Je ne vous blâmerai pas de suivre la course à la direction du PQ d’un œil plus que distrait.
L’immigration, nous dit Sylvain Gaudreault, est un « enjeu trop important » pour qu’il précise combien d’immigrants le Québec devrait accueillir chaque année.
Il faut « dépolitiser » la question : des experts indépendants feraient des études objectives et recommanderaient un chiffre.
Impossible
Quand une question est émotive et compliquée, on peut être séduit par un appel à la sérénité et à l’objectivité.
La proposition de M. Gaudreault est au contraire une combinaison de poudre aux yeux et de calcul politicien.
Il n’y a aucun moyen de fixer objectivement un seuil idéal, comme il y a un moyen d’établir exactement à quelle température l’eau se transforme en glace.
C’est impossible, car il y a trop de variables en cause : valeurs personnelles et collectives, conjoncture économique, caractéristiques du marché du travail, comportements de l’immigrant, ressources déployées, etc.
Partisans et opposants d’un seuil X ou Y mobiliseront leurs études, leurs experts, leurs chiffres, leurs arguments.
On plaidera pour la hausse en évoquant la pénurie de main-d’œuvre. On plaidera la baisse en évoquant taux de chômage, recul du français et caractère localisé de la pénurie.
Les experts se confrontent sur des tas d’autres enjeux publics.
Les uns montreront que le nombre de gens parlant le français à la maison est en baisse. Les autres diront que ces gens comprennent tout de même le français.
Les uns diront qu’une aide économique d’urgence empêche des gens de plonger dans la misère. Les autres diront qu’elle est contre-productive si elle décourage la recherche d’un emploi.
Les uns diront qu’il est raisonnable de hausser les droits de scolarité à l’université puisque c’est un investissement que l’étudiant fait sur lui-même et dont il conservera le gros du retour.
Les autres diront qu’il peut réduire l’accessibilité des moins fortunés.
Les uns diront qu’il faut une sortie rapide des hydrocarbures. Les autres diront qu’il faut une transition étalée sur plus de temps.
Et ainsi de suite. Et chacun aura des arguments intéressants.
Cela ne veut pas dire que tout se vaut, surtout pas. Il y a des positions plus convaincantes que d’autres, mieux documentées.
Mais cela veut dire que, dans le domaine des politiques publiques, les experts ont, eux aussi, leurs valeurs, leurs idéologies, leurs ambitions, leurs intérêts.
Abdication
La Commission des droits de la personne est un bel exemple d’un organisme officiellement mandaté pour informer le public, recevoir des plaintes et faire enquête, mais qui, au fil des années, en est venu à prendre des positions carrément militantes.
Si le Vérificateur général a préservé sa réputation d’objectivité, c’est qu’il examine surtout ce qui s’est passé plutôt que ce qu’il faudrait faire dans l’avenir.
Oui, il y a une part d’arbitraire dans le fait de fixer une cible de 25 000 ou de 40 000. Mais il y en aurait aussi une dans la recommandation des experts de M. Gaudreault.
C’est simple : dites-moi qui seront ces gens et je vous dirai d’avance ce qu’ils vont recommander.
La position de M. Gaudreault est essentiellement une abdication de leadership.