Paris Hilton est à Montréal? Benoît XVI rencontre George Bush? Et après! Certains d'entre nous, indifférents à un fait d'actualité ou à un phénomène de société, ressentent parfois une forme de malaise.
Au bureau, dans les soupers en famille, au resto du coin, on parle de quelque chose qui ne nous intéresse guère, et puis soudain, l'inconfort: je ne me sens pas à ma place. Ces temps-ci, tout le Québec semble vibrer à l'unisson pour le Canadien de Montréal. Chers indifférents, ne voyez-vous pas autour de vous ces bras ardents tendant fièrement le flambeau? Avez-vous envie de le porter bien haut?
Installés à une table de la cafétéria du collège où je travaille, six élèves discutent hockey. «On va-tu gagner à soir?» «Va falloir qu'on travaille fort en troisième!» L'utilisation de ces pronoms personnels intéresse le sociologue qui les écoute à leur insu: le «on», le «nous». D'où vient cette utilisation? Du sentiment d'appartenance, diront certains. Le hockey fait partie de notre identité, de notre histoire, de notre culture, diront les autres. Cela est une évidence, voire un cliché. De mon point de vue, ce sentiment d'appartenance en dit trop, et pas assez. Il nous faut aller plus loin. Car si le hockey fait partie de notre identité, comment expliquer que certains individus ne soient pas affligés par l'actuelle fièvre du hockey? Sont-ils en crise identitaire? Certes pas!
La fièvre du hockey relève d'un phénomène typique et prolixe dans toutes les sociétés de l'histoire: la conscience collective. La conscience collective est un concept sociologique élaboré par le sociologue français Émile Durkheim. Il s'agit de «l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une même société». La conscience collective met en relief la portée de certaines valeurs communes, d'une dimension du lien social. Elle prend la forme d'une adhésion émotionnelle ou rationnelle de la part des individus. Dans ce cas, le «je» est remplacé par le «nous». L'individu s'oublie momentanément, perd de son autonomie pour entrer dans quelque chose qui le transcende et l'interpelle. C'est cette douce emprise qu'exerce sur nos consciences individuelles ce que l'on nomme la «société».
Cohésion sociale
De ce fait, la conscience collective n'est pas l'addition simple de tous les «je» qui participent au mouvement, pas plus qu'elle ne reflète l'ensemble de la société. Au contraire, c'est l'expression d'une forme parmi d'autres de cohésion sociale, régie par des règles et des modèles préétablis, incorporés dans la conscience des individus. Tous savent un peu ce qu'est un vrai «mordu» de hockey. Mais tous ne vont pas jusqu'à confectionner eux-mêmes, dans leur garage, leur propre coupe Stanley! Certains «mordus» ont aussi d'autres chats à fouetter que de suivre sans relâche les activités de la LNH. C'est bien beau le hockey, mais dis-moi mon amour, est-ce que tu m'aimes?
Pour assurer la reproduction du lien, l'événement prend la forme de prophéties auto-réalisatrices, du fameux phénomène «boule de neige»: tout le monde en parle, et nous en parlons parce que tout le monde en parle, et ainsi de suite. Sur ce, les médias de masse participent eux aussi à la propagation du phénomène.
Devant cette expression fanatique - du latin fanaticus, inspiré - il n'est pas étonnant que les «indifférents» puissent ressentir une forme de malaise, d'inconfort. À l'origine du lien social, de l'expression même de la conscience collective, on retrouve le plus ancien et le plus efficace ciment social qui soit: la religion - de religare, relier. Les «fanatiques» du Canadien sont fortement reliés - ce qui est très bien d'ailleurs! - et rassemblés autour de symboles et de valeurs communes qui, sous les auspices de la modernité, sont si temporaires, si évanescents. Pourtant, l'appartenance passagère est parfois puissante. Elle nous donne l'impression, à nous les «externes», d'être des étrangers, voire des impurs. Nous sommes aussi des «je» qui cherchent à former un «nous». Où trouver ce «nous»? Dans nos familles, à l'école, au bureau, en couple. Peut-être retrouverons-nous là, le confort dans l'indifférence? Et après tout, Paris Hilton reviendra à Montréal et, qui sait, avec un chandail de «nos» futurs champions!
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Vincent Paris
L'auteur est professeur de sociologie au cégep Saint-Laurent et doctorant en sociologie à l'Université du Québec à Montréal.
Fièvre du hockey: l'inconfort de l'indifférence
Hockey - "Canadiens de Montréal"...
Vincent Paris1 article
Professeur de sociologie au cégep Saint-Laurent et doctorant en sociologie à l'Université du Québec à Montréal.
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