En date de jeudi et de vendredi soir sur les ondes de la SRC, deux émissions de la série «Tout le monde en parlait» traitaient de la crise d’octobre 1970 à l’occasion du quarantième anniversaire de cette crise politique que Guy Gendron présente d’entrée de jeu comme une des pages les plus sombres de l’histoire du Québec et du Canada. Dans la première de ces deux émissions consacrées à ce mois crucial d’octobre 1970, des acteurs au centre du drame révèlent de nouveaux éléments qui permettent de comprendre ce qui s’est réellement passé. Quels sont les véritables motifs derrière l’imposition de la loi des mesures de guerre et de l’arrestation sans mandat de cinq cent personnes? Est-ce que la crise a été une vaste opération de propagande et par qui? Attention, nous dit M. Gendron, les réponses bousculent plusieurs idées reçues.
Tout en apportant des éléments inédits comme l’idée d’un téléthon indépendantiste révélé par Jacques Lanctot auquel aurait participé le jeune cinéaste Pierre Harel; le rôle de Jean Drapeau et de ses collaborateurs Lucien Saulnier et Michel Côté pour pousser Québec et Ottawa à mettre en vigueur la loi des mesures de guerre dans le contexte d’élections municipales où le FRAP allait chercher autour de 30% des votes selon les sondages de l’époque; les deux communiqués de la cellule libération de Jacques Lanctot faisant état du renoncement d’exécuter leur otage, interceptés par la police à l’aide d’écoute électronique des animateurs de radio comme Michel St-Louis de CKAC; l’écoute électronique illégale dont a été objet l’avocat Robert Lemieux et Jacques Rose dans la cellule de prison de ce dernier qui aurait confié à Me Lemieux que Paul Rose était à Montréal le soir du décès de Pierre Laporte et que le décès de M. Laporte n’avait pas été une exécution, contrairement à ce que soutenait les membres de la cellule Chénier.
Le reportage de l’équipe de M. Gendron ne vient pas tellement bousculer mon souvenir ou mon interprétation d’octobre 1970 et les mesures de guerre du Canada pour boucher, à tout jamais souhaitaient-ils, le volcan d’affirmation nationale qui secouait alors le Québec.
Julien Giguère, nouvellement promu à la tête de la section anti-terroriste de la police de Montréal à l’automne de 1970, relate sa rencontre avec quelqu’un qu’il dit qu’il connaissant bien, Me Michel Côté, conseiller juridique de Jean Drapeau. Me Côté était venu voir M. Giguère parce que ce dernier s’était plaint à son directeur que les policiers ne pouvaient pas détenir leurs suspects plus de vingt-quatre heures et qu’il aurait aimé pouvoir les détenir quelques jours pour pouvoir les interroger «en profondeur». M. Giguère s’était expliqué ainsi à Me Côté: «J’ai dit, ça pourrait peut-être aider les gars qui sont aux enquêtes, je lui ai dit nous autres, moi, je suis dans le renseignement, puis je fais des filatures puis je fais ça, puis je regarde où est-ce qu’on est redu. Mais comment aboutir à interroger du monde, puis, on a rien là». Me Côté aurait écouté ses arguments et il l’aurait quitté en l’assurant qu’il s’en occuperait.
Guy Gendron explique ensuite qu’à Québec, on n’a rien à offrir à Me Côté. Me Robert Demers, que Robert Bourassa avait délégué à la négociation avec le FLQ, affirme que l’idée de la loi des mesures de guerre avait été suggérée par un fonctionnaire du ministère de la justice à Ottawa qu’il ne pouvait pas nommer et qu’au départ, Trudeau avait été opposé à la promulgation de la loi des mesures de guerre. Me Demers relate que c’est Robert Bourassa qui aurait talonné PET pour faire mettre en vigueur cette loi d’exception suite à l’enlèvement de Pierre Laporte. En s’appuyant sur certains éléments de la biographie à feu PET, M. Gendron raconte aussi que le groupe des seize, dirigé par Claude Ryan, était perçu par Trudeau comme étant une amorce potentielle de gouvernement provisoire et, semble-t-il, c’est cette peur irrationnelle et délirante d’un coup d’état par Claude Ryan qui l’aurait finalement rallié à utiliser la loi des mesures de guerre, s’assurant au préalable de disposer d’une lettre identique signée par le maire de Montréal et le premier ministre du Québec réclamant cette loi dite d’exception. Marc Lalonde avait coordonné la rédaction et la signature de ces deux lettres donnant le feu vert à toutes les ressources nécessaires de la machine de guerre d’Ottawa.
Ce qui m’a révolté en particulier pendant ce reportage par lequel j’ai aussi appris la détention pour une durée de cinquante et un jours de Mme Andrée Ferretti, c’est d’entendre Julien Giguère dévoiler les énormités paranoïaques qui suivent: «Moi, je défends les arrestations qui ont été faites de bonne foi par chacun des gars qui ont mis leurs noms là sur la liste, puis que si on va fouiller dans le fin fond de ces personnes là, puis qu’on va les questionner et puis qu’elles sont honnêtes, elles vont admettre qu’à un moment donné, oui, elles ont émis une opinion, elles ont émis, elles ont professé en faveur de l’option de prendre la violence pour arriver à une fin bien politique».
