La droite et les souverainistes

Droite - réplique syndicale et social-démocrate


L’histoire n’est pas regardante quand vient le temps de nourrir politiquement les mouvements indépendantistes. Au sud de notre frontière, l’indépendance fut une révolte de commerçants, contre le monopole britannique.
Sur le programme du PQ de 1970, Lévesque envoie ses signaux. Au recto, son voisin est l'ex-créditiste Gilles Grégoire.
Sur le programme du PQ de 1970, Lévesque envoie ses signaux. Au recto, son voisin est l'ex-créditiste Gilles Grégoire.
En Amérique latine, tous les mélanges sociaux furent mis en œuvre: aristocratie locale, populisme, révoltes d’agriculteurs. Au Vietnam, le nationalisme était communiste. Ailleurs, il s’est nourri de l’extrême-droite.
Au Québec, malgré des antécédents nationalistes de droite avant 1960, le mouvement indépendantiste moderne s’est constitué au centre-gauche, au début de la Révolution tranquille, dans le creuset de la contestation des ordres établis — anglophones, cléricaux, patronaux, multinationaux.
Le très pragmatique René Lévesque avait compris très tôt que l’effort de rassemblement nécessaire pour faire passer le Québec du statut de province à celui de pays exigeait de son nouveau parti qu’il ne soit prisonnier d’aucune idéologie.
Il refusa donc de se lier de trop près, contrairement à ce qu’avait fait le NPD, par exemple, aux syndicats qui constituaient pourtant sa principale base militante. Il exprima sa position plus largement, dans son habile formule du “préjugé favorable aux travailleurs”.
Mais il tendit la main également vers la droite et la fondation du PQ se fit dans la fusion du Mouvement Souverainté-Association, de Lévesque, avec le Ralliement National, créditiste, clairement campé dans la droite rurale populiste.
Il faut rappeler aussi que Lévesque a beaucoup regretté que le jeune fiscaliste marié à la richissime famille Simard, un certain Robert Bourassa, refuse au dernier moment de se joindre à lui.
Ces choix étant faits, il faut encore saluer le pragmatisme de Pierre Bourgault, alors chef du très socialiste Rassemblement pour l’Indépendance Nationale, de saborder son parti pour que ses militants rejoignent, sans condition, un PQ qui tenait à se présenter sous les couleurs d’une coalition.
Bourgault, comme Lévesque, savait qu’il fallait rassembler, et non diviser, pour progresser. Le centre de gravité du PQ allait donc être de centre-gauche, mais son équipe allait toujours faire une place à une aile de centre-droit. Cette cohabitation allait être parfois malaisée, mais le plus souvent féconde.
Les membres de la coalition venus de la droite se savaient en minorité, comprenaient que cette position était systémique, mais menaient leurs batailles dossier par dossier, avec suffisamment de victoires pour les satisfaire et se maintenir dans la coalition.
Cet équilibre, qui peut prendre plusieurs formes, a permis à l’idée souverainiste de partir de 6% au début des années 60 et de se rendre à 50% au référendum de 1995. C’est la seule formule gagnante.
Parizeau, homme de gauche ?
On l’oublie aujourd’hui, compte tenu de la pré-béatification dont il est l’objet dans le mouvement souverainiste, y compris à gauche, mais l’arrivée du grand bourgeois, diplômé de Londres, professeur aux HEC Jacques Parizeau dans l’orbite de Lévesque ne fut pas perçue comme une infusion de gauchisme, bien au contraire.
Lorsque le PQ prit le pouvoir en 1976, la Pravda soviétique qualifia le parti de “petit bourgeois”. Le ministre des Finances Parizeau rétorqua: “pourquoi petit?” (Vrai, avant 1976, il avait fait un — bref — flirt avec l’idée d’autogestion.) De 1976 à 1984, Jacques Parizeau incarna, avec d’autres, dont la recrue de l’Union Nationale Rodrigue Biron, l’aile droite d’un Parti québécois alors très actif au centre-gauche: protection du consommateur, assurance-auto, zonage agricole, etc.
Mais je me souviens, étudiant de gauche, avoir manifesté contre “le budget des Banques” du ministre Parizeau début 1978.
Devenu premier ministre en 1994 (et ayant la faiblesse de me prendre comme conseiller), M. Parizeau était très conscient de l’absolue nécessité d’élargir la coalition souverainiste — dans toutes les directions idéologiques.
Avec les Partenaires pour la souveraineté, auxquels il tenait beaucoup, il a consolidé et étendu l’effort sur son flanc gauche — jusqu’à Françoise David et au-delà. Mais il fut également actif pour aller recruter à droite, par le mécanisme des Commissions sur l’avenir du Québec, des anciens ministres conservateurs de Mulroney — Marcel Masse, Monique Vézina — des anciens libéraux et autant d’entrepreneurs que possible.
La présence, dans la coalition référendaire, de l’ancien ministre conservateur, un certain Lucien Bouchard, et du jeune chef d’un parti de centre-droit, Mario Dumont, n’est pas pour rien dans la capacité de la plus grande coalition de l’histoire du Québec de porter la nation au seuil de la souveraineté au soir du 30 octobre 1995.
La coalition péquiste, aujourd’hui et demain

Il y a deux façons d’aborder la re-construction d’une coalition souverainiste dans la phase historique qui s’ouvre. On peut, comme René Lévesque et Jacques Parizeau, s’ancrer au centre-gauche mais accueillir le centre-droit.
L'historien Éric Bédard et l'auteur Mathieu Bock-Côté accusés à tort d'être "non indépendantistes" par Monsieur 1.2% pour cause d'impureté idéologique.

Ou on peut adopter l’attitude d’un des porte-paroles auto-déclarés de la gauche péquiste, Pierre Dubuc, du SPQ-Libre, qui considère comme “non indépendantiste” une garde montante d’intellectuels souverainistes conservateurs dont l’historien Éric Bédard et l’auteur Mathieu Bock-Côté. Ce qui est à la fois faux et blessant pour ces partisans de la souveraineté.
Écrivant dans L’Aut’journal fin septembre, Dubuc les voyait “tout naturellement dans les bras des Lucides Legault, Facal et Bouchard” et dans le (futur, virtuel) parti de François Legault. Une façon comme une autre de leur dire d’y aller, et donc d’affaiblir le parti, la coalition et la cause souverainiste que M. Dubuc veut défendre.
Pierre Dubuc a beau n’avoir eu que 1,2% des voix lors de la course au leadership péquiste de 2005, reste qu’un peu à la manière des libertariens, sa portée médiatique est plus forte que son poids réel. (Transparence totale: ayant pris ma carte du PQ pour voter à ce scrutin, j’ai voté Dubuc — mais en quatrième position car il fallait indiquer quatre choix par ordre de préférence. Souvent intéressant dans ses écrits, Dubuc est régulièrement à mon endroit d’une malhonnêteté intellectuelle qui sied mal à la construction d’une coalition entre souverainistes. Chacun son style.)
Il est certain que si suffisamment de posture-à-la-Dubuc parvenait à rendre très inconfortable la cohabitation, dans le PQ, d’une minorité de conservateurs avec une majorité de progressistes, c’est l’héritage de rassemblement de Lévesque, Bourgault et Parizeau qui serait en cause.
Des points de rassemblement
Nous n’en sommes pas là et les Bédard et Boch-Côté ont la couenne dure et ont chacun refusé, en indépendantistes conséquents, de se joindre à Legault. D’autres souverainiste de droite, le patronal Daniel Audet, le populiste Richard Martineau, contribuent à leur façon au débat public. On rencontre maintenant dans le privé une génération de quarantenaires ayant réussi, ne vibrant pas aux thèmes syndicaux, mais souhaitant l’avènement d’un Québec souverain. Il faut, oui, leur montrer la porte. Mais la porte d’entrée.
Le micro-débat Dubuc/conservateurs nous permet de se demander, a contrario, quels sont les thèmes qui permettraient, le mieux, de rassembler la coalition quasi-gagnante de 1995 sur une base au moins légèrement plus large. (Car elle n’était que quasi gagnante!)
Cela tombe bien, deux des thèmes imposés par l’actualité et qui devraient être au cœur de la prochaine campagne électorale sont éminemment rassembleurs:
- La propreté: les électeurs de toutes tendances jugeront le PQ à sa capacité de proposer un grand ménage dans l’attribution des contrats, le financement des partis, l’évasion fiscale, le travail au noir, etc
- L’identité: depuis 2002 les Québécois sont engagés dans un grand débat sur les règles de leur vivre-ensemble collectif – accommodements raisonnables, laïcité, défense de la langue française. Le PLQ a été incapable d’y répondre. L’ADQ a ciblé le problème mais n’offre pas de solution. Le PQ, lui, s’est outillé pour offrir une réponse vigoureuse à ce défi, réponse qui motive à la fois sa base progressiste et son aile droite;
- La souveraineté: élément rassembleur par définition dans la coalition;
Le PQ proposera évidemment un certain nombre d’améliorations au modèle québécois dont il hérite et qu’il défend.
Mais une partie de cet héritage à reconstruire est un nouveau nationalisme économique, portant en particulier sur un renforcement du rôle de l’État dans la participation et/ou l’encadrement des ressources naturelles, de l’énergie, sur un rôle plus actif de la Caisse de dépôt dans le développement économique de la nation et sur des stratégies de maintien du contrôle québécois de nos fleurons économiques. Les souverainistes de droite en sont globalement preneurs.
Le Parti ne doit dans aucun cas être inhibé d’avancer des propositions progressistes. L’aile droite n’a jamais eu droit de veto sur les avancées sociales. J’en énumère bon nombre dans Pour une gauche efficace (dédié à Jacques Parizeau) et je n’y reviens pas ici.
Cependant l’occasion est belle, en ces temps de déficit et d’endettement préoccupants, de définir des propositions importantes de saine gestion de l’État, d’amélioration continue de la qualité des services, en partenariat avec les artisans du secteur public (et non contre eux), de plus grande flexibilité.
Il y a là un chantier sur lequel peuvent travailler, de façon pragmatique et féconde, les réformistes progressistes et de centre-droit.
On ne peut certes pas prétendre savoir, aujourd’hui, quelle sera la conjoncture au moment du déclenchement de l’élection, dans 18 ou 24 mois. Mais à observer les thèmes qui s’imposent maintenant au débat public et que je viens d’énumérer, on constate que les conditions de réunir cette coalition sont plus présentes que jamais, parmi ceux qui croient que la souveraineté est possible.
Le défi posé par les Facal et Legault, toujours souverainistes mais pessimistes quant à la réalisation de cet idéal — et si tant est que leur mouvement/parti voie finalement le jour — ne doit pas servir de prétexte à déporter le PQ vers la droite dans un vain effort de “faire aussi bien”.
Mais le PQ ne doit en aucun cas laisser à d’autres les flambeaux de la saine gestion, de l’innovation et, oui, de la création de la richesse. Le PQ doit incarner ces méthodes, qui servent son objectif: un pays plus juste/prospère/solidaire et vert.
S’il arrive à convaincre sur ce point, comme sur les autres, il limera l’intérêt porté aux ex-et-futurs lucides et il créera les conditions d’une coalition qui n’aurait déplu ni à Lévesque, ni à Bourgault, ni à Parizeau.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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