La fin de la paix linguistique?

La langue - un état des lieux



De plus en plus, l'actualité renvoie au statut du français au Québec. Les données du dernier recensement font l'objet d'interprétations divergentes selon que l'on soit fédéraliste ou souverainiste. Tandis que certaines études sont tenues secrètes, des enquêtes confirment le déclin du français à Montréal et la ministre responsable de l'application de la loi 101 affirme qu'il n'est pas question d'empêcher un anglophone de venir travailler à Montréal!

Trente ans après l'adoption de la loi 101, le français reste au Québec la langue de la majorité; à Montréal, l'anglais est la langue commune, celle qui est choisie par des locuteurs de langue différente qui veulent communiquer entre eux. Cette situation était prévisible.
Fausse assurance
La loi 101 aurait créé un équilibre qu'aucun gouvernement ne veut perturber. Elle a faussement donné l'assurance que le statut du français au Québec était dorénavant garanti. L'affichage principalement en français a renforcé cette assurance.
Pendant ce temps, les tribunaux, même si on leur doit des solutions originales comme la règle de la prépondérance du français dans l'affichage commercial, anéantissaient des pans entiers de la loi 101 (justice, législation, raisons sociales, affichage commercial, éducation). Ils ont en cela tracé les limitations que le cadre constitutionnel actuel impose à la protection du français.
Le gouvernement fédéral a quant à lui poursuivi -- il y est d'ailleurs tenu par la loi -- la promotion du bilinguisme au Québec. Sous la houlette du CRTC par exemple, le paysage de la radio et de la télévision anglaises au Québec est devenu complètement disproportionné par rapport à l'importance numérique de sa minorité anglophone.
Fier d'être bilingue
Le francophone est pour sa part resté incapable d'imposer sa langue et, généralement, il continue de faire preuve d'une sollicitude inexpliquée à l'endroit de la minorité anglophone. Si le francophone est fier de sa langue, il l'est encore plus de son bilinguisme, si c'est le cas. D'autant plus que la mondialisation et les technologies de l'information ne font que renforcer l'attrait de l'anglais. La jeune génération est ignorante des luttes passées en ce qui concerne le statut du français et les baby-boomers ont retraité en banlieue. Bilinguisme individuel et langue commune sont confondus et les enjeux linguistiques sont mal définis. Enfin, la campagne contre la loi 101, habilement menée et jamais terminée au Canada anglais, a stigmatisé la population francophone.
L'administration gouvernementale du Québec recourt de plus en plus au bilinguisme dans son offre de service et Montréal, une ville que la loi déclare de langue française, jadis «deuxième ville française du monde après Paris» mais qui n'en finit plus de perdre ses titres, publie ses annonces et avis en français et en anglais et offre systématiquement ses services dans ces deux langues. Le prétexte utilisé par l'administration est que la loi 101 n'interdit pas l'utilisation d'une langue autre que le français.
Bref, pendant ce moment de paix linguistique, c'est le bilinguisme dont on a fait la promotion au Québec et non le français. Voilà le message clairement envoyé par la société québécoise aux nouveaux arrivants.
Une société de langue française
La situation actuelle, si elle paraît désolante, peut néanmoins être corrigée, non pas par une répression de l'anglais mais par la promotion permanente et systématique du français dans tous les secteurs de la société québécoise.
Sur un continent où les rapports sont de un individu parlant le français contre 55 parlant l'anglais, on saisit rapidement que c'est le français qui doit être promu, même au Québec, partie de ce continent. Depuis les années 60, toutes les législations linguistiques au Canada et au Québec ont visé cet objectif.
À cette époque, le rapport Parent confiait à l'école la mission fondamentale de donner à l'élève la maîtrise de la langue française comme langue principale et une connaissance adéquate de l'anglais comme langue seconde. Force est de constater qu'aujourd'hui, cet objectif reste toujours à atteindre. Il est donc urgent d'agir de façon à redonner au français d'ici et d'ailleurs la fierté et le prestige qui sont les siens. L'enseignement de l'anglais, langue seconde, doit aussi être revu. Il est anormal que le plus grand cégep au Québec soit un collège anglophone (Dawson) et qu'autant de francophones et d'allophones fréquentent les institutions universitaires de langue anglaise, surtout pour devenir «bilingues».
Appliquer la loi
Il ne faut pas hésiter à appliquer la loi 101 telle qu'elle est. Le français doit clairement être la langue de l'administration publique au Québec, au niveau tant provincial que municipal -- surtout à Montréal --, et l'utilisation de l'anglais doit être restreinte aux seuls cas prévus expressément par la loi.
Dans ce domaine, c'est à l'utilisateur de s'ajuster à l'offre de services et non l'inverse. Il faut rappeler aux institutions bilingues du réseau social et hospitalier qu'elles sont des institutions québécoises avec un mandat précis et non des institutions anglophones. Sur le plan de la langue du travail et du commerce, il faut étendre le champ d'application de la loi 101 aux petites entreprises et ne plus tolérer qu'on fasse de l'anglais une condition d'emploi omniprésente sur le marché du travail.
Enfin, dans le domaine de l'immigration, rappelons que c'est le Québec lui-même qui procède à la sélection des candidats. Il lui revient donc d'accorder plus d'importance au facteur linguistique et d'investir davantage dans les cours de français. Il faut surtout se rappeler que la promotion du français au Québec, donc dans le contexte nord-américain, a un prix économique et nécessite des investissements.
Mais par-dessus tout, pour que le français devienne véritablement la langue commune du Québec, il faut un engagement clair et sans équivoque de sa population à édifier une société de langue française en Amérique du Nord, peu importe que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du cadre constitutionnel canadien. Or, à notre avis, cet engagement n'existe pas encore.
Message ambigu
Cessons de blâmer l'anglophone ou l'allophone. La situation linguistique actuelle découle en grande partie de l'ambiguïté du message envoyé par la population francophone, laquelle semble privilégier le bilinguisme au détriment de sa propre langue. Le Québec est assis entre deux chaises en ce qui concerne son destin politique. Il fait de même sur le plan linguistique.
La paix dans ce domaine est synonyme de rien d'autre que de laisser-aller. À ce jeu, on voit déjà apparaître les effets dévastateurs à long terme de cette insouciance. La paix linguistique serait-elle remise en question? Tant mieux! Mais il faudra beaucoup plus pour que le français devienne véritablement la langue commune du Québec. Au fait, que prévoient les partis politiques à cet égard? On peut aussi tout simplement remettre la question au prochain recensement...
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André Braën, Avocat et professeur à la section de droit civil de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa
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