La diversité des tactiques, une doctrine de lutte appropriée?

Réflexions sur une doctrine de lutte qui se popularise

Tribune libre 2012


La diversité des tactiques, une doctrine de lutte appropriée?
Réflexions sur une doctrine de lutte qui se popularise.
Tous les québécois devraient bien saisir la notion de diversité des
tactiques. Cette doctrine de lutte aura une grande influence sur la suite
de la lutte sociale présentement en cours au Québec. Je n’ai pas
d’expertise particulière sur la question autre que d’avoir lu, échangé et
fait face à de nombreuses personnes rattachées à cette doctrine de lutte.
Voici aussi simplement que possible, ma façon d’aborder ces questions avec
des étudiants qui m’abordent parfois lors de manifestations.
D’où vient cette doctrine?
On voit apparaître cette doctrine de lutte au début des années 80, en
Angleterre; et en Allemagne. Nous sommes à ce moment en pleine crise de
l’emploi affectant gravement les jeunes, et au cœur de la crise sur le
déploiement des missiles de moyenne portée en Europe qui accroissent les
risques de guerre nucléaire accidentelle. Certains groupes anarchistes
radicaux adhèrent à une véritable croyance du « No future »; la guerre
nucléaire totale est à nos portes. Associée à cette croyance, une
véritable analyse radicale critique de la société axée sur le niveau
d’oppression et d’injustice des divers systèmes politique s’est élaborée,
et a été adoptée par certains mouvements anarchistes.
Pourquoi cette doctrine?
La « Diversité des tactique » est associée à une forme d’anarchisme que je
qualifierais du désespoir. Puisqu’il n’y a pas de futur, ce qui compte
avant tout, c’est de vivre, libre de contraintes, maintenant; et « de
perturber ». Le système étant injuste et pourri, nous menant au chaos, à la
guerre nucléaire totale; on doit tout faire pour mettre du sable dans ses
engrenages du système. On pourrait ainsi enclencher sa chute. Y’a pas de
futur anyway… « Après moi le déluge » me semblerait un parallèle
historique approprié.
Ca veut dire quoi, exactement, diversité des tactiques?
Fortement inspirés par le mouvement non-violent pour les droits civiques
aux États-Unis, le mouvement pacifiste anti-guerre des années 80, tant en
Angleterre qu’en Allemagne, a essentiellement utilisé avec un certain
succès des moyens de lutte non violents pour empêcher les déploiements de
missiles. La « diversité des tactiques », c’est une contestation du cadre
contraignant, et discipliné, imposant des formations de la non-violence.
C’est l’ouverture, dans la lutte sociale, à toute une gamme de moyens de
perturbation sociale hors des contraintes imposée par la prise de
responsabilité des actes commis. On parle ici de casse ciblée, de saccage
de symboles d’autorité, de riposte aux diverses formes d’abus de l’État;
utilisant souvent la forme Black Block (habits noirs, cagoules,
confrontation par meutes, médics anti-répression…). C’est une doctrine de
lutte spectaculaire, qui touche l’attrait pour le sensationnalisme des
grands média et cherche à légitimer une contre violence dans la lutte à
l’oppresseur ultime, l’État. La doctrine s’est popularisée avec le
développement du mouvement altermondialiste, sur le théâtre d’une
opposition aux grands sommets économiques mondiaux, faisant les choux gras
des agences de presse internationales. C’est en fait, une « légitime
défense » des opposants au système. Le militant est présenté « à la une »
comme tabassée par la brutalité des policier de l’État, justifiant ainsi la
révolte.
Qui utilise cette diversité des tactiques?
Cette doctrine est au cœur de la vision des organisateurs des
manifestations contre la brutalité policière, et des gestes posés par
certains groupes anarchistes et anti-capitalistes montréalais dans
plusieurs manifestations lors de la crise étudiante. Au cours des années,
cette doctrine semble être devenue une référence qui guide le choix des
moyens d’action de plusieurs associations étudiantes dans leur lutte
actuelle contre l’augmentation des frais de scolarité.
Sur internet, on retrouve de nombreuse référence à cette doctrine dans les
procès verbaux des assemblées générales d’associations étudiantes. De
nombreux documents de l’ASSE, à l’origine de la CLASSE, s’associe
ouvertement à cette doctrine et endossent formellement le respect des
moyens de lutte qui y sont associés. Ces décisions ont-elles été prises en
pleine connaissance de cause par les assemblées générales étudiantes? Il y
a lieu d’en douter. Ce contexte explique pourquoi il semble si difficile
