La guerre de 34 jours entre Israël et le Hezbollah a provoqué une onde de choc à travers la région qui va de l'Iran au Liban. Le Hezbollah revendique «une victoire stratégique, historique». Les observateurs lui accordent généralement, au moins, une victoire de propagande. Mais au-delà des analyses qu'on peut faire du renforcement du Hezbollah sur la scène politique libanaise, ce qui importe au moins tout autant aujourd'hui concerne le sens de cette victoire pour l'ensemble de la région.
Vu d'Israël, le conflit libanais qui vient de s'achever a comme conséquence immédiate une révision de la stratégie du «retrait unilatéral» mise en pratique par Éhoud Barak et Ariel Sharon. Au cours des six dernières années, Israël a basé son approche sur le principe répété voulant qu'il n'ait «pas de partenaire» pour la paix. Il faudra revenir à une approche plus réaliste : les négociations de paix se font avec l'ennemi et non avec un prétendu «partenaire».
La nouvelle analyse stratégique concerne également les relations avec la Syrie. Le ministre israélien de la Défense, Amir Peretz, a déclaré que la guerre au Liban avait créé les «nouvelles bases d'une négociation» et une «occasion» pour Israël de conclure de nouveaux accords de paix. Pour le moment, le premier ministre Éhoud Olmert exclut des négociations de paix avec Damas. S'il y a d'éventuelles perspectives de négociations de paix, il y a également possibilité de guerre. Déjà, le chef des services de renseignement militaires israéliens, le général Amos Yadlin, a dit craindre un excès de confiance du côté syrien après la performance peu reluisante de l'armée israélienne au Liban dans sa campagne contre le Hezbollah. Selon lui, les Syriens «sont pleins d'assurance et vont tenter de récupérer le plateau du Golan». Le premier ministre s'inquiète lui aussi de la lecture de la contre-performance militaire israélienne au Liban qui sera faite à Damas. Israël n'exclut pas non plus une reprise des hostilités avec le Hezbollah au Liban.
La fin du «Grand Moyen-Orient» ?
Vue de Damas, la situation actuelle constitue déjà une amélioration par rapport à l'an dernier, lorsque les troupes syriennes avaient dû, sous la pression internationale, quitter le Liban. L'influence syrienne était à la baisse. Aujourd'hui à Damas, on estime que c'est l'influence de Washington sur la région qui est à la baisse. La doctrine dite du remodelage du «Grand Moyen-Orient» énoncée par l'administration Bush début 2004 avait déjà du plomb dans l'aile. Ce programme de réformes politiques et de libéralisation économique est maintenant mort, et le président syrien n'a pas pris beaucoup de temps pour le souligner. Ce nouveau Moyen-Orient prôné par les États-Unis est devenu «une illusion», selon Bachar al-Assad. Pire encore : à ce chapitre, au lendemain de la guerre au Liban, les vues de Damas et du Caire se trouvent désormais à concorder, ce qui est peu courant. Le président égyptien Hosni Moubarak a déclaré qu'il ne permettrait pas que les déclarations sur un «Proche-Orient nouveau ou grand» servent à «annihiler l'identité arabe» ou à «ignorer les priorités de notre monde arabe». Le président Assad, lui, se félicite de la mise en place d'un autre «nouveau Moyen-Orient», «nouveau», nargue-t-il, en raison des «réalisations de la résistance». En ce qui concerne l'alliance avec l'Iran, on peut penser qu'elle demeure circonstancielle alors que les deux régimes sont fondamentalement différents. Peut-on pour autant espérer un découplage Damas-Téhéran ? Certainement pas dans un avenir prochain puisque ni Washington ni Paris n'entretiennent un dialogue avec Damas.
