Grallon
Lord de sa sortie remarquée du printemps dernier, Lucien Bouchard évoquait la torpeur qui afflige le Québec depuis plusieurs années. En fait, on pourrait dire que, depuis le référendum de 1995, le peuple du Québec est devenu collectivement indifférent à son propre sort. Partout on perçoit les signes d’une sclérose qui n’est pas sans rappeler l’apparent immobilisme des années Duplessis. A la différence majeure qu’à cette époque, il existait une jeunesse nombreuse qui rêvait de changement; alors qu’aujourd’hui, cette même génération, toujours aussi nombreuse (encombrante?) a vieilli et ne songe plus qu’à profiter de sa retraite. Est-il donc si surprenant de voir depuis un certain temps plusieurs de ses représentants en appeler à se détourner de tout ce qui pourrait menacer leurs acquis? Puisque, comme Bouchard le dit lui-même, il ne verra pas l’indépendance ‘de son vivant’, il faudrait abandonner le projet national; non pas l’amender ou le repenser – l’abandonner complètement. En d’autres mots, si cette génération ne peut bénéficier de l’indépendance de son vivant, c’est tout le Québec qui devrait passer à autre chose. Après eux le déluge quoi!
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Ceci dit, et quoiqu’on pense de la nature égoïste et intéressée de ses commentaires, Lucien Bouchard voit juste sur plusieurs points. Le Québec est bel et bien apathique et l’indépendance n’est pas la panacée que certains continuent de promettre stupidement. L’apathie dont je parle se caractérise par une résistance à tout changement qui menacerait les privilèges de ceux qui profitent de l’ordre établi. Il n’y a qu’à considérer le lamentable dossier du CHUM, les délirantes inepties du MEQ ou encore la dégénérescence proprement tiers-mondiste de Montréal pour s’en convaincre. Partout les intérêts corporatistes et mafieux l’emportent sur le bien commun. Pas dans ma cour et chacun pour soi sont les mots d’ordre du jour.
Le peuple du Québec postmoderne est encouragé à être béatement passif devant la ‘multiculturalisation’ insidieuse qui, sous couvert d’ouverture aux autres, s’attaque progressivement à sa cohésion sociale et dont le but réel est évidemment la dislocation de son identité collective. Le mouvement s’est d’ailleurs accéléré depuis 1995 avec l’immigration grandissante d’individus qu’on invite, en vertu de cette même doctrine, à recréer ici leurs communautés d’origine plutôt que de s’intégrer à la société québécoise. On voit ainsi le droit commun trituré à plus soif afin d’assurer l’intégrité de croyances et de coutumes qui sont parfois diamétralement opposées à celles partagées par la majorité. Parallèlement, la moindre réserve exprimée face à ce phénomène est qualifiée d’intolérance, de racisme ou de repli identitaire... Comme si le respect de soi impliquait automatiquement la discrimination et le rejet de l’autre. Il est d’ailleurs ironique de voir opposer le nationalisme québécois, un indécent tribalisme, à celui canadien, modèle de toutes les vertus… Ceci dit, il faut toutefois reconnaitre que la fragmentation de l’identité nationale en une multitude d’identités collectives concurrentes facilite grandement le contrôle que les élites exercent sur la population. En effet, lorsque certains osent se réclamer du bien commun pour dénoncer telle ou telle aberration, il n’y a qu’à renvoyer dos à dos les droits collectifs équivalents pour justifier l’immobilisme des autorités.
Les Québécois sont donc culpabilisés d’insister sur leur identité collective puisque, en cette ère de globalisation, toutes les cultures se valent et que, de toute façon, des individus civilisés devraient se concentrer sur leur rôle de consommateur plutôt que sur celui de citoyen. Qu’importe en effet que votre voisin traite sa femme comme une bête de somme? Tant et aussi longtemps qu’il respecte la lettre de la loi vous n’avez qu’à l’ignorer. Qu’importe que tel ou tel accommodement soit accordé pour des motifs religieux? Tant et aussi longtemps que ceux qui les réclament paient leurs taxes, il vous suffit de fermer les yeux. Il s’agit là d’une attitude typiquement comptable, à courte vue, propre à de petits gestionnaires qui ne se soucient que de leur marge bénéficiaire, leur promotion personnelle et leur retraite individuelle. Le gouvernement des humains remplacé par l’administration des choses en somme…
Évidemment une telle approche ignore complètement les conséquences à long terme des précédents établis au quotidien, à la va-comme-je-te-pousse. Puisque si l’on additionne suffisamment d’exceptions justifiées sur des bases religieuses ou culturelles, et suffisamment d’immigrants qui profitent de ces mêmes exceptions, on se retrouve avec des droits à géométrie variable. On se retrouve en fait avec des droits acquis qui sont indépendants du droit général – invalidant ainsi un principe fondamental des sociétés occidentales : l’égalité de tous devant la loi.
Mais peut-être est-ce là le nouveau rêve auquel M. Bouchard faisait allusion? Peut-être exprimait-il le souhait que les Québécois oublient qui ils sont, d’où ils viennent, pour se concentrer sur ce qu’ils possèdent? Après tout, ne nous résumons nous pas, en définitive, à la somme accumulée de notre camelote?
Il est fascinant de voir comment le discours ambiant sur la diversité sert, dans les faits, à l’homogénéisation des individus coulés dans le moule du consommateur. Et comment le citoyen, ignorant qu’il est des ficelles avec lesquelles on le manipule, se laisse duper par ces élites qui elles engrangent les profits issus de ses efforts.
La dérive
on se retrouve avec des droits à géométrie variable. On se retrouve en fait avec des droits acquis qui sont indépendants du droit général – invalidant ainsi un principe fondamental des sociétés occidentales : l’égalité de tous devant la loi.
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