Ça nazifie à qui mieux mieux ces temps-ci au Québec.
Il y a eu le commentateur Luc Lavoie qui, en dénonçant le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, a comparé François Legault à Hitler.
Cela a inspiré certains chauffeurs de taxi en guerre contre le gouvernement. Hicham Berouel, sur sa page Facebook, a écrit : « Cette comparaison [Legault et Hitler] nous a touchés au plus profond de nous. » Logique dans sa bêtise, il a demandé à ses collègues de porter l’étoile jaune, à l’instar des juifs sous le troisième Reich ! Sans surprise, il a dû retirer sa publication.
Hier, c’était au tour du maire de Hampstead, le Dr William Steinberg, de délirer dans le même registre : « C’est du nettoyage ethnique, non pas avec une arme, mais avec une loi », a-t-il dit du projet de loi 21.
Ces rapprochements excessifs sont profondément insultants pour ceux qui ont vécu les atrocités de la Shoah ou des guerres balkaniques des années 1990.
Le président de la congrégation Beth Israël Ohev Sholem, David Weiser, rapportait Le Soleil lundi, a dénoncé Lavoie et ses émules : « C’est horrifiant d’utiliser l’Holocauste de cette façon, avec autant de légèreté. C’est dangereux de faire ces comparaisons. »
Malaise profond
Mais comment expliquer ces dérapages rhétoriques ?
1) Le reductio ad Hitlerum, cet argument paresseux visant à disqualifier un adversaire idéologique en le comparant au führer ou à ses ouailles, fait florès à notre époque.
Nos débats à l’ère du numérique sont soumis entre autres à la célèbre (bien qu’imaginaire et ironique) loi de Godwin : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. »
2) Certes, le projet de loi 21 provoque un « malaise » profond, qui doit être expliqué, comme le notait la chroniqueuse Nathalie Elgrably-Lévy, hier dans nos pages.
Pourquoi un tel malaise ? Entre autres l’impression qu’on touche à des droits fondamentaux. En Amérique du Nord, le rapport à la religion est maintenant totalement déterminé par la manière dont les Américains l’ont aménagé.
L’éléphant avec qui nous partageons le continent est un pays fondé précisément par des gens qui avaient subi l’oppression religieuse et qui voulaient créer un nouveau monde où toutes les religions se toléreraient. La religiosité est encouragée et les politiciens y ponctuent tous leurs discours avec un « God Bless America ».
Le rapport à la religion des Québécois est très différent. Davantage français, européen ; comme dans toutes ces contrées où l’Église catholique a, à une époque, régné sans partage et où les citoyens ont décidé à un moment de s’en libérer. La Cour européenne des droits de l’homme considère par exemple plusieurs interdictions de port de signes religieux comme étant acceptables dans une démocratie.
Le Québec est vraiment une société distincte à cet égard sur ce continent. D’où l’appui pour cette loi chez une grande partie de ses citoyens ; une loi qui touche toutes les religions.
3) Ne saisissant pas cette différence — ou préférant ne pas la voir —, les médias anglophones sont implacables dans leurs dénonciations.
Des talibans
En plus, au Canada anglais, lorsque survient ce type d’événement, on semble aimer en profiter pour nazifier le Québec. Pendant huit ans, j’ai signé la revue de presse du ROC dans Le Devoir. Le reductio ad Hitlerum à l’égard du gouvernement québécois, c’était courant, dès qu’il était question de nationalisme.
En 2010, le Globe and Mail avait dénoncé un projet de loi libéral sur le visage à découvert en comparant le gouvernement du Québec à celui des talibans !
L’antiraciste qui réduit le Québec à un enfer nazi croit faire un carton facile : d’abord, il s’élève en donnant l’impression qu’il sait, lui, où se trouve le mal absolu.
Ce faisant toutefois, il ne se rend pas compte qu’il utilise un procédé en partie similaire à celui des racistes : désigner un groupe et son État comme étant mauvais par nature et détestables absolument. Le raciste n’est pas toujours celui qu’on croit.
Le carnet de la semaine
L’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette est devenu un maître en interpellation parlementaire. Tellement, que son vis-à-vis, le président du Conseil du Trésor Christian Dubé, a salué à plusieurs reprises hier la « qualité de la discussion » amorcée par le libéral : « Les questions que vous posez sont tellement appropriées [que] je me demande si vous ne devriez pas vous rapprocher un petit peu. » Réponse de M. Barrette, qui avait été candidat caquiste en 2012 : « Ça a déjà été fait ».
Habituellement, lorsqu’on veut rendre l’idée de laïcité en anglais, on utilise le terme « secularism ». Un des grands ouvrages du philosophe Charles Taylor portant sur la laïcisation progressive des sociétés occidentales s’intitule, par exemple, A Secular Age. Le constitutionnaliste Patrick Taillon me faisait remarquer cette semaine à Qub que le titre de la version anglaise du projet de loi 21 était « An Act respecting the laicity of the State ». Un usage rare ; sans doute pas innocent.
C’est sans doute le mot qui a bousculé tous les autres, cette semaine, dans la bouche de nos élus à l’Assemblée nationale, comme l’a fait remarquer Michaël Labranche, de la ZoneAssnat (sur le site du Journal). La co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé a dénoncé « les bulldozers du [...] fédéral » ayant anéanti l’histoire de Mirabel. Le champion utilisateur du terme est toutefois le chef intérimaire libéral Pierre Arcand, qui a accusé le gouvernement de « bulldozer l’Assemblée nationale », « bulldozer le dossier des signes religieux », une « méthode bulldozer ».