La fin de l’ALENA serait-elle une catastrophe?

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Le Québec devra s'adapter à la démondialisation

Nous sommes, selon les dires de plusieurs, en pleine période d’incertitude économique en raison de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) imposée par Donald Trump. Qu’est-ce qui adviendra de nos exportations? Nos emplois? Comment, au Canada et au Québec, traverser cette tourmente? Bien que des risques réels existent si un nouvel accord est signé à l’avantage unique des intérêts américains (pensons à la remise en question de la gestion de l’offre ou encore à ce qu’il nous reste de protection culturelle), est-il juste de présenter la fin de l’ALENA comme une catastrophe à éviter à tout prix?


Deux études récentes, l’une de l’Institut C.D. Howe et l’autre du Groupe financier Banque de Montréal (BMO), mettent de sérieux bémols sur les scénarios les plus alarmistes. Et si au fond, la fin de l’ALENA ne cachait pas autant d’opportunités à saisir que de malheurs à appréhender?


INCIDENCE SUR L’ÉCONOMIE


Selon la première de ces études, la fin de l’ALENA occasionnerait des pertes de 15 G$ pour l’économie canadienne (0,55 % du PIB) et pourrait faire disparaître entre 25 000 et 50 000 emplois. Sans minimiser pour les gens concernés la tragédie que représente une perte d’emploi, force est de constater que nous ne sommes pas face à un scénario démesurément négatif. Du côté de la BMO, les résultats vont dans le même sens avec une diminution du PIB de 1 point de pourcentage sur 5 ans, ce qui résulterait en une hausse de 0,5 % du taux de chômage.


Aussi, notons que cet impact sur le Québec devrait être plus bas que pour nos voisins ontariens, principalement en raison de la diminution des exportations pressenties dans le domaine de l’industrie automobile.


Selon ces deux études, le scénario d’une éventuelle fin de l’ALENA ne veut donc pas dire le déclenchement d’une catastrophe économique. D’abord en raison de la capacité adaptative des entreprises canadiennes (capacité à trouver de nouveaux débouchés), ensuite parce qu’il serait possible de contourner les embûches posés par la fin de l’ALENA (notamment par une négociation bilatérale avec le Mexique ou encore la réactivation de l’accord États-Unis/Canada) et finalement parce que les règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui ont grandement évoluées en 25 ans, viennent limiter les possibles augmentations de tarifs douaniers.


INTÉRÊTS DES ÉLITES VS INTÉRÊTS DE LA POPULATION


L’histoire économique du Canada est d’abord celle écrite par nos élites marchandes. Que ce soit pour faire le commerce, de la fourrure au bois, en passant par le blé ou les minerais, l’économie canadienne s’est construite afin de satisfaire les besoins en ressources ou en produits peu transformés de puissances étrangères (France, Royaume-Uni, États-Unis).


Ceci explique pourquoi on trouve, au Canada, une classe dominante si attachée au libre-échange : elle n’a jamais voulu miser sur le développement des capacités industrielles canadiennes afin que celles-ci répondent au marché national, mais bien pour les mettre au service du marché mondial.


La Confédération elle-même a été le fruit d’une négociation commerciale. Les ports du Haut et du Bas-Canada étant fermés six mois par année en raison de l’hiver, les élites marchandes voulaient avoir à leur disposition un port libre de glace afin de pouvoir expédier leurs marchandises. C’est là que l’idée de joindre la Nouvelle-Écosse à l’ensemble canadien s’est imposée, principalement afin de pouvoir bénéficier des avantages du port d’Halifax.


L’enjeu du libre-échange est donc central aux préoccupations de nos élites économiques, et ce depuis un bon moment. Cependant, comme les résultats mentionnés plus haut l’indiquent, il est faux de prétendre que de cette ouverture dépend le bien-être de la population. La fin de l’ALENA ne serait pas catastrophique pour les Canadiens et les Canadiennes, mais attaquerait la marge de profit de nos élites qui se structure à même les exportations. Quand nos gouvernements s’inquiètent de la fin de l’ALENA, c’est d’abord par souci des intérêts de ces élites.


NOUVEAUX POSSIBLES


Au lieu de se plaindre du caractère rétrograde des volontés protectionnistes de Trump ou de craindre l’apocalypse chaque fois que la fluidité du commerce est menacée, pourquoi ne pas profiter de cette renégociation pour faire le procès systématique de l’ALENA? Et pourquoi ne pas commencer à justement remettre en question l’orientation exportatrice de notre économie au bénéfice de la satisfaction des besoins locaux?


L’idée ici n’est pas de faire l’éloge de l’autarcie ou d’un quelconque repli sur soi. Seulement, à l’heure de l’urgence climatique, favoriser des circuits économiques plus courts (limiter la distance parcourue par les biens que l’on consomme) est une bien meilleure perspective à long terme que de se battre pour protéger l’accès au marché américain des produits de notre élite locale.