La méprise

Chronique à propos de l'avocat Lucien Bouchard et Claude Morin

Chronique de Louis Lapointe

Le 18 février 2010, j’ai publié une chronique sous le sceau de l'ironie, L’avocat Lucien Bouchard. Un billet que les lecteurs de Vigile ont semblé apprécier et que le paragraphe suivant résume bien.

«Lorsque l’avocat Lucien Bouchard s’exprime en public, rien n’exclut qu’il puisse utiliser les forums qui lui sont proposés pour défendre non seulement sa vision, mais également celle de ses clients. Dans cette perspective, fidèle à son serment d’avocat, sa loyauté appartient d’abord à ses clients, pas aux Québécois.»

Ce texte, qui a été repris dès le lendemain par Droit inc., m’avait alors valu de virulents commentaires anonymes de la part de plusieurs lecteurs de ce site destiné aux avocats des grands cabinets. Pour ceux qui le souhaitent, vous pouvez lire ces commentaires ici.
L’éditeur de Droit inc. m’a révélé le jour même que cet article avait fait fureur, ayant rejoint près de 2000 lecteurs en quelques heures.
Un an et demi plus tard, la plupart des observateurs de la scène politique et juridique reconnaîtront probablement que le temps m’a donné raison. Lucien Bouchard est bel et bien un avocat d’affaires au service de ses clients, la une du Devoir de ce matin n’en étant qu’une démonstration supplémentaire.
J’ai pratiqué le droit suffisamment longtemps pour connaître le rôle de l’avocat et savoir ce que ses clients et associés attendaient de lui.
Lucien Bouchard n’est plus premier ministre depuis 10 ans. Il est l’avocat de ses clients. Lorsqu’il s’exprime publiquement, il ne peut faire abstraction de leurs intérêts, point à la ligne. Ce n’est pas un reproche, c’est une constatation. L’honnêteté n’a rien à voir là-dedans, c’est juste une question de devoir professionnel.
À cet égard, alors que je pratiquais le droit, j’ai toujours été conscient que l’image que je projetais, même dans ma vie privée, pouvait contribuer au succès de mes clients et principaux, si bien que j’ai laissé s'écouler cinq ans après mon départ de la direction de l’École du Barreau et de la vie professionnelle avant de commencer à m’exprimer publiquement.
***

Vendredi dernier, à la suite du dernier jugement rendu par la Cour Suprême du Canada, j’ai signé un court billet qui se voulait également ironique, une caricature sur les apparentes contradictions de la Cour Suprême au sujet des notions d’inconscience et de consentement aux relations sexuelles entre époux.
Le parallèle avec la Nuit des Longs Couteaux m’est immédiatement venu à l’esprit. Rien de transcendant. La plupart de mes lecteurs l’auront probablement vu eux aussi ainsi.
Or, un ancien ministre qui avoue ne jamais lire mes chroniques s’est senti directement visé par mon court billet, voire insulté, même si telle n’était pas mon intention.
Comme certains lecteurs de Droit inc. qui avaient fortement réagi à L’avocat Lucien Bouchard, il a vu entre les lignes ce qui n’y était pas et s’est permis d’écrire à mon sujet ce que jamais je n’aurais osé écrire sur lui. Sa réaction m’est aussitôt apparue disproportionnée compte tenu de la teneur de mes propos.
Je la reproduis intégralement ici.
«Monsieur Lapointe,
On vient d’attirer mon attention sur votre chronique. Je ne lis jamais vos textes et, à la lumière de celui d’aujourd’hui, je constate ne pas avoir perdu grand-chose jusqu’ici.
Écrire que « René Lévesque et Claude Morin dormaient dans un hôtel de Hull, inconscients de ce qui se tramait à Ottawa » est une monumentale sottise que seule peut expliquer (mais non excuser) votre ignorance des faits. Vous raisonnez à la Lester, trait qui, croyez-moi, n’est pas un compliment…
Parmi tout ce qui s’est publié au cours des années sur les événements de novembre 1981, je vous suggèrerais mon propre livre "Lendemains piégés". Mais c’est un gros ouvrage, plein de détails utiles à savoir. Pas le genre, cependant, qui attire les adeptes d’opinions péremptoires et de préjugés commodes. Je le mentionne par acquis de conscience. Il existe aussi quelque chose de plus récent, tout juste paru, "The Last Act", de Ron Graham, auteur canadien-anglais assez connu.
Claude Morin
»