pour certains porte-parole étudiants de condamner certains actes pouvant
être associés à de la violence. Ca irait à l’encontre de ces résolutions
assez répandues imposant le respect de la diversité des tactiques.
On parle de diversité dans les tactiques de lutte? Y’a rien là!
Oui! Cette expression est nébuleuse et semble inoffensive. On parle
généralement de tactiques, dans le cadre d’une stratégie de lutte; qui mène
à l’atteinte d’un objectif politique prioritaire, en franchissent des
objectifs politiques secondaires. Si il n’y a pas d’objectifs à atteindre,
il n’y a pas véritablement de tactique. Dans le cadre de formations à
l’action non-violente, j’ai souvent croisé des adeptes de cette diversité;
et il semble très difficile pour eux de parler d’objectifs à atteindre. Le
système politique de démocratie représentative est pourri, toute pression
pour un objectif secondaire est réformiste, et à rejeter. Toute tactique
qui viserait à viserait à perpétuer, ou faciliter la continuation du
système et de ses injustices est à proscrire. Il faut être
révolutionnaire, vouloir faire tomber le système, c’est le seul objectif
valable.
L’objectif ultime me semble unique, nuire autant que possible au
fonctionnement de l’État actuel; la stratégie en bref, « perturber » aussi
efficacement que possible. Ne parlons pas de démocratie participative, de
partis politique, de financement public, de référendum contraignants, de
vote à la proportionnel, de pouvoir populaire de destitution…tout ça c’est
réformiste, visant à rendre un système pourri acceptable, donc nuisible.
On ne cherche pas d’alternative…A chacun sa solution.
Qu’en est-il de la notion de diversité?
Pour les personnes adeptes de cette doctrine de lutte, il semble parfois
difficile de parler de moyens d’action dans des groupes. Sur des sujets
délicats, la dynamique de groupe devient « oppressive »; ou l’environnement
devient « non sécuritaire ». Difficile d’associer cette doctrine à un
processus véritablement démocratique lorsqu’il est délicat de parler des
vrais choses, les moyens de la lutte. Une culture de la clandestinité
entoure donc cette doctrine.
Ainsi, les conversations de personne à personne seront préférées. Dans ces
conversations, il m’a semblé que la lutte se fait essentiellement dans un
travail de soutien aux personnes ciblées par la répression de l’État
(victime de brutalité, prisonniers politiques, réfugiés menacés d’expulsion
etc.); ou dans la rue, lors d’événement publiques médiatisés pouvant mener
à des confrontations avec les agents d’oppression (de l’État). Dans les
actions de perturbation, les casses et les actes de destruction de
propriété, occupation; on vise des symboles d’oppression économique et
politique banques, véhicule de police et média, installations
gouvernementales, banques, corporations multinationales ou autres. Dans le
cadre d’une telle vision de l’anarchisme, tout ça se défends et est
parfaitement cohérent.
Le problème me semble se situer au niveau des moyens choisis qu’on peut
difficilement discuter; et de l’acceptation des conséquences des actions
associée à une reconnaissance de la légitimité du système de justice.
Lorsqu’on prend la fuite suite à une action de perturbation radicale, on
assume pas les conséquences de l’acte. Dans les luttes sociales, en
général, les gens assument. Ils font face à la musique; quitte à organiser
la judiciarisation de la lutte comme un nouveau forum pour faire progresser
la cause. Cette réalité agit comme un cadre sur les moyens d’action
acceptables, et les moyens inacceptables.
De plus, tout acte en situation de manifestation publique, peut engendrer
une riposte des autorités. Toute riposte aux provocations courantes des
forces de l’ordre, peut générer une répression musclée des opposants. Ces
dynamique jouent le jeu de l’État, ce n’est pas pour rien qu’on utilise des
agents d’infiltration pour attiser les perturbations. Lorsque la situation
dégénère, impossible de parler du recours à une diversité de moyens; les
moyens deviennent rapidement limités à la confrontation; ou l’arrêt de la
manifestation. Le respect préalable de la « diversité des tactique »,
c’est la boîte à surprise qui s’ouvre en plein milieu d’une manifestation.
Que ça fasse l’affaire des gens présents ou pas!
Il semble donc légitime de poser la question, ou est la diversité dans
cette doctrine spécifique de lutte?
Ces militants servent-ils à la cause? Opposition à la loi 78, halte aux
hausses, gratuité scolaire?

