La fin de l’histoire et les derniers Québécois

Chronique de Louis Lapointe

Même si cela peut paraître étonnant au premier abord, je ne crois pas que la crise que vit actuellement le PQ et celle qui plane sur tous les partis politiques québécois soit le résultat d’une prise de conscience collective similaire à celle qui a enflammé l'Afrique du Nord.

Ce que j’ai vu aux dernières élections fédérales n’annonçait pas ça.

Contrairement à ce que prétendent de nombreux chroniqueurs et analystes politiques, je ne crois pas non plus que le présumé remplacement du clivage indépendantiste/fédéraliste par le clivage gauche/droite suffise à lui seul à expliquer la crise politique que nous vivons présentement au Québec. Mon intuition me conduit ailleurs.

Les Québécois ayant adopté l’attitude de consommateurs vis-à-vis leurs partis politiques, c’est plutôt une crise de consommation politique que je perçois, la démission de quatre députés du PQ n’étant qu’un épiphénomène, un aveu d’impuissance de ces parlementaires face à un marché tout-puissant et omnipotent.

À défaut de militer afin d’influencer les courants politiques, les Québécois se sont mis en attente d’offres de services politiques. Ils ont succombé à une forme d’apathie collective induite par les médias, un phénomène amplifié par les sondages.

C’est dans ce contexte qu’il faut voir l’élection de 59 candidats du NPD à la dernière élection fédérale et la popularité montante de François Legault et d'Amir Khadir.

Si rien n'est fait, c’est la fin de l’Histoire québécoise que je vois poindre à l’horizon, analogue à celle qu’annonçait Francis Fukuyama.

Voici ce que j’écrivais à ce sujet dans un billet du 5 mai 2008, De la nation à la consommation, l’illusion de la liberté,

(...)

« Or, un des dangers qui nous guette, si nous demeurons une minorité au sein d’un Canada uni, est qu’en continuant de croire que nous sommes une nation majoritaire, nous interprétions les phénomènes d’effritement de notre société, de notre langue et de notre économie comme normaux en contexte mondial, alors que dans le cas spécifique du Québec, ces phénomènes sont exacerbés par l’insidieux colonialisme canadien. Un discours soutenu avec vigueur par des médias comme La Presse qui encourage la normalisation de la société, le bilinguisme et délocalisation de nos principaux leviers économiques sous prétexte de la mondialisation.

Un autre grand danger qui nous guette, c’est cet individualisme nourri par un capitalisme qui procure à l’individu un faux sentiment de sécurité, celui où le citoyen est remplacé par le consommateur. L’argent achetant tout, les Québécois seraient libres, dans l’absolu, de tout consommer : la santé publique ou privée, l’école publique ou privée, la religion, le français, l’anglais, le nationalisme, le fédéralisme ou l’indépendantisme.(…)

Cette illusion de liberté individuelle que procure notre pouvoir d’achat sans fin, soutenu par de nombreuses sources de crédits, ferait alors éclater définitivement les liens qui nous unissent comme minorité nationale et plus largement comme société. Grâce à cette liberté individuelle de consommer des idées, de la culture et des aspirations, comme on consomme des boîtes de conserve ou des téléviseurs, nous deviendrions alors légers, dépouillés du poids de l’héritage et des rêves de nos ancêtres, l’argent devenant alors la seule source de liberté, car il peut tout payer, même l’éternité.

Dans une telle perspective, l’indépendance ne serait plus une urgence ou un enjeu collectif, mais bien le résultat d’un choix individuel comme peut l’être tout autre objet de consommation que nous serions libres de consommer. Un peu comme Sisyphe, nous pousserions alors notre pierre sans relâche, sachant qu’une fois au sommet, elle roulerait invariablement vers le bas. Nous serions libres d’accomplir une démarche dont la liberté ne serait jamais le résultat, l’indépendance devenant une gymnastique individuelle à laquelle seuls les initiés se livreraient, à l’image de ceux qui pratiquent le taï-chi ou le yoga.(…)

Grâce au relativisme des chartes, nous serions alors passés de la nation à la consommation, vivant désormais dans le meilleur des mondes. Un univers où nous serions enfin majoritaires, étant tous devenus des consommateurs !»

post-scriptum

En conclusion, «le combat des patriotes pour l’indépendance et la souveraineté du peuple reste donc entier.»* Commentaire de Pierre Cloutier.

Le 8 juin 2011.

***

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2011

    En ces temps troubles je suis moi-même troublé au point où je ne sais plus quoi penser de tout cela. Ça n'est pas dans mes habitudes que de ne pas savoir quoi penser pourtant. Mais présentement je ne parviens pas à analyser correctement ce qui se passe.
    Ce comportement de consommateur que monsieur Lapointe décrit m'inquiète au plus haut point. Quand on en arrive à ne plus faire la différence élémentaire entre les partis politiques et que l'on se positionne par nos votes comme s'il n'y avait pas de conséquences à long terme des gestes posés, je pense que ça montre un désabusement profond.
    Plus rien n'a d'importance. Hier on vote Layton, demain on votera Legault, ou pire Charest encore, alors que des soupçons sérieux de corruption planent sur son gouvernement.
    En ce qui a trait au PQ je ne vois qu'une solution, le départ de madame au plus sacrant. Elle plombe les chances de renverser Charest, et pave la voie à Legault. Dans tous les cas on est perdant.
    Je me demande même si je vais voter aux prochaines élections. Sans attentes, au moins je ne serai pas déçu du résultat...

  • Archives de Vigile Répondre

    8 juin 2011

    Me Lapointe,
    Le vote contre le Bloc et en faveur du NPD ce n'est pas un phénomène gauche-droite.
    Cela ressemble plus à une fronde de l'électorat contre les politiciens professionnels du PCC, du PLC et du Bloc, perçus comme de vieux partis.
    Les poteaux amateurs du NPD sont perçus comme "non corrompus" et leur chef, Jack Layton a la même image : celle d'un politicien honnête et intègre qui prend les intérêts du peuple au delà de ses propres intérêts, une exception à la règle de la méfiance et du cynisme.
    On lui fera confiance pour un temps limité, temporaire et sous haute surveillance. C'est le temps de la défiance en ce qui le concerne.
    Le même phénomène peut fort bien se reproduire au Québec envers le PQ et le PLQ et au profit de l'équipe Legault et de QS. Ce sera alors un affrontement gauche-droite.
    Mais tout cela reste dans le domaine du possible. Ni vous ni moi n'avons de boule de cristal.
    Je persiste toutefois à croire qu'il y a bel et bien une crise de la démocratie de représentation qui se pointe dans les démocraties occidentales, plus particulièrement comme l'Espagne et la Grèce.
    Nier cela serait faire le jeu de l'autruche.
    Le combat des patriotes pour l'indépendance et la souveraineté du peuple reste donc entier.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat à la retraite