Que mon texte ne lui ait pas plu et qu'il en témoigne publiquement, je peux le comprendre. Ce ne sera pas la première fois, ni la dernière, qu’un lecteur juge négativement un de mes textes. Je m’y attends et je l’accepte, cela fait partie des règles du jeu lorsqu’on publie des chroniques.
Mais, qu’un ancien ministre et haut fonctionnaire, professeur d'université par surcroît, juge mon travail sans le lire m'est apparue comme étant une profonde aberration, pour ne pas dire une incongruité, d'autant plus que ces attaques venaient d'un homme pour qui j'éprouvais le plus grand respect, même si je ne partage pas nécessairement toutes ses opinions.
Ses critiques sont d’autant plus incohérentes, qu’après avoir dénigré l’ensemble de mes chroniques sans en avoir lu aucune, il m’a invité à lire son « gros ouvrage, plein de détails utiles à savoir. Pas le genre, cependant, qui attire les adeptes d’opinions péremptoires et de préjugés commodes.»
À l’aune de ce commentaire qui ne fait pas honneur à son rédacteur, les habitués de mes chroniques seront à même de juger qui de ce lecteur ou de moi émet des «opinions péremptoires et des préjugés commodes».

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Tremblay Sylvain Répondre

    2 juin 2011

    Admirer un personnage public est une chose, mais la réciproque en est une autre. Il ne faut pas nécesairement s'attendre à celà en-dehors d'une séance d'autographe ou de rassemblement de fans.
    D'habitude, quand les personnges publics sont dans leur gloire, ils se fichent bien des notes discordantes, bien enterrées qu'elles sont. Cependant, lorsque cette gloire est passée, ieur oreille se fait plus sensible à toutes les notes, quelles qu'elles soient, question de survie, peut-être.
    J'avais pourtant bien lu votre texte (chronique précédente), m. Lapointe, et j'ai été très surpris de la réponse de m. Morin, en commentaire, car je n'y voyais aucune note discordante à son égard. Il est évident que c'était une image, que messieurs Lévesque et Morin représentaient le Québec, et que c'était ce dernier qui était la victime, pas leurs deux représentants pris individuellement ou ensemble. Il est fréquent, en politique, de représenter un État par son ou ses représentants. Qui a dit "l'État, c'est moi!"? Je pense que c'était Louis XIV, puis De Gaulle, Mitterand, en tout cas, bien des chefs d'État l'ont dit. Alors, les journalistes, écrivains et commentateurs utillisent normalement cette image quand elle correspond bien à la réalité, ce qui est d'ailleurs un compliment pour m. Morin, qui représentait le Québec avec m. Lévesque à l'occasion de la rencontre dont parle m. Lapointe dans sa chronique précédente.
    Quand l'État est en mauvaise position, cependant, et qu'on utilise le nom de son ou ses représentants pour en faire part, de façon imagée, toujours, c'est sûr que l'effet est différent et que ces personnes peuvent se pentir un peu visées personnellement, ce qui peut les contrarier, sur le coup et dans le temps, car ça entre dans l'histoire. Les politiciens connaissent ce risque, cependant, et c'est en toute connaissance de cause qu'ils s'engagent dans cette profession.
    Avant de condamner un excellent chroniqueur de Vigile qu'il n'avait jamais lu auparavant, je pense que m. Morin aurait dû, soit se taire s'il ne voulait rien savoir de vous, ou de lire auparavant quelques-unes de vos chroniques pour connaître vos idées et votre style d'écriture avant d'en commenter une, négativement, qui lui aurait été transmise pour considération. Car l'effet n'est pas anodin, venant d'une personalité très connue et appréciée du Québec et au-delà.

  • Henri Marineau Répondre

    2 juin 2011

    M. Lapointe,
    En ce qui a trait à votre commentaire concernant l'avocat Lucien Bouchard, je vous donne raison...En effet, on peut être en désaccord sur son rôle dans l'exploitation des gaz de schiste, il n'en demeure pas moins qu'il fait son devoir d'avocat, soit de défendre son client!
    Il convient de dissocier les tomates des oranges, en d'autres termes, Lucien Bouchard l'avocat de Lucien Bouchard, l'ancien premier ministre...ce que certains semblent avoir de la difficulté à faire!