Jeudi, à l'abri des caméras de télévision, Diane Lemieux a tenu à expliquer à ses collègues péquistes réunis en caucus à Québec la véritable raison pour laquelle elle quittait la politique précisément au moment où l'horizon semble s'éclaircir.
Bien entendu, elle avait été très déçue d'apprendre que Pauline Marois avait décidé de lui retirer son poste de leader parlementaire au profit de François Gendron. De son propre aveu, elle y a pris plus de plaisir qu'aux divers ministères qu'elle avait précédemment occupés. Elle adorait la stratégie parlementaire et, dans l'opposition, c'est une des très rares fonctions qui confèrent un certain pouvoir.
Il faut un gros ego pour résister aux attaques parfois féroces qui sont le lot quotidien de la politique, et celui de Mme Lemieux était surdimensionné, comme c'est le cas de la plupart des bêtes politiques, mais elle n'en était pas à sa première déconvenue. Malgré sa déception, elle aurait avalé la pilule si le malaise n'avait pas été plus profond.
Personne n'est irremplaçable, et il n'y a aucun précédent d'un leader parlementaire qui ait servi sous trois chefs différents. Il était tout à fait normal que, selon son voeu de modifier l'image du PQ, Mme Marois veuille donner un nouveau visage à son aile parlementaire.
Il est vrai que Mme Lemieux ne faisait pas l'unanimité parmi ses collègues. Ceux qu'elle ne jugeait pas suffisamment performants étaient condamnés au silence pendant la période de questions à l'Assemblée nationale, mais on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs.
Le désir de rétablir l'harmonie au sein du caucus n'était que le prétexte de son limogeage. À l'époque où ils agissaient comme leaders parlementaires, Guy Chevrette et André Boisclair n'étaient certainement pas plus délicats qu'elle. Sous sa gouverne, l'opposition péquiste a indéniablement gagné en efficacité. Si ses relations avec les députés posaient vraiment problème, on se demande bien pourquoi Mme Marois lui a offert la présidence du caucus!
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L'épithète «entière» est peut-être celle qui décrit le mieux Mme Lemieux. D'ailleurs, elle était tout aussi cassante avec les journalistes qu'avec ses collègues. Une chronique qui lui avait déplu pouvait valoir à son auteur un long ostracisme.
Il n'est pas difficile de l'imaginer claquer la porte du restaurant où l'avait invitée Mme Marois quand celle-ci lui a clairement expliqué qu'en raison de son étroite association avec Bernard Landry et André Boisclair, elle serait incapable de lui faire confiance.
Diane Lemieux ne s'en est jamais cachée: elle aime le pouvoir. Paradoxalement, c'est dans l'opposition qu'elle a le mieux performé, mais la «lionne de Bourget» n'était pas faite pour jouer les seconds rôles.
En clair, Mme Marois lui annonçait qu'elle serait désormais exclue du premier cercle, dont elle faisait partie depuis des années. Avec son amie Line-Sylvie Perron, qui avait également réalisé l'exploit de demeurer chef de cabinet de M. Boisclair après avoir occupé les mêmes fonctions auprès de M. Landry, elle formait un tandem qui en menait beaucoup trop large aux yeux de plusieurs.
Pour la première fois depuis son entrée en politique, elle n'aurait pas eu l'oreille du chef. Déjà, Lucien Bouchard avait un faible pour elle. Personne d'autre n'aurait osé le remettre gentiment à sa place comme elle l'avait fait le jour de l'annonce de sa candidature dans Bourget, en 1998, quand l'ancien premier ministre avait tenté de lui voler le micro.
On ne peut reprocher à personne d'être trop loyal envers son chef. Si Mme Lemieux avait conservé son poste, elle aurait sans doute été aussi fidèle à Mme Marois qu'à ses prédécesseurs, mais la confiance ne se commande pas. La nouvelle chef du PQ a trop souffert des manoeuvres de l'entourage de M. Landry pour ne pas se méfier de tous ceux qui en faisaient partie.
De toute manière, il aurait sans doute été impossible pour deux femmes aussi différentes de développer l'indispensable complicité entre le chef et son leader parlementaire. Mme Marois n'aurait pas toléré qu'on lui fasse la leçon, comme Mme Lemieux se le permettait fréquemment avec ses précédents patrons.
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Son avenir n'était pas définitivement compromis pour autant. La vie politique est faite de hauts et de bas. Elle n'aurait pas été la première à connaître une éclipse. Après 31 ans de vie parlementaire, qui aurait pu prévoir la résurrection de François Gendron, qui semblait condamné aux rôles de soutien jusqu'à sa retraite?
Soit, Mme Lemieux n'a jamais soutenu Mme Marois dans ses ambitions, mais François Legault en a beaucoup plus à se faire pardonner, et il n'a certainement pas renoncé à devenir chef un jour. Cela ne l'empêchera pas de demeurer une des vedettes du PQ et d'accéder éventuellement aux Finances. Même un homme aux loyautés aussi successives que Sylvain Simard espère encore récupérer une limousine. Nicolas Girard, lui, ne doit pas se faire trop d'illusions.
En cas de victoire péquiste aux prochaines élections, Mme Lemieux aurait hérité d'un ministère important. La mise en veilleuse du référendum et la redéfinition de la social-démocratie ne lui auraient posé aucun problème de conscience.
D'éminentes personnalités péquistes ont bien tenté de la convaincre de rester. S'il y a une leçon à tirer de l'histoire récente du PQ, c'est que l'avenir est hautement imprévisible. À 45 ans, Mme Lemieux pouvait se permettre d'attendre des jours meilleurs. Malgré d'indéniables talents pour la politique, il lui manquait une qualité essentielle: la patience. Depuis neuf ans, elle s'était payé un beau power trip et elle ne pouvait pas accepter de l'interrompre, même temporairement.
Diane Lemieux avait ses défauts, mais son départ n'en demeure pas moins une perte pour le PQ et pour le projet souverainiste. Malheureusement, il n'est pas facile de faire primer les intérêts de la patrie et du parti sur ses propres intérêts quand ils ne coïncident pas.
mdavid@ledevoir.com
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