Vue de Téhéran, la nouvelle conjoncture régionale se présente bien. Un rapport récent de l'Institut royal des relations internationales, à Londres, souligne que les guerres en Irak et en Afghanistan et les conflits entre Israël et les Palestiniens et entre Israël et le Hezbollah libanais ont placé l'Iran «en position de force considérable». La guerre entre le Hezbollah a été particulièrement profitable auprès de ce qu'on appelle la «rue arabe». À un point tel que les autorités égyptiennes, jordaniennes et saoudiennes, critiques au départ devant l'offensive du Hezbollah, ont par la suite été contraintes de modérer leur discours. L'an dernier, le roi Abdallah II de Jordanie s'était inquiété de la création d'un «croissant chiite», qui s'étendrait de Téhéran à Beyrouth. Or la performance du Hezbollah chiite a donné à ce courant une grande popularité chez les partisans de la résistance armée contre Israël.
Cette nouvelle conjoncture régionale n'est pas sans effet sur la question nucléaire iranienne. Le chef de la diplomatie égyptienne, Aboul Gheit, insiste sur la nécessité de traiter ce dossier avec «la plus grande prudence». Grande prudence également du côté du Qatar : le 31 juillet, lors du vote du Conseil de sécurité sur l'Iran, le Qatar, seul pays arabe à siéger actuellement au Conseil de sécurité, a été le seul État à voter contre la résolution qui a donné à l'Iran jusqu'au 31 août pour suspendre l'enrichissement d'uranium. Le représentant du Qatar a évoqué le fait que la région était «enflammée» et qu'on pouvait attendre encore un peu pour «évaluer la volonté de l'Iran de coopérer». Pas question de vexer inutilement le grand voisin iranien. Mais il n'y a pas que la «prudence». Pour d'autres, comme le réputé chroniqueur égyptien Salama A. Salama, du journal al-Ahram, devant la supériorité militaire et technologique d'Israël, il s'agit là d'une manière d'acquérir la parité nucléaire et «le respect qui l'accompagne». Et il ajoute ceci : «L'Iran pourrait bien se révéler être notre seul ami.» À Washington, on semble se soucier de ce climat d'apaisement ou d'acquiescement devant l'Iran puisqu'on a dépêché, fin août en Égypte, le représentant américain à l'Agence internationale de l'énergie atomique, Gregory Schulte, pour demander le soutien du Caire dans ce dossier.
L'objectif ultime de l'Iran
Bref, l'Iran, avec l'aide du Hezbollah, a déjà modifié l'équilibre des forces dans la région. Devant la polémique qui entoure ses ambitions nucléaires, Téhéran souffle le chaud et le froid et a déjà réussi, jusqu'à présent, à réduire le nombre d'options dont disposent ses adversaires. Inversement, embourbée en Irak et prisonnière de dogmes idéologiques néoconservateurs, l'administration Bush n'arrive pas à faire preuve de la souplesse stratégique nécessaire pour reprendre l'initiative dans une région en train de basculer dans la sphère d'influence iranienne. Plus que l'obtention de l'arme nucléaire, l'Iran pourrait avoir comme objectif ultime une hégémonie régionale légitimée, à ses yeux, par un panislamisme anti-israélien avec de fortes connotations antisémites, qui succéderait à un panarabisme impuissant ou moribond. Cette nouvelle donne porte les germes de nouveaux conflits. L'ancien secrétaire d'État américain Henry Kissinger a ainsi affirmé cet été dans un texte important publié par le Washington Post que si Téhéran insistait pour combiner «la tradition impériale perse à la ferveur islamique», cela rendrait «inévitable» une collision avec les États-Unis. La situation en Irak, les effets du récent conflit au Liban et la politique poursuivie par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad nous ont rapproché soit de cette «collision», soit de la mise en place graduelle et effective d'une hégémonie de l'Iran dans la région.
Jean Bériault
_ Chroniqueur de politique étrangère à Radio-Canada international
La nouvelle donne géopolitique au Proche-Orient après la guerre Israël-Hezbollah
Par Jean Bériault
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