Plusieurs facteurs participent à la dégringolade du français : américanisation de la culture, immigration massive non suivie des ressources d’intégration et de francisation nécessaires, exode de la classe moyenne hors de Montréal... N’oublions pas, toutefois, la dévalorisation systémique (pour reprendre un mot à la mode) de notre langue officielle depuis de nombreuses années au Québec. Disons-le nettement : c’est une véritable guerre larvée qui est livrée au français dans notre société même.
Désastre
L’ère Charest-Couillard fut désastreuse à cet effet. Effritement de l’application de la loi 101, imposition de l’anglais intensif au primaire malgré les lacunes de l’enseignement du français, négligence scandaleuse de l’intégration et en francisation, cours d’ECR qui apprennent aux jeunes Québécois à s’ouvrir aux cultures d’ailleurs, mais pas à celle d’ici... Philippe Couillard nous a tous ravalés au rang d’immigrants et a affirmé que l’ouvrier devait connaître l’anglais pour répondre aux questions de l’investisseur!
Le francophone est sommé de devenir bilingue sous peine de faire du «repli identitaire». Par contre, une fois bilingue, ce qui aurait dû être une source de richesse (et qui devrait l’être, en effet) est retourné contre lui comme instrument de soumission : le francophone subit la pression de parler anglais devant chaque personne connaissant mal ou nullement le français. C’est ainsi que des Michael Rousseau peuvent se soustraire à l’obligation d’apprendre le français. Enfin, toute critique des politiques d’immigration est déformée et présentée comme une attaque contre les immigrants mêmes.
Cette dévalorisation acharnée a porté ses fruits. Dans quelle langue de nombreux Québécois choisissent les noms de leur entreprise, de festivals culturels (la Poutine Week!), des chansons qu’ils choisissent dans les concours musicaux? L’italien, le chinois, le pendjabi? Non : l’anglais, toujours l’anglais. Cette «ouverture à l’autre» n’est en fait qu’une soumission au rouleau compresseur «globish». Paradoxalement, la cause autochtone, très légitime, est récupérée pour faire de la défense du français du «colonialisme».
Les gens parlant français correctement avec un vocabulaire varié sont qualifiés de «puristes» et d’«élitistes». Le «franglais» est présenté comme une «évolution» de la langue plutôt que ce qu’il est vraiment, c’est-à-dire le massacre à la fois de l’anglais et du français. Entend-on les anglophones s’enorgueillir de parler «frenglish»? Non, car ils ne sont pas masochistes, eux.
Comme des picadors fatiguent le taureau en le piquant, on décourage le francophone de chérir sa langue. Puis, une fois qu’il est bien épuisé, le toréro lui donne le coup de grâce : on l’accuse d’être lui-même responsable du déclin de sa langue en la parlant et en l’écrivant mal!
C’est comme casser une jambe à quelqu’un pour ensuite lui reprocher de ne pas marcher.
Courage
Le remède est simple, mais demande du courage : relevons la tête. Sans devenir bêtes, cessons de vouloir être gentils et aimés à tout prix. Exigeons l’apprentissage et l’usage courant du français. Envoyons valser les accusations de «repli identitaire» et d’«assimilation». Défendons nos lois, exigeons de meilleures ressources de francisation et l’amélioration de l’enseignement du français. Au lieu de parler systématiquement anglais aux personnes maîtrisant mal le français, les francophones bilingues doivent les aider à pratiquer notre langue commune. Enfin, lâchons le défaitisme et cessons de dire qu’il est trop tard.
Comme disait Pierre Falardeau : «Si tu te couches, ils vont te piler dessus. Si tu restes debout et tu résistes, ils vont te haïr, mais ils vont t’appeler "Monsieur".»
Caroline Morgan, Traductrice Saint-Lambert