Les injonctions qui pleuvent présentement sur le mouvement étudiant doivent être considérées comme de graves entraves à la démocratie. Qu’elles aient lieu à l’Université de Sherbrooke, à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) ou au Collège de Rosemont, ces injonctions suivent toujours le même modus operandi : une poignée d’étudiants (parfois un seul !) se présentent en cour et demandent au juge d’ordonner un retour en classe ; les juges obtempèrent rapidement et donnent raison aux plaignants.
Et pourtant, les mandats de grève ont été votés dans des assemblées générales ; ils sont le résultat d’un processus démocratique et ils sont donc l’expression du souhait de la majorité des étudiants. En ordonnant une reprise des cours, les juges devraient donc considérer qu’ils privilégient des individus peu nombreux au détriment d’une majorité. Ils demandent ainsi à l’université ou au cégep touché par leur injonction de balayer du revers de la main le fait que les associations étudiantes sont les représentantes légales de tous les étudiants de l’établissement (Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants, section 5, article 28) et que les directions doivent respecter les décisions prises par ces associations.
Les directions des institutions d’enseignement ont d’ailleurs commencé par reconnaître la légitimité des mandats de grève en signant avec les associations étudiantes des ententes selon lesquelles elles levaient les cours pendant la période touchée par le mandat de grève. Dans plusieurs cas, les mandats de grève ont été respectés par les directions depuis plus de deux mois ; on peut alors comprendre le désarroi des étudiants grévistes qui se font dire soudainement qu’on ne respecte plus la légitimité de leur mouvement parce qu’un juge, quelque part, en a décidé ainsi.
Est-il trop demandé aux juges qu’ils se posent quelques questions à propos de la paix sociale avant de rendre leur jugement ? Il est bien sûr à prévoir que des étudiants ayant entre les mains un vote de grève majoritaire de leur assemblée vont vouloir manifester sur leur campus pour protester contre ce qu’ils considèrent à juste titre comme une décision inique. Les étudiants de même que plusieurs professeurs estiment, et ils ont raison, que l’escouade antiémeute et les policiers n’ont aucune raison d’envahir leur institution lorsque la grève a été votée en bonne et due forme.
On assiste parfois à des scènes surréalistes. On apprenait récemment que la direction de l’UQO avait elle-même demandé au juge une levée des cours, car elle voulait respecter la décision majoritaire de l’assemblée étudiante et elle craignait qu’il y ait du grabuge si le mandat de grève n’était pas respecté. Le juge a refusé au grand dam du recteur Jean Vaillancourt qui a condamné la judiciarisation du débat. Mais avoir contre son jugement à la fois les étudiants et la direction de l’université, ce n’était pas assez pour lui ; il préférait donner raison à une poignée d’étudiants nombrilistes. À l’université de Sherbrooke, les étudiants en lettres et sciences humaines qui ont demandé une injonction ont eux-mêmes déploré la portée de la décision du juge Gaétan Dumas. Celui-ci a ordonné une reprise des cours pour l’ensemble de l’université et non seulement pour la faculté des lettres et des sciences humaines. Quand le juge en donne plus que le client en demande, on est en droit de se poser quelques questions, non ?
Le gouvernement, par son attitude intraitable, est bien entendu le grand responsable de la crise actuelle. Line Beauchamp a en effet ajouté de l’huile sur le feu en disant il y a une semaine que « toutes les mesures devraient être prises » pour que les cours reprennent et elle a encouragé explicitement les étudiants qui le désiraient à demander des injonctions aux tribunaux. Il est désolant de constater qu’une politicienne estime qu’une question éminemment politique comme la grève puisse se régler en cour. Grâce aux injonctions, certains étudiants peuvent éviter de participer aux assemblées étudiantes et de prendre part aux débats qui y ont lieu ; ils peuvent même, à limite, négliger de s’informer et n’avoir qu’une connaissance très superficielle des enjeux qui secouent actuellement le monde étudiant. C’est tout simple : un juge, quelque part, leur évitera ce travail de réflexion par trop fastidieux !
Le message que la ministre et les juges envoient aux étudiants est le suivant : la voix de vos assemblées démocratiques ne compte pas, nous avons décidé qu’une question politique ne se règlera pas par la politique ; seuls des arguments purement légalistes ont droit de cité. Et on se demandera par la suite pourquoi les jeunes s’intéressent si peu à la politique ! Révoltant !
Une lueur d’espoir – heureusement il y a toujours de l’espoir ! – est venue du Collège Saint-Jean sur Richelieu : des étudiants verts et rouges ont manifesté ensemble contre la décision de la direction de reprendre les cours malgré le vote de grève des étudiants. Ils ont compris ce qu’on ne comprend pas en haut lieu : la démocratie doit être respectée.
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Nicolas Bourdon, professeur au Collège de Bois-de-Boulogne
La démocratie au palais de justice
Le gouvernement, par son attitude intraitable, est bien entendu le grand responsable de la crise actuelle
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