Partisans du statu quo et autres bien-pensants voient la résurgence de la question identitaire dans l'actualité politique comme une calamité. Leur crainte est compréhensible: cette question risque de mettre en cause le régime auquel ils tiennent. On connaît déjà leurs critiques, éminemment prévisibles. En voici une liste, accompagnée de brefs commentaires.
Le souci identitaire est propre à la majorité québécoise de langue française. C'est vrai. Et alors? Serait-il anormal, voire malsain, pour un peuple de s'inquiéter de sa vulnérabilité et de vouloir agir en conséquence?
- Cette préoccupation conduit à la discrimination envers les minorités. Or il n'y a pas grand-chose, dans l'histoire du Québec, qui autorise une «prédiction» aussi arrogante qu'insultante — surtout quand la mise en garde émane de gens dont la position aujourd'hui dominante vient souvent du traitement que leurs prédécesseurs ont naguère infligé aux Canadiens français.
- Il est irresponsable d'alimenter le sentiment nationaliste dont l'Histoire a prouvé les dérives monstrueuses. Pourquoi toujours confondre le nationalisme (par définition périlleux quand il s'agit des Québécois) et le patriotisme? La liberté d'entreprise a produit d'innombrables cas d'exploitation: faudrait-il l'abolir? Faudrait-il interdire l'automobile, cause d'accidents? Et Internet, véhicule de porno?
- L'objectif recherché est déjà largement réalisé: la nation québécoise a été reconnue par le Parlement fédéral et vouloir aller plus loin relève du caprice et de la démagogie. Raisonner de la sorte, c'est croire naïvement que la résolution votée à Ottawa a une portée quelconque. Que le sort du Québec a une fois pour toutes été réglé par les changements unilatéraux imposés lors de l'opération «rapatriement» de 1980-1981. Qu'on peut dorénavant faire confiance à Ottawa et aux autres provinces pour assurer l'identité québécoise. Et que l'intégrité du pouvoir politique de son gouvernement ne sera jamais menacée par le nation building fédéral toujours en cours...
- La consolidation de l'identité québécoise ne réglera pas les nombreux problèmes économiques et sociaux auxquels le Québec fait face. Personne n'a jamais prétendu cela.
- S'intéresser à cette question exige des énergies dont on pourrait faire l'économie, mieux vaut s'occuper plutôt des «vraies affaires». Faut-il comprendre que les «vraies affaires» c'est n'importe quoi sauf l'avenir des Québécois comme nation?
***
Au fond, pour nos bien-pensants, tout débat identitaire est anachronique parce qu'il tente de ressusciter des inquiétudes qu'ils estiment sans objet, désuètes, d'autant qu'il n'y aurait pas péril en la demeure. Ah oui? Sans objet? Désuètes? Aucun péril? Voyons voir.
D'abord, de tous les États de l'Amérique du Nord, le Québec est le seul à devoir assumer, par ses lois, ses actions et ses institutions, la responsabilité de défendre et de promouvoir la spécificité d'une société à plus de 80 % de langue française qui, pour cette raison notamment, se distingue de la population de langue anglaise, 46 fois plus importante, qui l'entoure. Cette donnée a influencé le comportement des Québécois depuis des générations.
Ensuite, le multiculturalisme au sens Canadian du mot est devenu une sorte de norme morale qu'on oppose d'emblée aux aspirations québécoises jugées rétrogrades. Prisé dans quelques milieux «branchés», le nationalisme soi-disant civique, avatar de la rectitude politique, veut aussi atténuer la spécificité québécoise, le besoin de la défendre et, encore davantage, celui de la renforcer.
Enfin, l'idéologie réductrice des capitulards et des apôtres «post-modernes» de la dilution nationale mène à l'idée que la tolérance envers l'Autre doit se traduire chez nous par la bonasserie et, pourquoi pas, l'autoflagellation. Règle qui ne vaut que pour les Québécois «de souche», naturellement racistes, bien entendu, personne ailleurs au monde n'étant ainsi invité à être discret au point de s'effacer. Nous sommes chez nous au Québec, mais, selon certains, cela ne devrait pas trop paraître! À cet égard, l'épisode des accommodements dits raisonnables a été révélateur de la vision désincarnée de nos cosmopolites du terroir.
***
Claude Morin - Ancien ministre des Affaires intergouvernementales du Québec
La grande peur de nos bien-pensants
Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?
Claude Morin30 articles
[L'Affaire Claude Morin dans Vigile Archives->http://www.vigile.net/ds-affaires/index-morin.html]
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé