En 2007, j'écrivais un livre intitulé « les ghettos de la République » dans lequel j'ai voulu dépeindre la réalité d'une situation que je connais bien. J'y racontais sans fards, la vie des quartiers au quotidien, j'y décrivais la violence, l'économie parallèle, la place prise par les fondamentalistes musulmans, les difficultés d'intégration et la misère. Depuis, c'est la société dans son ensemble qui s'est beaucoup dégradée comme si nous n'étions plus capables de répondre aux défis de l'intégration. Allons-nous laisser l'islamisme et le Front national remplir ce vide, pour notre avenir et pour notre pays ? C'est l'équation historique à laquelle nous devons répondre. Je suis persuadé qu'il est impératif de débattre de tout ce qui pourrit la vie de nos quartiers. En 1995, alors que j'étais maire de Vénissieux, les élections municipales ont porté le Front national à 29 %. Ce score élevé a agi sur moi comme un électrochoc. Dès lors, j'ai décidé de parler vrai et fort et de me libérer de tous les a priori idéologiques. Je voulais absolument sortir des clichés politiques. Je fais alors réaliser avec la Sofres, une enquête qualitative en octobre 1995 dans laquelle il était question du vote Front national. Une impérieuse nécessité de comprendre, d'entendre la souffrance et les appels au secours des classes populaires s'est imposée à moi. Il me fallait connaître les raisons pour lesquelles le vote Front national avait été si fort aussi bien dans la sphère ouvrière que chez les employés. Il me fallait également interpréter cette abstention massive qui pouvait avoisiner 80 % dans les quartiers les plus paupérisés. Voilà donc une vingtaine d'années que je m'interroge sur cette fracture, cette rupture, cet abandon des classes populaires. Je me demande également où se situe la volonté politique de combattre l'islamisme, ce danger majeur pour la République, alors que paradoxalement, cette réalité constitue le terreau du Front national. Car, pour des millions de Français, le Front national apparaît de plus en plus comme le seul parti politique à traiter le sujet de l'immigration et de l'islamisme. Soyons clairs d'emblée, l'islamisme est une idéologie qu'on ne saurait confondre avec l'islam spirituel qui concerne l'essentiel des musulmans. Hostile à toute expression libre, elle a déclaré une guerre sans merci à tout principe démocratique. Source d'inquiétudes pour la société française et occidentale, elle se voit soit confondue avec la religion musulmane, soit injustement minimisée dans sa nocivité. On ignore la dangerosité de l'islamisme et des interprétations intégristes de l'islam. C'est un islam politique. On le voit avec l'État islamique aujourd'hui, cette barbarie fasciste qui est à l'œuvre. A travers mes observations et ma longue expérience de terrain en tant que maire vingt quatre années durant, le constat que je fais est sans appel. Par conviction idéologique, aveuglement électoraliste et clientélisme électoral, une complicité « islamo gauchiste » s'est instaurée de manière insidieuse. Pour étayer ces propos, je veux citer l'exemple de ce responsable socialiste de Vénissieux qui, en juillet 2014, écrit dans le billet d'un magazine : « la laïcité est une arme de guerre contre les musulmans ». Cette phrase est explicite et démontre à quel point, dans ce cas précis, l'islamisme est ignoré. C'est comme s'il n'existait pas et ce, pour des raisons purement démagogiques. Au plus haut niveau de l'appareil d'État, un clientélisme diplomatique s'exerce ouvertement dans ses relations avec l'Arabie Saoudite ou le Qatar par exemple. Ce flirt malsain entre le politique et le religieux, entraîne de graves conséquences pour l'identité de la France. Beaucoup ont aujourd'hui le sentiment que l'héritage de la Nation française est abandonné. Ces complicités et ces non-dits participent, qu'on le veuille ou non, à l'installation de l'islamisme qui gangrène sournoisement la société française. Si pour moi, c'est insupportable, pour Marine Le Pen, en revanche, cet état de choses est la garantie de la victoire.
Car contrairement aux déclarations convenues, tout ne découle pas de la crise économique et sociale. C'est pourquoi il faut tordre le cou aux discours de victimisation et de l'excuse. Il est nécessaire d'avoir une approche moins simpliste des réalités que vivent les populations paupérisées. D'autres dimensions ont pris le pas : la crise morale, spirituelle et culturelle. Ni le chômage, ni les inégalités ne suffisent à expliquer les raisons pour lesquelles les français issus de l'immigration seraient encore plus religieux et pratiquants que leurs pères. Du reste, qu'on nous donne les raisons pour lesquelles des français d'origine se convertissent à l'islam et arabisent leur patronyme. Les ghettos ont émergé sur fond de fracture territoriale et ethnique. Ils sont peuplés majoritairement, dans de nombreuses agglomérations, par une population du Maghreb et/ou africaine. C'est cette massification que nous avons sous-estimée. Ce phénomène est très prégnant dans des territoires entiers où les français d'origine représentent une faible minorité des populations locales. C'est pourquoi la langue de bois n'est plus possible : les violences urbaines doivent devenir notre tableau de bord quotidien. C'est un phénomène qu'il faut prendre à bras-le-corps car il préoccupe au plus haut point notre société. Incendier des voitures n'est pas un fait divers, cette violence ne doit pas être banalisée. Je suis convaincu que nous devons aborder l'insécurité et l'intégrisme avec réalisme et fermeté, sans détours ni ambiguïté, en ne laissant aucun espace au Front national qui en fait son fonds de commerce. Face à ce poison mortel, les démarches partisanes sont contreproductives. La meilleure façon de combattre le FN est de traiter cette question avec lucidité, courage et sans tabou. Un climat houleux s'est installé au sein de la société française. Il est fait d'inquiétudes sur l'avenir de la Nation et de la République, d'inquiétudes aussi sur notre mode de vie qu'on sent se dérober sous nos pieds. Les dirigeants politiques de droite comme de gauche qui ont joué aux apprentis sorciers sont les meilleurs convoyeurs du Front national. Leur complicité et leur aveuglement électoraliste ont contribué à miner l'identité de la France et à laisser une société à la dérive. Ils n'ont tiré aucune leçon politique du 21 avril 2002 quand Jean-Marie Le Pen est présent au second tour de l'élection présidentielle. La gauche comme la droite républicaine sont dans le déni. Une partie de la droite, sous l'ère Sarkozy, s'est même rapprochée du Front national et a tenté de l'imiter. Nous ne devons plus nous laisser impressionner par le terrorisme intellectuel de ceux qui acceptent de mettre la République à genoux. Nous devons réagir contre la démagogie de ceux qui nient l'existence même de l'islamisme. Deux dates constituent un tournant géopolitique : la révolution islamique en Iran en 1979 et 1989 en France, l'affaire du foulard islamique de Creil. Depuis les années 1990, l'emprise de l'islamisme s'est élargie. Elle s'est ancrée profondément et durablement dans l'espace public. Dans certains territoires, la loi de la charia s'applique sans complexes, c'est un fait avéré. Qui plus est avec un milieu familial favorable, un enfermement et un endoctrinement, tous les ingrédients sont réunis pour que la gangrène puisse se propager insidieusement. Il ne faut donc pas s'étonner d'entendre des citoyens s'écrier ici et là : « On n'est plus chez nous ». Ces réactions épidermiques nous dérangent, mais elles nous obligent à prendre conscience de réalités très éloignées du microcosme parisien. Mais revenons un bref instant au 16 juillet 1981, date de « l'été chaud des Minguettes ». Pour la première fois en France, des voitures brûlent, jeunes et forces de l'ordre s'affrontent violemment. La problématique des banlieues prend alors une dimension nationale. Après ces événements, les enfants français de l'immigration maghrébine sont présentés comme des victimes. Forts de ce nouveau statut, « La marche des beurs » est entamée en 1983. Elle se voulait pacifique, à l'image de celle qu'avait conduite Martin Luther King ou Gandhi l'homme de paix. Puis, sous le gouvernement Mauroy, les politiques Gilbert Bonnemaison, maire d'Epinay et Hubert Dubedoux, maire de Grenoble, ont mis en place la politique des ZEP (1982/1983) où les grands frères ont été sollicités pour aider aux devoirs. Le fait est que les aides financières aux associations vont se multiplier et s'organiser sans le moindre contrôle. Les associations vont être prises en main pour mieux quadriller certains territoires. Ainsi, dans un contexte d'abandon industriel, les petits boulots se développent. C'est sous couvert de travail social que les populations vont être orientées fallacieusement vers l'intégrisme. Ce qui devait se produire, arrive. Les résultats du Front national aux élections européennes de 1984 sont sans appel mais ils vont être largement minimisés. Pire, dans le clivage gauche/droite, l'instrumentalisation du FN a servi de repoussoir et d'échappatoire. Au début des années 1990, Vaulx-en-Velin connaît à son tour des émeutes. La politique de la ville est mise en place à cette époque. Parallèlement, la géopolitique mondiale est bouleversée par l'écroulement de l'URSS, l'intervention militaire en Irak, la guerre civile en Algérie. La présence de membres du Groupe Islamique Armé (GIA) venus se réfugier dans les banlieues françaises est d'autant plus inquiétante car, avec son orientation et ses méthodes barbares, ce groupe veut imposer au peuple algérien un Etat islamique. Dans la région lyonnaise, est créée une organisation nommée « L'union des jeunes musulmans » (UJM) qui reçoit le soutien idéologique de Tariq Ramadan. Ce dernier va en faire son laboratoire. Khaled Kelkal est abattu en septembre 1995 dans cette même région lyonnaise. Son nom est cité dans l'attentat du RER de la station Saint-Michel. C'est lui aussi qui a déposé une bombe devant l'école juive de Villeurbanne. Quatorze personnes sont blessées. Grâce au feuilleton médiatique de son exécution en direct, Khaled Kelkal devient un héros. Or, l'UJM a toujours contesté son islamisme alors qu'il est effectivement membre du GIA. Et le discours que l'on nous ressasse sans cesse, aussi bien pour Khaled Kelkal que pour Mohamed Merah beaucoup plus tard, est le suivant : « c'est la faute au racisme institutionnel, au colonialisme ». L'État français serait donc responsable d'avoir laissé se développer les pratiques radicales et terroristes de certains musulmans.
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