Chère Mélanie,
Je te lis et je comprends la volonté qui est la tienne de vouloir défendre à tout prix les intérêts de ceux qui te donnent ton gagne-pain. Après tout, comme dit le proverbe, on ne mord pas la main de celui qui nous nourrit. Je comprends donc ta volonté de défendre à demi-mot, dans ta sympathique Lettre à un manifestant parue dans le Huffingtonpost, non seulement leurs intérêts, mais aussi ceux plus larges de leurs amis, de l'élite, pour ne pas dire de l'idéologie néolibérale. Fais gaffe toutefois, nul n'est à l'abri des aléas de la vie, tu pourrais un jour peut-être toi-même goûter à la violence économique de ce système dont le masque tombe.
On peut, naïvement certes, se demander si nos jeunes qui sont dans la rue sont bien conscients de ce dont il est question au coeur de ce conflit ou s'ils profitent simplement de l'occasion pour scander des slogans dont ils n'ont aucune idée du sens tout en twittant sur leur téléphone. Faut-il rappeler que ce sont des étudiant(e)s aux «études supérieures»? Si bien qu'en tant qu'étudiant(e)s en sociologie, en philosophie, en anthropologie, en études littéraires, en Droits, en administration, en éducation et j'en passe, ces jeunes composent la future élite intellectuelle de notre société. Ai-je besoin de m'étendre ou tu comprends le principe?
Mais de quoi donc en retourne-t-il dans ce conflit? Attardons-nous à la question. Tu demandes à ce manifestant, à cette caricature condescendante et méprisante des étudiant(e)s, s'il sait que l'enjeu discuté est le financement des universités. Tu lui demandes s'il est conscient que notre gouvernement est endetté, pour ne pas dire à la solde des banques et pouvoirs financiers. S'il sait que la jeunesse se fait de moins en moins nombreuse à porter le poids fiscal de cet endettement. S'il est avisé du fait que c'est ce même nombre qui doit porter de surcroît le poids fiscal nécessaire pour qu'un État puisse prodiguer à sa population un minimum de services sociaux publics. Encore heureuse que tu préserves l'idée de services publics. Ou ne serait-ce qu'une entourloupette sémantique? Mais qui donc va payer pour tous ces services? À ta question, tu réponds: encore nous.
Et là je ne suis plus certaine de saisir l'argument: puisque nous allons devoir payer, payons plus dès maintenant, même si pour ce faire nous devons nous endetter individuellement (prémisse implicite) et enrichir les banques . Car nous savons que la hausse des frais de scolarité induit une augmentation de l'endettement. En effet, selon l'Aide financière aux études (AFÉ) , En 2008-2009, le montant moyen de ces dettes était de 13 022$ pour le 1er cycle, 16 304$ pour le 2e et 23 405$ pour le 3e. Cela sans les dettes privées. Qui plus est, contrairement à l’étudiant(e) qui peut payer cash down, celui ou celle qui aura recours à l’AFÉ devra débourser une somme bien plus importante que celles mentionnées plus haut à cause des intérêts (hé oui! Encore les banques les grandes gagnantes). Bref, ce n'est pas 23 000$ qu'il ou elle paiera, mais plutôt quelque chose comme 34 000$. Mais quelle brillante solution! Cessons les manifestations! Sauf que je ne suis pas convaincue. Je ne sais pas, j'ai comme l'impression que ce n'est pas équitable, j'ai comme l'impression, pas trop agréable, de me faire... Avoir.
Dans la façon que tu as d'affirmer le contraire de ce que tu préconises, le passage qui m'a le plus plu, c'est quand tu affirmes que tu essaies «simplement de répondre collectivement à un problème collectif». Très habile comme rhétorique. Toutefois, je considère que dans ta collectivité tu oublies des acteurs importants. Il n'y a pas que toi, ta fille, ta mère, moi, ma fille, ma mère et les étudiant(e)s dans tout cela. Il y a d'autres acteurs qui sont appelés à faire leur «juste» part et à contribuer par leurs impôts à renflouer les coffres de l'État.
En effet, dans un budget, il y a deux colonnes: les dépenses et les revenus. Tu me suis? Toi, tu dis: coupons dans les dépenses, nous assumerons individuellement cette charge, plutôt que collectivement. Moi, je dis: augmentons les revenus et donnons-nous les moyens de nos ambitions! Comment? Des solutions, il y en a plein et nos jeunes tentent de les faire valoir, mais on refuse de les entendre. À cet égard, on peut consulter l'excellent document mis de l'avant par l'ASSÉ: L'argumentaire .
Par exemple, on peut y lire que les revenus gouvernementaux provenant des entreprises ont presque diminué de moitié entre 1964 et 2004. Or, si l’impôt des entreprises payé au gouvernement du Québec représentait toujours 6.8% du PIB plutôt que 1.5%, le Québec bénéficierait de 13 milliards $ de plus dans son budget annuel. Aussi, « En moyenne, les pays de l’OCDE ont réduit leur taux d’impôt sur les sociétés de 40% ces vingt dernières années. [...] Les taux moyens d’imposition des sociétés dans l’ensemble des pays de l’OCDE sont passés de 33,6% en 2000 à 27,6% en 2007.» Au Canada cette mesure néolibérale est particulièrement marquée : «ces taux ont chuté de 50% depuis l’an 2000 (de 29,9% en 2000 à un taux de 15% prévu pour 2012). C’est la plus importante réduction d’impôt de l’histoire du Canada et la plus importante de tous les pays de l’OCDE. ».
Or, chaque réduction de 1% du taux d'imposition des sociétés prive le Trésor fédéral d'environ 2 milliards par année . Dire que la gratuité scolaire aurait coûté 750 millions pour l'année 2011-2012, soit 1% du budget provincial .
Bien sûr, je te vois venir et me dire que de trop taxer les entreprises pourraient les inciter à fuir ailleurs. Admettons que je plie à cette campagne de peur, ce qui soit dit en passant n'est pas le cas, mais admettons. Nous pourrions alors envisager de faire contribuer les banques. Considérant que de 2007 à 2009, alors que nous étions en crise, les six plus grandes banques canadiennes ont réalisé des bénéfices nets de 46,1 milliards de dollars et considérant qu'elles participent à près de la moitié moins à l’impôt que les autres types d’entreprises (11.4% de leurs bénéfices nets contre 20%, respectivement ), cette proposition me semble raisonnable. Tu ne penses pas? Deal? Cela me semble beaucoup plus raisonnable que de proposer, conformément au principe pollueur-payeur, qu'on augmente les pénalités aux entreprises polluantes plutôt que de s'attaquer de front à l'état de la planète qu'on lègue aux générations futures. Mais c'est là un autre débat. Nous on est dans celui de l'utilisateur-payeur. Ha! Comme si tout était monnayable!
Je sais que tu vas me traiter de gauchiste, peut-être même de révolutionnaire ou d'anarchiste. À cela je répondrai que j'ai une vision plus collectiviste de la société. Après tout, qu'est-ce qu'un individu sans la société par laquelle il est devenu ce qu'il est? Peut-être que cette vision me vient aussi de l'attachement que je porte à la justice, à l'équité et à la solidarité. Mais ce n'est pas important dans le fond d'où me vient cette vision. Sur ce chère Mélanie, je t'invite, bien que je sois persuadée que tu les connais, à aller éplucher les nombreuses solutions très documentées et réalisables que cette jeunesse allumée et intelligente, qu'on tente de bâillonner et d'infantiliser de façon éhontée, nous propose.
***
Isabelle Côté
Professeure solidaire des étudiant(e)s
Grève étudiante
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
14 mai 2012Madame Isabelle, parlez encore d'équité et de solidarité. Vous attaquez le droit au travail et à la libre circulation de travailleurs qui ont fait leurs études en travaillant à temps partiel, qui ont payé leurs prêts étudiants et qui paient encore via nos impôts. Arrêtez d'en jeter, la cour est pleine et le net sur mon état de dépôt (de paie) diminue. Je perds plus que 400 $ par année de mon pouvoir d'achat et ce, chaque année depuis que je travaille. Les étudiants, loin d'être solidaires de ceux qui paient pour eux, en redemandent car on le sait, le gouvernement ne coupe que les dépenses qui lui conviennent et viendrait chercher dans la poche des travailleurs le manque à gagner. Soyez réaliste, la gratuité scolaire née des années '60 n'est plus applicable en 2012.
Stefan Allinger Répondre
13 mai 2012Très bien et j'ajouterais que lorsque nous aurons récupéré les milliards dans les paradis fiscaux, les milliards volés par la mafia et le crime organisé et les milliards que nous coûtent la corruption libérale alors nous ferons le décompte et s'il y a toujours un déficit budgétaire nous nous retournerons vers les coupures et les citoyens honnêtes. Mais pas avant d'avoir fait cet exercice.
Stefan Allinger