Pour expliquer l’arrestation de Mme Ferretti, M. Gendron ramène un débat télévisé de Radio-Cadenas de l’année 1968 où Mme Ferretti avait déclaré qu’il «faut s’organiser, bien certainement, je vais vous en donner des exemples: ça peut être un soulèvement général, ça peut être une lutte armée, ça peut être la guérilla».
M. Gendron souligne plus loin qu’en fait, pas un seul des véritables militants felquistes n’a été arrêté par la police. Selon Jacques Lanctot: «Personne, ils n’ont arrêté personne, ils ont arrêté des, des gens qui étaient des sympathisants, pas à la cause du FLQ, mais des gens qui étaient sympathisants à l’idée d’indépendance au Québec. C’est d’abord ça qu’on voulait frapper. C’était, d’après moi, c’était… l’opération terroriste elle était là».
Julien Giguère explique ensuite qu’on a volontairement laissé en liberté les militants connus du FLQ pour pouvoir les prendre en filature. M. Giguère déclare qu’il a lui-même rayé leurs noms de la liste des arrestations: «Le plus grand nombre que j’ai vu sur mon pupitre c’est à peu près une soixantaine et puis sur laquelle à un moment donné j’avais fait radier des personnes, parce que je disais, bien non, ça, y faut que ça soit sur la route, ça, y faut que ça soit sur la route».
Surveillé jour et nuit par la police, Robert Comeau se disait parfois filé par quatorze autos de police lors de la crise d’octobre. Il ne s’explique toujours pas aujourd’hui comment la rafle policière a pu à ce point rater sa cible: «Ils auraient pu tout écraser les felquistes, les trente, ils nous connaissaient, ils savaient, ils auraient pu nous arrêter. Mais on arrêtait des Pauline Julien. Voyons donc, c’était évident que Pauline Julien n’était pas impliquée dans le FLQ. Alors, c’était une opération pour essayer de faire peur».
Suite à ça, Julien Giguère affirme tout bonnement: «On a brisé la liberté de certains Québécois, pas des Québécois ». Il demande à M. Gendron s’il a été dérangé en précisant que sa famille à lui n’a pas été dérangée. À la question à savoir si Pauline Julien était une felquiste, M. Giguère répond par d’autres question: «Qu’est-ce qu’elle a fait Pauline Julien? Qu’est-ce qu’elle a dit, qu’est-ce qu’elle a chanté. Qu’est-ce qu’elle a crié, qu’est-ce qu’elle a promulgué? A-t-elle fait des spectacles pour aider ou subvenir à certains personnages?» M. Gendron lui demande si elle a fait des gestes illégaux? En précisant qu’il ne parle pas de ses opinions. M. Giguère rétorque en disant «T’sais j’veux dire, j’ai dit encourager, aider ou assister, encourager et aider, encourager, c’est c’est c’est ça l’acte criminel, il fait partie de ça». Selon la narration de M. Gendron qui suit, Pauline Julien avait donné des spectacles et participé à une marche pour la libération de deux felquistes avoués, Charles Gagnon et Pierre Vallières, l’auteur du pamphlet «Neigre blanc d’Amérique».
Tout de suite après, Andrée Ferretti déclare qu’elle n’a pas été maltraitée par les policiers lors de sa détention de cinquante et un jours. Mme Ferretti répond en disant «non, pas moi». M. Gendron explique que Mme Ferretti a subi plusieurs interrogatoires, le premier après onze jours de détention. Mme Ferretti s’était fait dire par le policier qui l’interrogeait qu’elle se trouvait dans une pièce insonorisée… «C’est tout de suite la menace».
Peu après, Mme Ferretti se confie au sujet d’une de ses voisines de cellule, Lise Rose, sœur de Jacques et de Paul. Selon Mme Ferretti, Mme Rose subissait des interrogatoires pendant lesquels elle devait se tenir debout appuyée à un mur et elle devait tenir ses bras étendus en croix – «Vous savez comment c’est fatigant quand vous n’avez pas d’appui» - et dès qu’elle baissait les bras, ils la giflaient. «Et, ça durait des heures et des heures… Nue jusqu’à la taille».
M. Gendron revient avec M. Giguère qui a d’autres déclarations encore plus consternantes à faire: «Évidemment que la loi des mesures de guerre, c’est… c’est c’est de mettre… le bouchon sur le volcan à Montréal. C’est, c’est la raison principale. Mais, c’était une belle opportunité puis c’était un bel instrument de travail pour nous autres, d’être capables d’aller en chercher plusieurs, de les garder en dedans, d’être capables de les questionner et de les interroger sur ce qu’ils savaient, sur ce qu’ils pouvaient nous donner, aller chercher… aller à la pêche si vous voulez. Hein? Bonyenne, peut-être une expression vulgaire, mais, donner un bon coup de pied au cul, au FLQ». À ces paroles animant son visage d’un rictus dégoûtant et ayant conclu son discours par de rires stupides, M. Gendron s’exclame avec stupéfaction: «c’était ça la loi des mesures de guerre?» Et M. Giguère confirme béatement en riant encore: «Ben, j’pense bien, finalement».
