Le premier ministre François Legault commence visiblement à être agacé par le refus de Justin Trudeau de répondre clairement à ses demandes. Cela devrait surtout l’inquiéter. Si M. Trudeau a été moins catégorique qu’au printemps dernier au sujet de la déclaration de revenus unique administrée par Québec, les objections soulevées n’ont pas donné l’impression que la réflexion avait beaucoup évolué à Ottawa.
Entre les intérêts électoraux du PLC et les principes d’une saine gestion des fonds publics qui commanderaient la disparition d’emplois superflus à l’Agence de revenu du Canada, le gouvernement Trudeau semble clairement privilégier les premiers. Il est pourtant évident qu’une déclaration unique ferait réaliser des économies et simplifierait la vie des contribuables.
Aussi bien le Parti conservateur que le Nouveau Parti démocratique se disent prêts à accéder à la demande de M. Legault. L’asymétrie n’est cependant pas un réflexe naturel au PLC, même si le gouvernement Chrétien s’y était résigné dans le cas de la main-d’oeuvre.
Que le Québec collecte lui-même son propre impôt sur le revenu constitue déjà une anomalie aux yeux d’Ottawa. Qu’il perçoive aussi l’impôt fédéral serait carrément une hérésie, même s’il le fait dans le cas de la TPS.
La défunte Option nationale proposait jadis que Québec perçoive tous les impôts et ne retourne à Ottawa que la part qu’on estimerait lui revenir. Même si un tel scénario est hypothétique, M. Trudeau ne tient sans doute pas à le rendre techniquement possible.
Dans le cas de l’immigration, Ottawa entend traiter comme un tout l’abaissement de 20 % des seuils projeté par le gouvernement Legault et la pénurie de la main-d’oeuvre, ce que le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic Leblanc, a qualifié de « quadrature du cercle ».
On veut également inclure dans l’équation la compensation de 300 millions que Québec réclame pour l’accueil des migrants. Cela pourrait signifier qu’à partir du moment où le Québec aurait moins d’immigrants à intégrer et que la somme forfaitaire prévue à cet effet dans l’entente Québec-Canada excéderait donc les besoins, le surplus pourrait servir à éponger une partie des coûts de l’accueil des migrants, diminuant d’autant la facture d’Ottawa.
Il y a enfin la question des tests de valeurs et de français que M. Legault voudrait imposer non seulement aux immigrants économiques, mais aussi à ceux qui viendraient au Québec dans le cadre du programme de réunification des familles.
En conférence de presse, M. Trudeau s’est encore esquivé, mais l’obligation de réussir ces tests contrevient à tout le moins à l’esprit de la liberté d’établissement garantie par la Charte canadienne des droits, ce qu’il pourrait difficilement accepter. Au Québec même, le test des valeurs est d’ailleurs loin de faire l’unanimité.
Malgré le chantage à l’élection auquel M. Legault se livre en toute ingénuité, la partie est loin d’être gagnée, mais c’est le moment ou jamais de présenter ses demandes. Une fois l’élection passée, il n’aura plus aucun rapport de force.
Il ne s’agit d’ailleurs que de quelques-unes des revendications contenues dans le « Nouveau Projet pour les nationalistes du Québec », que M. Legault avait présenté en décembre 2015 et qui entend faire la démonstration qu’il est possible de faire évoluer le fédéralisme canadien.
La déclaration de revenus unique n’a rien à voir avec le transfert de points d’impôt souhaité et une baisse temporaire des seuils d’immigration ne conférerait pas au Québec les pleins pouvoirs réclamés par la CAQ. Sans parler de la reconnaissance constitutionnelle de la spécificité québécoise.
Personne ne s’attend à ce que M. Legault obtienne satisfaction sur toute la ligne dans un premier mandat, mais la crédibilité de ses prétentions autonomistes exige qu’il fasse un minimum de gains, et les astres ne seront sans doute jamais aussi bien alignés que maintenant.
On peut toujours espérer que les tergiversations de M. Trudeau ont simplement pour but de reporter les bonnes nouvelles à un moment plus stratégique, à la veille ou même pendant la campagne électorale.
Sinon, il ne restera plus à M. Legault qu’à mettre tout son poids dans la balance pour favoriser l’élection des conservateurs, en espérant qu’ils tiendront parole.
Andrew Scheer semble rempli de bonnes intentions, mais Stephen Harper l’était aussi. Dans un discours mémorable prononcé à Québec en décembre 2005, le prédécesseur de M. Scheer avait promis des merveilles, y compris l’adoption d’une « Charte du fédéralisme d’ouverture » dont personne n’a jamais vu la couleur.
En réalité, c’est la conciliation des aspirations du Québec et de celles du Canada qui, au fil des ans, a pris des allures de quadrature du cercle. M. Legault a peut-être de belles cartes dans son jeu, mais l’expérience du dernier demi-siècle interdit tout excès d’optimisme.
S’il fait chou blanc, il lui faudra bien répondre à la question qu’il a toujours réussi à esquiver : que va-t-il faire si Ottawa lui dit non ?