôles sociaux et faire disparaître des manuels scolaires les
stéréotypes sexuels. Va-t-on tourner le dos si facilement aux acquis du
féminisme et renier les efforts de milliers de québécois et de
québécoises?
Contrairement à ce que prétend Québec solidaire, un État laïque qui
interdit le voile ne légifère pas sur le corps des femmes mais sur le port
de signes religieux ostentatoires afin de préserver la neutralité de ses
institutions.
Mais que dire, par exemple, des petites filles de 7 et 8 ans qui portent
le voile? Que c’est leur choix d’être marquée ainsi à cause de leur sexe?
Québec solidaire et la Fédération des Femmes du Québec sont contre
l’obligation du port du voile mais rien que sur le terrain des idées.
«Débrouillez-vous les filles, nous on est juste pour les idées!» La gauche
parfaite, vertueuse, qui interdit d’interdire. J’aimerais bien qu’ils nous
expliquent comment on peut être contre l’obligation si on est en même temps
contre l’interdiction. Une chose et son contraire. Le ciel et l’enfer en
même temps.
Une telle position est d’une incroyable incohérence car quels moyens
concrets offrir à ces jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile si
on ne l’interdit nulle part? Puisque l’école tolère le voile, ces filles
n’ont donc aucune raison de refuser de le porter et se retrouvent ainsi à
la merci des pressions familiales et communautaires. Alors qu’il faudrait
les appuyer et donner aussi des armes à tous les parents musulmans qui
haïssent les intégristes. Abandonner les jeunes musulmanes à partir de
l’âge de sept ans, est-ce ainsi que Québec solidaire et la Fédération des
Femmes du Québec entendent se porter à la défense de toutes les femmes?
La position de notre Collectif est que l’État doit interdire aux élèves
des écoles publiques primaires et secondaires tout port de signes religieux
ostentatoires. Parce que l’école laïque doit être le lieu d’une mise à
distance des ancrages familiaux, un espace neutre, un lieu de rassemblement
où les jeunes font l’apprentissage de la citoyenneté et des valeurs
communes qui définissent notre identité. Ceci ne peut se faire qu’en
dépassant les particularismes religieux qui isolent et divisent.
Seule une telle position peut protéger les jeunes filles musulmanes de la
stigmatisation de leur sexe et leur donner un appui concret parce que rien
ne les prédestine à devoir vivre dès leur enfance en cachant leurs bras,
leurs jambes et leurs cheveux.
Et pour dissiper tout malentendu sur les accusations de racisme et de
xénophobie que nous avons très bien entendu, j’ajouterais ceci : le racisme
véritable, c’est d’accepter pour l’autre ce que l’on refuserait pour
soi-même. Si l’enjeu était plutôt de voiler des petites québécoises de
souche, jamais notre ministre libéral de la condition féminine, Québec
solidaire et la Fédération des Femmes du Québec ne défendraient la même
position.
Quant aux accusations d’intégrisme laïque dont les défenseurs de la
laïcité font régulièrement les frais de la part des partisans de la laïcité
ouverte, je dirais qu’il n’y a pas d’intégriste dans notre Collectif
citoyen. Ni dedans, ni autour. En revanche, il y a des femmes musulmanes
qui sont féministes, laïques et progressistes, je pense notamment à ma
collègue Djemila Benhabib et d’autres, qui ont goûté à la médecine des
islamistes, et qui travaillent d’arrache-pied à nous mettre en garde contre
ces fous d’Allah. Je me permets de citer Djemila : « La bataille contre le
voile islamique n’est que le début d’une guerre ouverte contre les
intégristes, dont l’issue dépendra de notre capacité à le disqualifier des
institutions publiques, y compris l’école.» Ce sont ces femmes-là que nous
devons écouter et qui méritent notre appui, ces femmes musulmanes qui
partagent nos valeurs et qui ont choisi le Québec pour y vivre en femmes
libres, ces femmes dont je salue aujourd’hui bien haut le courage et la
détermination.
Au lieu d’accuser les militants laïques d’intégrisme, les défenseurs de la
laïcité ouverte feraient mieux de regarder ceux et celles qui bourdonnent
autour d’eux parce que ce n’est pas nous qu’il faut éradiquer mais plutôt
les intégristes religieux.
Quand la gauche se retrouve solidaire du parti libéral en défendant les
mêmes positions que celui-ci, le message ne peut être plus clair. C’est
qu’elle a abandonné le combat laïque en même temps que les aspirations
légitimes des Québécois.
Il y a quelques années, le Québec déconfessionnalisait ses écoles,
amorçant ainsi un processus de laïcisation. Il est temps maintenant d’aller
de l’avant dans la préservation de nos droits, notamment celui de l’égalité
entre les femmes et les hommes, qui ne peut être garanti que par la
laïcité. Le temps est maintenant venu de parachever notre cheminement
collectif en nous dotant d’une Charte de la laïcité et de consolider comme
nous l’avons déjà fait avec notre langue, les valeurs fondamentales
auxquelles nous sommes profondément attachés comme peuple.
Et même si aujourd’hui l’intégrisme religieux cogne aux portes de nos
institutions publiques, la religion aura dans notre société la place que
nous voudrons bien lui donner. Parce que c’est à nous de décider
collectivement du Québec dans lequel nous voulons vivre. Cet avenir-là nous
appartient.
Montréal, 22 janvier 2010
Louise Mailloux
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
La religion dans l'espace public
Allocution présentée au Colloque sur la laïcité, UQAM, 22 janvier 2010
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