Les coprésidents de la Commission sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles ont livré hier les résultats de leurs travaux. Des milliers de Québécois de toutes origines ont participé aux audiences publiques et se sont exprimés le plus souvent avec la plus grande sincérité sur les enjeux que soulève la question des accommodements raisonnables.
Nous avons vu les coprésidents les écouter avec la plus grande attention. Nous sommes aujourd'hui en mesure de voir ce qu'ils ont retenu de ces centaines de témoignages. Or, il me semble qu'assez curieusement on aura choisi de mettre au second plan ce qui a pourtant dominé l'essentiel de ce qu'ont exprimé tous ces participants.
De ville en ville et de témoignage en témoignage, nous avons entendu sous diverses formes le même plaidoyer en faveur de la reconnaissance des droits légitimes de la majorité francophone de voir ses valeurs et son patrimoine culturel respectés. Cette posture a été tout au long des audiences celle du «oui mais». Ce que de nombreux Québécois ont voulu dire par là, c'est tout simplement qu'ils sont ouverts à l'immigration, disposés à vivre au contact de différentes cultures, ils respectent et admirent le courage de ces néo-Québécois qui ont voulu refaire leur vie ici et au prix de sacrifices souvent immenses. Ils ont voulu dire aussi qu'ils considèrent l'apport de l'immigration comme un enrichissement pour le Québec. Seulement, et c'est bien là le fil conducteur de toutes ces interventions, ils n'ont cessé de dire que la majorité francophone ne devait pas pour autant s'effacer dans cet effort d'ouverture aux autres.
Par ailleurs, de nombreux néo-Québécois sont venus exprimer leur attachement au Québec et leur volonté d'y inscrire leurs espoirs dans le respect de ce que l'histoire a légué en terme de valeurs, de traits culturels, et en particulier la langue française. Je vois, pour ma part, dans cette ouverture manifestée par les Québécois de souche vis-à-vis des nouveaux arrivants et dans la sympathie qu'ont exprimée plusieurs néo-Québécois envers leur société d'accueil le signe le plus encourageant d'un possible rassemblement de toute la société québécoise autour de la majorité francophone.
Pourtant, il me semble à la lecture du rapport que l'un des acteurs de cette rencontre est en quelque sorte dans l'ombre de l'autre. Il me semble que les Québécois issus de la majorité francophone représentent dans ce rapport une entrave à la construction d'un vivre-ensemble harmonieux plutôt que le pôle de rassemblement de la diversité québécoise.
Un malaise
La majorité franco-québécoise n'est pas pour autant absente des préoccupations du rapport. Non plus que sa volonté d'affirmation d'elle-même. Quel est alors le malaise diffus que ressent le lecteur de ce rapport par ailleurs déjà largement convaincu de la nécessité de cultiver les valeurs d'ouverture qui y sont promues? Il tient, je crois, dans le fait que cette volonté d'affirmation de la culture fondatrice, ce désir de voir respecter le patrimoine culturel du Québec, le rapport les pose toujours dans la perspective du malaise identitaire ou encore de l'insécurité collective. La thèse consistant alors en ceci qu'il y a eu crise parce que ce malaise ou cette insécurité ont eu pour effet de magnifier des événements dont la portée était toute relative.
Mais c'est là, à bien y regarder une étrange manière de poser la question identitaire québécoise. Ce qui se trouve marginalisé de la sorte, c'est le fait que cette culture fondatrice et la communauté d'histoire qui la porte, avec tous ceux qui, de divers horizons, se sont joints à elle au cours de sa longue histoire, ne constituent pas seulement l'arrière-plan de la crise des accommodements. Elle est le coeur de ce qui fait le Québec contemporain. Cette majorité francophone, qui appelle le rassemblement de tous autour d'elle, aurait dû être présentée, et cela, dès le premier chapitre du rapport, en tant que communauté d'histoire poursuivant légitimement un projet d'affirmation culturel et politique. Il aurait fallu faire droit à l'existence de cette majorité et à son long parcours historique, celui à travers lequel elle fait longtemps l'unité à vouloir survivre à sa condition minoritaire, alors qu'elle cherche maintenant à s'émanciper.
En d'autres mots, le rapport aurait dû se porter à la rencontre des inquiétudes identitaires non pas seulement pour les considérer comme matière explosive, mais pour y reconnaître la traduction du légitime désir de la majorité francophone de former le coeur de la nation. Le rapport choisit plutôt de présenter la société québécoise comme rencontre d'identités se fécondant les unes les autres alors qu'aucune ne doit prétendre à la prééminence.
L'enjeu, les coprésidents l'avaient bien circonscrit au départ, porte sur le vivre-ensemble québécois. L'appel à l'ouverture et à la réciprocité qu'ils lancent aux Québécois est nécessaire en contexte pluraliste. Ces valeurs qu'ils nous appellent à cultiver ne nous sont pas étrangères, mais leur observance ne nécessite pas que soit occulté l'existence d'un désir majoritaire de voir le vivre-ensemble québécois se fonder sur une majorité historique qui ne demande qu'à s'ouvrir pour peu qu'on lui reconnaisse en retour le droit de prolonger dans le Québec d'aujourd'hui une certaine manière d'être au monde hérité de quatre siècles d'histoire.
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Jacques Beauchemin
L'auteur est professeur titulaire au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal. Il a été associé à la conception du projet de loi du Parti québécois sur l'identité québécoise.
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