Après une pause, Jacques Lanctôt décrit un entretien avec Paul Rose qui lui aurait dit «Bon, vous, vous avez le «lead» dans, dans les événements, dans l’opération libération. Donc, faites connaître publiquement votre position et puis on va se suivre, on va vous suivre, on va vous appuyer et on va vous suivre. Parce qu’on voyait mal que si nous, on décide de ne pas tuer Cross, comment eux, pourraient décider de tuer Laporte, ça n’a aucun bon sens».
Étant convenu que les prochaines directives doivent être communiquées au plus tard à 15h le samedi 17 octobre, Jacques Lanctot confie ensuite que «Nous, c’était définitif, on voulait faire baisser la tension». La cellule libération émet donc un communiqué annonçant que le FLQ abandonne sa menace d’exécuter les otages.
Questionné à savoir ce qui est arrivé de ce communiqué, M. Lanctot affirme que «Ce communiqué là n’a jamais vu le jour. Le samedi matin, quand on a vu qu’il n’y avait rien qui sortait dans les journaux, on a envoyé, on a écrit une copie de ce communiqué là. Parce qu’on en a envoyé un deuxième, parce qu’on a paniqué là nous».
Par la suite, Michel St-Louis, reporter à CKAC à l’époque, s’explique ainsi: «Je pense que les policiers nous ont mis sur écoute et qu’ils sont intervenus quand ils voulaient bien intervenir». Jacques Lanctot poursuit en déclarant que «Ce communiqué là a été envoyé à deux reprises où on disait c’est fini. Ma théorie à moi c’est qu’ils ont brisé notre réseau de communication en se disant, ils vont commettre l’impair qui, ils vont se mouiller davantage, sans, sans présumer que Laporte allait mourir, mais qu’on allait commettre des gaffes vu qu’on peut pu se communiquer».
Robert Morin soulève ensuite que «c’est quand même bizarre que ce communiqué là, qui aurait pu être un signal d’arrêt, a été subtilisé par la police». M. Gendron demande à Michel St-Louis s’il savait ce qu’il y avait dans ce communiqué là? Il répond par la négative. M. Gendron lui explique que c’était un drapeau blanc, «on ne tue personne».
Pour comprendre les multiples soupirs et le bouleversement de M. St-Louis face à cette révélation, je vous suggère de regarder et d’écouter bien comme il faut cette émission très perturbante que vous pouvez retrouver sur le site de Radio-Cadenas.
En guise de conclusion, je tiens à exprimer mes sympathies et à rendre hommage à Mme Andrée Ferretti et les cinq cents personnes arrêtées arbitrairement telles que Gaston Miron et Pauline Julien, détenues pendant plusieurs semaines à partir d’octobre 1970 par un procédé peu légitime de culpabilité par association et de ouï-dire. Aucun pont ou édifice gouvernemental ne sera consacré à leur mémoire. Pourquoi pas un monument commémoratif avec les noms des détenus d’octobre 1970 inscrits dessus, quelque part sur ce volcan dormant qu’est Montréal?
Daniel Sénéchal
Montréal
La proclamation de la loi des mesures de guerre et Jean Drapeau
Boucher le volcan à Montréal ou faire écraser un insecte par un éléphant
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
27 septembre 2010Beau résumé, fidèle à ce que j'ai vu.
Faut comprendre qu'à l'époque, le FLQ était un organisme criminel, ennemi numéro un au Québec, qui mettait des bombes un peu partout. Quiconque tenait des propos le moindrement sympathique à leur cause, était immédiatement fiché par la SQ. C'est ce qui est arrivé à Mme Ferrati et à Mme Julien. Elles n'avaient absolument rien à voir avec les activités terroristes du FLQ mais elles avaient tenu des propos sympathiques à leur cause.
40 ans plus tard, les 500 incarcérés attendent toujours des excuses. Mulroney a donné 22,000$ à chaque Japonais incarcéré pendant la Deuxième guerre mondiale; Harper vient de donner 2 milliards aux enfants autochtones placés en pensionnat.
Les incarcérés de Trudeau (Greatest Canadian of 20th century) attendent toujours le tchèque...Y'a même pas de monument pour commémorer leur incarcération.
Archives de Vigile Répondre
27 septembre 2010/Bonjour M. Sénéchal
Concernant votre suggestion d'élever un monument a la mémoires des détenus d'octobre 70 ce sera une réalité le 16 octobre 2010.Grace a l'initiative de M. René Bataille ( malheureusement décédé depuis) et de son fils Germain qui as repris la présidence de la Fondation Octobre 70.
L'inauguration du monument aura lieu a l'angle des rues Sherbrooke Ouest et St Urbain le 16 octobre a 13hrs 30.Marcel Barbeau,artiste peintre et sculpteur est l'auteur de l'oeuvre en question.
Pour toute information supplémentaires, veuillez contacter Germain Bataille au (450-929-4139) ou sur: germain.bataille@videotron.ca.
Daniel Dupuis
ex-détenu Octobre 70