Par Mathieu Bock-Côté, candidat au doctorat en sociologie, UQAM
Texte paru dans le Bulletin d’histoire politique d'avril 2010, vol.18 no3 (printemps-été 2010).
La publication du Manifeste pour un Québec pluraliste a relancé la contre-offensive idéologique amorcée au moment de la commission Bouchard-Taylor qui avait permis à la gauche multiculturelle de mobiliser ses ressources médiatiques, technocratiques et universitaires pour réaffirmer son hégémonie dans l’espace public, remise en question avec la crise des accommodements raisonnables. Cette dernière, qui a consacré l’implosion de la culture politique post-référendaire, a consacré le réinvestissement du nationalisme québécois dans l’espace public. Pour la gauche multiculturelle, il s’agit désormais de l’en refouler en reconfigurant les paramètres de l’espace public pour y restaurer son hégémonie idéologique. Sous le prétexte de contenir le déploiement d’une double critique «nationaliste conservatrice» et «laïciste», les signataires de ce manifeste, envoyèrent un signal clair : la démocratie québécoise serait en danger : «nous partageons une profonde inquiétude quant à la direction que prend le débat sur l’identité et le vivre-ensemble au Québec. Il nous semble qu’une vision ouverte, tolérante et pluraliste de la société québécoise, une vision qui est selon nous en continuité avec les grandes orientations du Québec moderne, se trouve occultée par deux courants de pensée qui sont en rupture avec cette évolution et avec notre histoire. Ces deux courants finissent par converger dans une manière de concevoir la société québécoise qui, selon nous, risque de priver le Québec du dynamisme qu’insuffle aux sociétés une posture d’accueil et de dialogue, conditions essentielles à l’élaboration d’un authentique vivre-ensemble» 1. Le débat s’envenime et l’esprit de soupçon en vient à contaminer la délibération publique au point où on en vient à contester l’appartenance de certains chercheurs à la communauté universitaire: du procès d’intolérance, on passe à
celui d’incompétence, ce qui laisse croire à un renouvellement du monopole progressiste de l’intelligence en sciences sociales.
Une question fondamentale se dégage du contexte actuel : comment expliquer la tentation autoritaire de la gauche multiculturelle, qui au nom du pluralisme identitaire, travaille à l’éradication du pluralisme idéologique ? Dans le cadre de cet article, nous reviendrons moins sur la critique du multiculturalisme telle qu’elle s’est manifestée avec la crise des accommodements raisonnables que sur la manière dont elle fut accueillie par la gauche multiculturaliste2. Nous verrons comment il parvient à reconfigurer l’espace public en y investissant ses propres catégories conceptuelles, pour mieux en exclure ses critiques. Gérard Bouchard avait déjà écrit que les «intellectuels», selon sa propre formule, n’avaient pas prévu la crise des accommodements raisonnables parce qu’ils avaient «postulé que la diversité était bonne et enrichissante pour le Québec sur le plan culturel. Mais on ne l'a pas démontré avec les études nécessaires. Nous étions certains que personne ne voudrait soutenir la position contraire»3. Nous verrons d’où pouvait venir cette certitude. Autrement dit, il nous sera ainsi possible non pas de nous situer dans un débat dont les multiculturalistes prétendent définir exclusivement les termes, mais bien plutôt d’examiner les termes de ce débat ainsi que les postulats qu’il voile plus ou moins.
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Le multiculturalisme en débat : retour sur une tentation thérapeutique
Multiculturalisme - subversion intégrale! - 2
Mathieu Bock-Côté1347 articles
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