En fait, l’impression que me donnent les lectures, les conversations et les
échanges lors de manifestation est que, pour les plus radicaux; les
objectifs ou les causes « réformistes » n’ont aucune importance. Gagner ou
perdre n’importe que peu, ce qui importe c’est stimuler l’indignation, la
révolte pour avoir une population de plus en plus frustrée, et essayer de
faire tomber le système. Cette compréhension met pour moi un éclairage sur
l’importance des manifestations contre la brutalité policière, pour ces «
anarchistes du désespoir ». Lorsqu’on sait que le succès dans une lutte
populaire réside dans la mise en place de conditions permettant à la
population de franchir ses peurs, on semble bien loin du compte.
Si on considère le fait que de l’indignation vient la mobilisation à
l’action, on peut considérer que ces groupes peuvent servir à allumer une
contestation sociale; à susciter une indignation pour que les gens se
lèvent et contestent. Mais, les idéologues de la « diversité des tactiques
» me semblent de bien mauvais conseillés dans le cadre de lutte visant à
transformer, réformer la société. La diversité des tactiques prônée par
ces militants radicaux; lorsque les enjeux sont connus, lorsque le contexte
est favorable à la lutte, et lorsque l’atteinte d’objectifs intermédiaires
sont à la portée me semble un jeu des plus périlleux. Cette philosophie
anarchiste, et cette doctrine de lutte, de par leurs origines ne laissent
aucune place au compromis quel qu’il soit. On poursuit la perturbation,
peu importe les conséquences. Une défaite implique plus de frustration,
plus de membres à recruter, donc plus de perturbations à la prochaine
confrontation. C’est ce qui compte véritablement pour l’anarchiste du
désespoir. Mais, est-ce dans l’intérêt d’une majorité d’étudiants?
En fait, outre leur rôle de stimuler l’indignation, rôle bien utile compte
tenu des nombreux défis auxquels nos sociétés font face; j’ai de la
difficulté à voir où tout cela mène. Ces militants radicaux, du moins ceux
que j’ai rencontré, ne proposent aucune solution, aucun projet de société.
Je dirais même plus, pour les plus radicaux, les enjeux ne les intéressent
même pas.
Sommes-nous dans une situation de chaos, une situation dangereuse?

Non, je ne crois pas vraiment. Les militants étudiants comprendront vite où
sont leurs véritables intérêts. Je dirais que la situation est au pire
désolante. Voir que de nombreux étudiants ont sacrifiés beaucoup, que
l’idéologie d’une infime minorité guide les moyens choisis par certains
dirigeants et que cette réalité pourrait entraîner une défaite me peine
beaucoup. Au mieux, les actes de perturbation seront bien cadrés et dosés,
en termes de perturbation, de confrontation et d’actions indirectes;
permettant ainsi à la lutte de se poursuivre.
C’est à long terme que les choses se corsent. Tout changement politique
repose sur la mobilisation, ou la stimulation de la non-coopération auprès
d’une majorité de la population. Avec les scandales de corruption, les
conditions pour de telles conditions sont présentement bonnes. Il semble
possible d’appliquer une force politique considérable sur les autorités
pour obtenir des changements en profondeur grâce aux étudiants. Je dirais
qu’il y a présentement une vitrine stratégique exceptionnelle pour les
étudiants en lutte. La doctrine de lutte que constitue la diversité des
tactiques, faute de perspective stratégique, ne peut pas contribuer
significativement à ces réformes majeures tant attendues par la population.
Les objectifs des étudiants et de la population sont incompatibles avec la
vision sur laquelle repose cette doctrine.
Bref, à un moment donné, certaines personnes vont dire attention! Y’a
quelque chose qui cloche ici… Espérons seulement que ce sera assez tôt.
Parler contre la diversité des tactiques, n’est-ce pas être doctrinaire et
diviser le mouvement?

