La fête gâchée

Je pourrais parler de l'anomie actuelle qui gangrène nos sociétés

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Hockey - "Canadiens de Montréal"...

Le centre-ville de Montréal a été pour le moins agité lundi soir, après la victoire du Canadien contre les Bruins de Boston. (Photo David Boily, La Presse)

Sans vouloir jouer au grand prophète prétentieux et irritant, je prétends que les tristes émeutes qui ont «accompagné» lundi soir la réjouissante victoire du Canadien étaient relativement prévisibles. Elles ne m'étonnent donc pas. Dans une certaine mesure, le scénario était écrit d'avance, pas dans ses moindres détails, mais dans sa configuration générale.

Je pense que nous vivons dans un monde dans lequel de nombreuses personnes éprouvent une impression rappelant celle des vieux punks d'antan, une impression d'avenir bloqué et obstrué, une impression de no future. La crise environnementale et certains scénarios apocalyptiques qui gravitent autour de cette crise sont susceptibles de déboucher sur une désespérance dont il est difficile de mesurer l'ampleur. Je dirais à peu près la même chose à propos des angoisses liées à une mondialisation qui, par moments, semble sauvage et incontrôlée, sinon incontrôlable.
Je pense aussi que dans une société prônant l'individualisme, ce mot peut prendre deux significations différentes. L'individualisme peut être une sorte de personnalisme généreux et «progressiste» qui valorise la personne humaine. L'individualisme peut aussi être interprété comme étant une forme de narcissisme, de nombrilisme et d'égocentrisme. Je trouve que chez de nombreux «citoyens» pas très civiques, l'option égocentrique et narcissique est celle qui prévaut.
L'un des signes de cela, je le retrouve dans le phénomène des graffitis. Il y a 15 ou 20 ans, de nombreux graffitis présentaient des «tableaux» souvent très beaux, très esthétiques. Il y avait aussi beaucoup de poèmes dont certains étaient bouleversants. Je me rappelle avoir étudié le phénomène des graffitis avec de nombreux étudiants, il y a 20 ou 30 ans. Et en dépit de l'aspect «vandalisme», il était possible de trouver des qualités indéniables à nombre d'entre eux. Aujourd'hui, c'est l'option narcissique qui prévaut. Il s'agit, pour de nombreux graffitistes, de graver leur «tag», d'imposer leur «signature». Et, en espérant que je n'erre pas totalement, je me permettrais de comparer les fabricants de «tags» aux émeutiers irresponsables, asociaux et dénués de toute perspective sociale. Il me semble que les émeutiers veulent, à leur manière délétère et stupide, laisser leur marque, nous forcer à contempler leur triste «tag». Ils pensent qu'ils veulent changer le monde alors que leur centre principal d'intérêt, c'est leur triste nombril.
Je trouve aussi que l'idée libertaire est une idée essentielle et tonifiante. Mais il y a actuellement une perversion du concept de liberté. Pour de nombreux «anarchistes» autoproclamés et plus autoritaires que libertaires, la seule stratégie est celle qui consiste à tout casser et à affronter la police, comme si cela pouvait chambarder l'ordre établi. Je respecte les idées anarchistes et libertaires lorsqu'elles sont assumées par des personnes comme Noam Chomsky, Normand Baillargeon ou Francis Dupuis-Déri. Mais il y a une pléthore de faux libertaires qui contaminent et discréditent l'idée de la liberté.
Je pourrais en dire plus. Je pourrais parler de l'anomie actuelle qui gangrène nos sociétés. Mais je conclurai en disant que dans le contexte socioculturel actuel, je ne suis pas étonné de constater que de minables «casseurs», complètement irresponsables, viennent «bousiller» le climat de joie et d'allégresse qui accompagne la victoire éclatante du Canadien de Montréal. Comment la joie et l'allégresse peuvent-elles entraîner des gestes si stupides et si peu jouissifs? La question est posée!
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Jean-Serge Baribeau
L'auteur est sociologue des médias.


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