La guerre des mots - 1

Chronique de Louis Lapointe


Qui ne se souvient pas s’être déjà battu avec son frère aîné, étant
fatalement condamné à perdre dans la bataille parce qu’il était plus vieux,
plus gros, plus fort et plus grand? Un jour que mon frère feignait plus de
hargne qu’à l’habitude, au lieu de lui répondre par d’autres coups qui ne
faisaient que rendre la riposte encore plus douloureuse, je me contentai de
lui dire que s’il utilisait la force de ses poings, c’est parce qu’il
n’était pas assez intelligent pour utiliser la puissance des mots pour
régler ses litiges. Sa riposte ne fut que plus violente, car je venais de
le blesser dans son amour-propre, lui qui s’estimait plus intelligent que
moi. Je remettais en question sa capacité à utiliser son intelligence
lorsque ça faisait vraiment la différence. J’avais touché là une corde
sensible que j’entendais exploiter à l’avenir.
À la même époque, prenant modèle sur les litiges qui m’opposaient à mon
frère, j’avais développé ma propre théorie selon laquelle le monde était
mené par les armes, l’argent et les mots et qu’il ne restait plus que les
mots aux Québécois qui n’avaient ni armes, ni argent pour faire la
révolution et gagner la guerre !
***
C’est exactement ce qui se passe dans les débats sur le 400e anniversaire
de Québec. Après nous avoir conquis par les armes en 1760, les descendants
de nos conquérants et leurs vassaux ont décidé de nous imposer leur vision
de l’Histoire grâce à l’argent du gouvernement fédéral, comme ce fut le cas
avec les commandites et le Love-in de 1995. Il ne nous reste donc plus que
les mots pour nous défendre. Ne nous le cachons pas, si notre révolution
doit devenir une guerre de mots, c’est parce que nous n’avons pas d’argent
et que nous redoutons tous à prendre les armes. De toute façon, nous
n’avons rien à gagner sur ce terrain-là. Ils sont plus gros et plus forts
que nous !
Il est donc normal que les mots prennent tant d’importance dans notre
combat. Les récentes déclarations du premier ministre français François
Fillon au sujet du sens qu’il faut donner aux mots Pays, Nation et au «Vive
le Québec libre» du Général de Gaulle et les réactions qu’elles ont pu
susciter en France et dans le ROC le prouvent bien. Les mots ont de
l’effet. Sinon, comment expliquer toute cette répression politique contre
les graffiteurs du RRQ à Québec?
Si de nombreux peuples ont pris les armes pour se battre, nous, nous
devons prendre les mots les plus significatifs et constituer un arsenal
pour attaquer nos ennemis et arriver à nos fins si nous voulons gagner
cette guerre, n’en déplaise à nos adversaires et à nos nombreux objecteurs
de conscience.
Toutefois, comme dans une vraie guerre, il faudra utiliser les mots avec
circonspection, discipline et stratégie. Il faudra bien définir nos ennemis
et choisir les bons mots avant de les coller à leur peau. Cependant, il
ne faudra pas trop s’en faire, au début des hostilités, certains mots
pourront provoquer de vives réactions épidermiques, comme la vue de la
chair et du sang lors des guerres traditionnelles, même dans nos troupes. À
la guerre comme à la guerre, si nous voulons gagner, nous devrons utiliser
l’artillerie lourde lorsque cela sera nécessaire. Puisque nos adversaires
tentent de réécrire l’histoire, il est normal que nous ripostions. Après
tout, ils l’ont bien cherché !
***
Naturellement, les propos incendiaires ne sont pas toujours les plus
appropriés, mais il ne faut pas se gêner pour les utiliser lorsqu’ils sont
requis, comme un certain VLB l’a fait récemment avec succès. Certains mots,
utilisés par les bonnes personnes au bon moment, ont le mérite de remettre
les choses en perspective. On l’a vu, ils peuvent faire très mal. On peut
même parfois utiliser une combinaison de mots lorsque cela est nécessaire.
Je me demande encore pourquoi Bernard Landry avait tenté de minimiser
l’impact positif de ses chiffons rouges pour décrire l’unifolié canadien.
Il avait là un bon filon. Mais, que voulez-vous, il est vrai que la guerre
des mots n’avait pas encore été déclarée à cette époque, nous étions encore
à l’ère des drapeaux !
Comme les résolutions font encore plus mal, parlez-en à Yves Michaud, il
faudrait faire adopter nos invectives et nos mots, les gros comme ceux de
l’esprit, par des assemblées délibérantes. À titre d’exemple, je vous
laisse juste imaginer l’effet que cela aurait si Dubuc et Pratte recevaient
des centaines de résolutions des différents chapitres de la SSJB,
d’associations de comté et de syndicats décrétant en termes explicites
qu’ils sont deux tristes collabos…de Paul Desmarais, il va sans dire!
L’idéal serait de recruter le plus d’organismes possible pour participer à
cette guerre. Que faudrait-il dire à Stephen Harper, Jean Charest et
Stéphane Dion pour que ça fasse mal là où ça compte ? Je savoure déjà le
moment où nous aurons trouvé les mots qu’il faut pour Justin Trudeau. Mais
gardons la tête froide, nous ne devons pas nous laisser emporter par la
passion, la guerre est une affaire de raison, surtout celle des mots.
Qu’on se le dise, il faudra faire cela dans les formes et trouver le lieu
et le moment approprié pour déclarer officiellement cette guerre à nos
ennemis fédéralistes. Il faudra trouver des gros mots appropriés avec des
cibles crédibles comme le Canada Day, le Victoria Day, les prestations de
serment des ministres et les sommets internationaux. Il faudra une armée
disciplinée avec un état-major compétent, une stratégie bien planifiée et
un plan de campagne, mais surtout pas de violence physique comme celle des
entarteurs, juste des mots. De deux maux, il faudra toujours choisir le bon
!...
À quand une vraie guerre des mots ?
Louis Lapointe

Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juillet 2008

    À Gébé, Oui Gandhi avait 500 millions d'illéttrés derrière lui. Population pacifique qui ne connaissait comme arme que le couteau pour couper le pain. À un moment de l'histoire ou le droit des peuples à disposer d'eux-même était à peine dans les textes mais pas véritablement reconnu. Ce leader a fait faire un pas à l'humanité. Alors pourquoi ne pas y croire? Pourquoi imaginer retourner en arrière avec la violence possible et avoir peur? Il est plus facile de profiter de ce droit écrit à l'ONU, signé par le Canada deux fois dans la charte d'Helsinki en 1975 et en l'an 2000 maintenant. D'autant plus que le Renvoi de la Cour suprême du Canada et le Bill c-20 reconnaissent implicitement ce droit. Cessons de pas croire en nous, peuple connu à travers le monde depuis les paroles de De Gaulle au balcon de l'hôtel de ville qui ont fait le tout du monde jusqu'au cirque du soleil et aux avions de Bombardier qui font le même voyage chaque jour. Les Indes n'en avaient pas tant. Cessons de nous sous-évaluer comme le font tous les peuples dominés avant de se lever et s'affirmer. Croyez-vous en la force de la démocratie? Croyez-vous au sens démocratique des anglos qui paraissent dans ma lignée? Et le Timor que j'ai donné en exemple qui ne comptait qu'un million de personne? Et le Kozovo moins d'un million? Les américains, peuple de culture anglo ont été les premiers à les reconnaître, non? Il faut ouvrir nos oeuillères et prendre confiance en nous.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juillet 2008

    500 millions de personnes, un peuple magnifique, ont libéré leur pays ainsi. Voilà notre modèle.
    Notre modèle ?
    Gandhi a utilisé ses atouts; sa majorité démographique extrêmement puissante (500 millions) et l'identité ethnique.
    Nous sommes maintenant minoritaires à Montréal et nous rejettons notre ethnicité.
    Le pacifisme de Gandhi ne fonctionnait pas tout seul.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2008

    Que voilà un texte réfléchi plutôt qu'une décharge émotionnelle comme la majorité de ce que je lis sur Vigil. Rien de plus sensé! Je disais, et ça n'a pas passé à Vigil -censuré- que notre modèle devait être Gandhi, ce créateur de la résistance passive. Je répondais à un texte qui flirtait avec la milice donc la violence. Ce héros des Indes a libéré son peuple avec discipline, sans effusion de sang, en priant et jeûnant pour la conversion des britanniques armés jusqu'aux dents. 500 millions de personnes, un peuple magnifique, ont libéré leur pays ainsi. Voilà notre modèle.
    Avec 1000 manifestants pacifiques qui bloquent les issus d'un parade militaire dans Québec, couchés dans la rue, voilà la résistance passive à l'oeuvre et illustrée dans toutes les presses du monde à la Saint-Jean ou au 1er juillet. Se faire arrêter sans résister, se faire porter au poste avec le sourire, voilà la victoire assurée avec le temps.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2008

    Bonjour M.Bousquet,
    Vous auriez du lire le texte jusqu'à la fin:
    « De deux maux, il faudra toujours choisir le bon !...»
    L.L.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2008

    Un exemple de mauvais mots pour LA cause dans votre message : «cette guerre à nos ennemis fédéralistes».
    J'espère que ce n'est pas une guerre et que les fédéralistes ne sont pas NOS ennemis.
    Je dirais que ça devrait être, par les souverainistes, un processus de démonstration des bienfaits de la souveraineté du Québec aux fédéralistes qui seraient perçus comme des souverainistes à devenir ou des "futurs souverainistes".
    Ce ne sera pas facile d'attirer de nouveaux adeptes en les désignant comme collabos, fédérastes etc...On ne fait que les enfermer davantage dans le coin fédéraliste. Faut juste être plus persuasif aux bons endroits avec les bons arguments "nouveaux et anciens".