Une lutte sociale doit mobiliser des gens, et leur permettre d’améliorer
leur sort. Si les gens visés par une injustice n’ont plus un mot à dire
sur les moyens de lutte les plus appropriés dans le contexte immédiat de
l’action, je cois qu’il y a un abus quelque part. Des gens bien ancrés
dans une idéologie marginale, ont préalablement présenté et enchâssés des
résolutions contraignantes quant à la lutte et ses moyens, en fonction
d’une idéologie qui n’a pas été largement partagée et endossée par les
mouvements étudiants. Il me semble y avoir un pépin. On est loin d’une
approche de démocratie directe, participative.
Il me semble que prétendre qu’une doctrine « diversité des tactique » soit
universelle aux luttes, au point de l’imposer; en excluant ainsi toute
discussion sur les autres doctrines; c’est exactement ça être doctrinaire.
Une doctrine de lutte doit continuellement s’ajuster au contexte spécifique
de la lutte, et aux objectifs à atteindre.
A certain moment d’une lutte, il peut être important de marquer une pause,
afin de ne pas faire déraper les acquis. On peut parfois avoir recours aux
mécanismes traditionnels d’éducation citoyenne et de mobilisation dans la
politique partisane à un moment; comme l’a fait la CLASSE en cours d’été.
Le strict respect d’un comportement pacifique, et même la planification de
formations assez étendues à l’action non-violente peuvent s’avérer des
options incontournables à un moment plus tendu ou suite à des dérapages
pendant la lutte. Il est parfois possible de miser sur une doctrine de
mobilisation des masses, ou de lutte par blocus, et par vagues afin
d’accroître l’impact des actions. Le déplacement de la lutte, sur
exclusivement sur l’arène politique peut parfois s’avérer une option
judicieuse. Je ne parle pas ici des doctrines de lutte armée auxquelles je
n’adhère pas. Si toute discussion sur les doctrines de lutte est jugée
divisive et doctinaire; ou jugée comme oppressive ou non-sécuritaire on
doit sérieusement se questionner sur la notion de diversité.
Cette diversité revendiquée par ce courant militant radical ne se
limite-t-elle pas, en bout de ligne à quelques moyens qui, si ils étaient
explicités clairement pourraient ne pas passer l’épreuve du vote? Surtout
à certains moments critiques de la lutte? N’y a-t-il pas dans cette notion
floue « de diversité des tactiques » une revendication de soutien préalable
à certains moyens spécifiques qui sont contestables, et en situation
corsée, pourraient s’avérer nuisibles? Le positionnement de clause de
respect de la « diversité des tactiques », pourquoi a-t-on procédé ainsi?
Pour ce qui est de diviser, on ne se gêne pourtant pas du côté de ces
anarchistes et certains anti-capitalistes pour attaquer les critiques. Les
attaques directes sur les pacifistes, la longue tradition de lutte
pacifiques québécoise et les mouvements non-violents sont continues car ils
questionnent les fondements de cette doctrine. Sans connaissance des
impératifs de la lutte non-violente, faute d’arguments on taxe les
militants de dépassés, naïfs et déconnectés des enjeux véritables de la
lutte; et on s’attaque aux individus.
On fait quoi là?
La fréquence des manifestations étudiantes et l’action terrain des gens qui
prônent la diversité des tactiques depuis la lutte étudiante a déjà fait
une grande partie du travail. Les gens sentent déjà que quelque chose
cloche dans le choix de certains moyens de lutte. Pour beaucoup de mes
interlocuteurs, la question de la violence a pris beaucoup trop de place;
et cette lutte ne nécessite en rien certains actes de perturbation et de
confrontation. La population a massivement, et pacifiquement émis son
opinion sur comment devrait se conduire une lutte au Québec.
Plusieurs responsables d’associations étudiantes semblent se questionner
sur le contrôle de certaines personnes lors des assemblées générales et un
discours qui défi tout questionnement des moyens d’action. Certains
commencent à référer à certains gurus idéologiques.
Depuis plusieurs semaines, beaucoup d’informations circulent sur internet
en lien avec les moyens d’action, les tactiques et les stratégies de lutte
et de résistance populaire au Québec. Le processus d’éducation populaire
est en cours. Les étudiants doivent simplement assimiler les informations,
les partager avec leurs amis et leurs dirigeants. Surtout, ne pas céder à
la manipulation de militants qui se sentent dans un environnement oppressif
et non-sécuritaire. Le choix de leur doctrine contraignante, c’est leur
problème. C’est pas le problème du mouvement.
***
Normand Beaudet
Autres textes pertinents :
Diversité des tactiques en question.
www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=271&Itemid=144
www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=265&Itemid=144
Lutte non-violente au Québec :
www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=339&Itemid=1
www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=335&Itemid=1
www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=333&Itemid=1

-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé