Depuis le début du déclin du Parti Québécois comme formation politique capable d’unir tous les indépendantistes, les appels au rassemblement des forces souverainistes ne sont pas rares, loin de là. Encore récemment, Jean-François Lisée en parlait, même après l’échec de la convergence, pour tenter de mousser son parti déclinant.
La semaine dernière, en claquant la porte dudit parti, Catherine Fournier disait exactement la même chose, affirmant vouloir rassembler les partisans d’un Québec pays derrière une même bannière pour que se réalise enfin ce grand rêve collectif. Pourtant, rien n’indique que cette union est en train de se concrétiser, bien au contraire : les souverainistes sont plus divisés que jamais.
Des divisions profondes
Une recherche signée Claire Durand rapportait récemment qu’en 2018, seuls 38% des souverainistes ont appuyé le Parti Québécois, contre 36% ayant voté pour la Coalition Avenir Québec et 22% pour Québec Solidaire. Il serait bien difficile d’imaginer un écartèlement plus complet, alors qu’aucun parti ne réussit à rallier une majorité d’indépendantistes et que près de la moitié se montrent satisfaits de la coalition autonomiste et nationaliste dirigée par François Legault.
Cette difficulté pour ceux qui souhaiteraient unir les souverainistes dans un même grand véhicule provient directement de la nature hétéroclite du mouvement, qui se tenait jadis en un bloc grâce à l’approche imminente d’un référendum sur l’option qu’ils partageaient. Outre l’appui à l’indépendance, ils n’ont pratiquement rien en commun : que ce soit sur l’identité ou sur les questions économiques, les indépendantistes se sont toujours entredéchirés en l’absence d’un scrutin préréférendaire pour les unir. Il suffit de penser à la fondation de Québec Solidaire sur fond de «conditions gagnantes», à la fondation de la CAQ en pleine «gouvernance souverainiste» ou encore au refus de la convergence alors que le PQ avait promis de ne rien faire pour l’avancement de son option pour s’en convaincre.
Les vaillantes démarches des Catherine Fournier de ce monde risquent d’avoir un succès limité tant que le système électoral favorisera un système bipartite, alors que ce ne serait pas forcément le cas après une réforme proportionnelle.
Quand la conjoncture était plus favorable, après l’échec de l’accord du lac Meech par exemple, les souverainistes se voyaient plus prompts à mettre de côté leurs autres positions pour faire avancer la question nationale, mais force est de constater que presque 25 ans après le dernier référendum, certains ne veulent plus attendre pour faire voter une loi sur la laïcité, pour rendre l’école gratuite du CPE au doctorat ou pour mettre fin au monopole de la SAQ. C’est pourquoi les vaillantes démarches des Catherine Fournier de ce monde risquent d’avoir un succès limité tant que le système électoral favorisera un système bipartite, alors que ce ne serait pas forcément le cas après une réforme proportionnelle.
Freiner le déclin
Le mode de scrutin proportionnel mixte que la CAQ, le PQ et QS se sont engagés à concrétiser avant la dernière élection n’est certainement pas parfait, et on peut douter qu’il récolte un appui populaire suffisant hors des cercles intellectuels pour être mis en place. Cependant, un tel système électoral, qui favorise les coalitions et le multipartisme, serait probablement une bénédiction pour les indépendantistes qui peinent actuellement à ramener la question constitutionnelle au centre du débat public.
Le plus évident avantage de la proportionnelle pour un mouvement en déclin, c’est bien sûr le nombre substantiel de sièges qu’elle accorde aux tiers partis.
Le plus évident avantage de la proportionnelle pour un mouvement en déclin, c’est bien sûr le nombre substantiel de sièges qu’elle accorde aux tiers partis, alors que le système actuel récompense grandement les deux plus grandes formations au détriment de tous les autres. Ainsi, Radio-Canada a calculé que le Parti Québécois et Québec Solidaire auraient une vingtaine de sièges chacun au lieu des dix dont ils ont dû se contenter le 1er octobre dernier. Un tiers de l’Assemblée nationale serait donc occupé par des partis indépendantistes, une nette amélioration pour eux lorsqu’on considère qu’ils ne forment que 16% de la chambre actuellement, soit la moitié de leur poids réel.
La proportionnelle, un système de coalitions
Bien au-delà de l’amoindrissement du déclin des forces indépendantistes, un avantage inconditionnel d’une réforme proportionnelle pour les souverainistes se trouve dans l’esprit de coalition qu’insuffle ce système à la joute partisane. En effet, puisque le système fait en sorte que les multiples partis se voient systématiquement incapables de gouverner à majorité, faute de suffisamment d’appuis, des alliances se forment au fil du temps autour d’enjeux communs le temps de quelques élections, ce qui pourrait très bien être le cas pour la souveraineté.
Au Québec, il va sans dire que les souverainistes auraient avantage à pouvoir ratisser partout sur le spectre idéologique, sans devoir se caser au centre-gauche obligatoirement comme c’est le cas depuis cinquante ans.
En Catalogne par exemple, trois partis pro-indépendance se partagent le vote : le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT) occupe le centre droit, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) attire des électeurs de centre-gauche et la Candidature d’unité populaire (CUP) ratisse à l’extrême-gauche. Même en présentant trois listes distinctes aux élections catalanes de 2017, les indépendantistes sont parvenus à faire élire une majorité de députés au Parlement, 70 sur 135, grâce au système proportionnel.
Au Québec, il va sans dire que les souverainistes auraient avantage à pouvoir ratisser partout sur le spectre idéologique avec différentes figures fortes, sans devoir se caser au centre-gauche obligatoirement comme c’est le cas depuis cinquante ans. D’un point de vue strictement indépendantiste, la réforme du mode de scrutin peut donc sembler très attrayante et constituer le début d’une solution à certains problèmes qui touchent actuellement le mouvement.
La question nationale en panne
Cependant, les souverainistes auraient tort de penser qu’une grande alliance, avec ou sans réforme démocratique, pourrait suffire à relancer la question constitutionnelle. Rien ne sert de se mettre la tête dans le sable : le déclin du Parti Québécois est également celui du mouvement souverainiste, dont les partisans, s’ils sont encore 35% des Québécois, priorisent désormais d’autres enjeux une fois dans l’isoloir. On aurait donc beau leur présenter la plus belle des coalitions, unie comme jamais en faveur de la souveraineté, si rien de majeur ne change, on peut bien se demander à quoi celle-ci servirait.
On aurait beau présenter aux Québécois la plus belle des coalitions, unie comme jamais en faveur de la souveraineté, si rien de majeur ne change, on peut bien se demander à quoi celle-ci servirait.
Même si la réforme du mode de scrutin proportionnelle promise par François Legault aiderait probablement l’option souverainiste, tout en nuisant considérablement à la CAQ comme coalition ceci dit, il reste aux indépendantistes eux-mêmes à donner des nouvelles raisons aux Québécois de considérer leur cause à nouveau, ce qui n’est pas le cas depuis des années. La forme actuelle du mouvement laisse clairement à désirer, mais on aurait bien tort d’en oublier le fond, qui sent le renfermé tellement il est resté immuable depuis des années.