Concernant la laïcité, les dernières semaines ont été riches en
rebondissements de toutes sortes. D’abord, il y a eu l’affrontement entre
le Mouvement laïque québécois et le maire de Saguenay qui a soulevé les
passions et la dernière nouvelle, qui n’a pas fini de faire jaser, celle du
maire de Huntingdon qui veut construire une mosquée dans sa municipalité
pour attirer les immigrants maghrébins.
Mais il est aussi un autre événement moins controversé et plus discret qui
a échappé aux médias et à l’opinion publique. Ce sont [les propositions que
Jean-François Lisée a soumises récemment sur son blogue->http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/category/laicite/] et qui se résument
à une série de mesures concrètes visant la mise en application graduelle
d’une laïcité pour le Québec. L’exercice est louable en ce qu’il force la
réflexion, avance des solutions et si l’on en juge par les nombreux
commentaires des internautes, les propositions de Lisée en ont séduit plus
d’un.
Que ces propositions aient été faites par un ancien conseiller et stratège
péquiste à quelques semaines seulement du prochain congrès du Parti
Québécois alors que des propositions sur la laïcité y seront débattues,
nous oblige à considérer d’autres enjeux que ceux de la laïcité elle-même,
des enjeux substantiels et cruciaux qui, au contraire d’une laïcisation
progressive, ne peuvent ici s’échelonner dans le temps…
Ménager la chèvre et le chou
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, voici un bref rappel des
principales propositions de Lisée. D’abord un principe directeur guide ces
mesures : le respect du fait majoritaire dont une valeur primordiale est
l’égalité entre les femmes et les hommes. Et le mot clé dans l’application
de ces mesures : de la souplesse.
Quelques exemples de mesures proposées : interdiction du port de signes
religieux pour les employés de l’État, toutefois les employés déjà à
l’emploi de l’État qui sont en contact avec les citoyens auront jusqu’à 3
ans pour se conformer à la règle, jusqu’à 5 ans pour ceux qui ne sont pas
en contact avec les citoyens. Cette règle s’appliquerait également dans les
garderies subventionnées, les écoles et les Cegeps. Les professeurs
d’université en seraient toutefois exemptés. Interdiction du port de signes
religieux pour les élèves du réseau primaire et secondaire, l’application
graduelle serait complétée dans 11 ans. Concernant les écoles privées
religieuses, fin progressive de leur financement d‘ici 17 ans. Cette mesure
ne s’appliquerait cependant pas aux écoles catholiques et protestantes.
Quant aux employés du secteur de la santé, pas d’interdiction mais de la
persuasion. Ils pourraient alors porter des signes religieux. Acceptation
de la non-mixité «dans un contexte médical intime, un citoyen ou une
citoyenne pourrait réclamer de n’être servi que par un membre de son sexe»,
interdiction dans tous les autres cas. Pas d’interdiction générale du voile
intégral sauf dans les services publics mais il serait tout de même permis
s’il y a volonté d’intégration.
Du côté municipal, les élus pourraient décider de ne pas se conformer à
l’exigence de neutralité des institutions publiques. Un vote sur le retrait
du crucifix à l’Assemblée nationale mais pas avant 5 ans alors que les élus
pourront voter sans être astreints à la ligne de leur parti.
Ménager la chèvre encore plus que le chou
Bref, des mesures parfois compatibles ou parfois non avec les principes
constitutifs de la laïcité comme la séparation de l’Église et de l’État et
la neutralité de ce dernier que Lisée se garde bien d’ailleurs de
mentionner mais un seul grand principe directeur, le respect de la
majorité, qui n’a absolument rien à voir avec la laïcité. C’est une fois de
plus le «Nous» et le «Eux» de Lisée qui refait surface avec pour
conséquence une laïcité truquée à deux vitesses; l’une qui fait semblant en
faisant du surplace et l’autre, qui malgré tout, prend bien son temps.
Trois ans pour enlever son voile, ça donne amplement de temps pour
apprendre le mandarin!
Car si vous lisez bien attentivement, cela veut dire une laïcité surtout
pour les autres même si c’est pour dans dix mille ans! Pas étonnant que
Jean-François Lisée ne parle jamais de la nécessité d’une Charte de la
laïcité qui aurait pour effet d’énoncer des règles universelles qui sont
les mêmes pour tous et qui ferait que ce qui est bon pour pitou est aussi
bon pour minou! Plus navrant encore de la part d’un ancien conseiller
péquiste de rayer en douce ce projet de Charte alors qu’il sait
pertinemment que c’est la proposition centrale du PQ en matière de laïcité.
C’est toute l’astuce de ces propositions; faire passer l’identitaire pour
de la laïcité et ainsi plaire à la majorité de Québécois en confondant les
catholiques, les nationalistes et les laïques tout en ne brusquant pas les
communautés ethniques dont la religion est minoritaire, particulièrement la
communauté musulmane. De la grande et de la petite séduction. De quoi être
nombreux à voter pour le PQ aux prochaines élections!
Du pragmatisme politique en vue du congrès du PQ
Il ne faut pas se laisser leurrer. Les véritables enjeux derrière ces
propositions de Lisée sont d’abord d’éviter la division des péquistes au
congrès sur cette épineuse question de la laïcité. En repoussant, en
soustrayant ou en étalant dans le temps, l’application de plusieurs mesures
dont entre autres la communauté musulmane ferait les frais, Lisée espère
affaiblir l’argument de Robin Philpot disant qu’il ne faut pas interdire le
port de signes religieux parce que le PQ risquerait de s’aliéner cette
communauté et diminuerait ainsi ses chances de succès en vue d’un prochain
référendum. Cet argument de Philpot est partagé par certains souverainistes
et divise actuellement le PQ.
De plus ces propositions d’une laïcité modulée en fonction de l’identité
vont plaire à bon nombre de Québécois. Ce qui serait une stratégie
favorable à l’élection d’un gouvernement péquiste et pourquoi pas le temps
venu, au succès d’un prochain référendum.
Voilà les véritables enjeux qui se cachent derrière les propositions de
Jean-François Lisée. On comprend mieux pourquoi maintenant le port de
signes religieux ne s’appliquerait pas dans le domaine de la santé de même
que pour les professeurs d’université. Il ne faut pas trop en irriter
certains. On comprend mieux aussi pourquoi les élus municipaux pourraient
se soustraire à la laïcité comme le fait l’actuel maire de Saguenay et
pourquoi les députés pourront voter mais seulement dans cinq ans et selon
leur conscience sur le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale. Plaire
au plus grand nombre et ne pas diviser le Parti Québécois pour maximiser
ses chances d’être élu aux prochaines élections. Mais toutes ces
entourloupettes feront-t-elles pour autant avancer la laïcisation du
Québec?
De la nécessité d’une Charte de la laïcité
L’ensemble des propositions de Jean-François Lisée basé sur des
considérations identitaires et des préoccupations électoralistes balaie
totalement l’idée d’une Charte de la laïcité d’inspiration républicaine qui
est la proposition centrale du Parti Québécois. Cette proposition qui est
au cœur de son programme n’est pas une proposition parmi d’autres dont on
pourrait disposer pour telles ou telles raisons parce que c’est la
proposition qui contient toutes les autres.
Cette Charte, c’est le cadre idéologique qui va donner et garantir une
orientation laïque et universaliste à tout le reste et nous préserver du
piège de l’identitaire. Renoncer à cette Charte équivaudrait à détruire la
charpente de l’édifice que l’on veut construire en matière de laïcité. Et
c’est sans compter l’immense déception que cela provoquerait face aux
attentes de la grande majorité des Québécois.
Le gouvernement libéral actuel suit les recommandations du rapport
Bouchard-Taylor qui désapprouvent l’idée d’une Charte de la laïcité et
privilégient les arrangements au cas par cas. Les propositions de
Jean-François Lisée torpillent à leur tour l’idée d’une Charte qui
donnerait au Québec une allure digne et fière, celle d’une nation enfin
capable d’affirmer clairement et constitutionnellement sa laïcité.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
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