«Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir», avait écrit le grand historien français Fernand Braudel. Des années plus tard, dans La Genèse de la société québécoise, Fernand Dumont lui a répondu, comme en écho: «Notre drame, c'est d'avoir oublié.»
Cela fait toujours un pincement au coeur de rencontrer des Québécois, jeunes ou moins jeunes, pour qui Frontenac ou Henri Bourassa n'évoquent rien d'autre que des stations de métro.
Jacques Parizeau était de ceux que la pauvreté de l'enseignement de l'histoire dans les écoles irritait au plus haut point. En nommant Jean Garon ministre de l'Éducation, il lui avait expressément commandé d'y voir.
En octobre 1995, M. Garon avait donc confié à un comité présidé par Jacques Lacoursière le mandat de «donner à l'histoire nationale et universelle sa place de discipline fondamentale dans la formation des jeunes du Québec».
Dès sa publication, en mai 1996, son rapport, intitulé Se souvenir et devenir, avait été accueilli par une volée de bois vert. Alors que le camp souverainiste rêvait encore d'un match revanche à brève échéance, on accusait déjà le comité Lacoursière de chercher à noyer l'identité québécoise dans la grande mosaïque multiculturelle canadienne.
Manifestement, les choses ne se sont pas améliorées depuis dix ans, comme en témoigne le projet de programme «d'histoire et d'éducation à la citoyenneté» destiné aux élèves de troisième et quatrième secondaire, dont le collègue Antoine Robitaille, du Devoir, a révélé la teneur cette semaine.
Pendant des années, les écoles historiques dites de Montréal et de l'Université Laval ont argumenté sur le sens à donner à la Conquête. Était-ce une rupture tragique qui avait coupé les ailes d'une société sur le point de prendre son envol ou simplement une étape, somme toute positive, de notre itinéraire collectif ?
Le ministère de l'Éducation a enfin trouvé le moyen de trancher le débat. Puisqu'il est «primordial de réduire l'ampleur du contenu de formation afin de favoriser le développement des compétences et la construction des connaissances», profitons-en pour biffer la Conquête des manuels scolaires !
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«Un pur exercice de propagande fédéraliste [...], un scandale d'interprétation au regard de notre présent et, surtout, de notre histoire», écrivaient hier dans nos pages le président de la Société des professeurs d'histoire du Québec, Laurent Lamontagne, et son collègue Félix Bouvier, qui reprochent au projet de programme d'«évacuer le plus systématiquement possible les différents phénomènes d'oppression nationale subis par les ancêtres des Québécois actuels».
Avant de s'emporter de la sorte, ces messieurs devraient lire l'autobiographie publiée par Jean Charest en 1998. Notre futur premier ministre y expliquait à quel point on se trompait en voyant tout en noir. «Trop souvent chez nous, on fait l'erreur de penser que s'il y a eu par le passé des conflits, des erreurs, des désaccords, c'est que c'est la règle et non l'exception.»
«L'Acte d'Union, c'est évident, ce n'était pas la trouvaille du siècle pour les francophones, concède-t-il, mais l'Acte d'Union, ça n'a pas marché ! C'est le genre d'erreurs de parcours qu'il faudrait peut-être cesser de monter en épingle comme si elles avaient vraiment eu des répercussions concrètes.» D'accord, ils ont essayé de nous assimiler, mais ils n'ont pas réussi, alors c'est comme s'il ne s'était rien passé !
Présenter la période ouverte par la Conquête comme «l'accession à la démocratie dans la colonie britannique», pour ne pas dire grâce à cette colonisation, comme on se propose de le faire dans les écoles, correspond parfaitement à la vision de l'histoire de M. Charest.
Peu après son arrivée à la tête du PLQ, il avait expliqué à un groupe de militants libéraux de Châteauguay comment le français avait pu survivre dans cette mer anglo-saxonne. «Nous avons réussi à préserver cette langue et cette culture parce que nos voisins des autres provinces étaient des alliés, des amis, et non pas des étrangers.»
Pour illustrer cette belle complicité, qui a heureusement survécu à l'Acte d'Union, il ne manque pas d'exemples à donner aux élèves du secondaire : le rapport Durham, bien sûr, mais aussi le Public School Act de l'Île-du-Prince-Édouard, la suppression des écoles françaises au Manitoba, l'abolition des droits garantis aux francophones en Saskatchewan et en Alberta, le règlement 17 en Ontario... Autant d'«erreurs de parcours» qu'il ne faudrait surtout pas monter en épingle.
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Quelle que soit la conception de notre histoire que peut avoir le premier ministre, il va de soi que le ministre de l'Éducation, Jean-Marc Fournier, n'aurait jamais approuvé un programme qui passerait sous silence d'autres «exceptions» comme la crise de la conscription ou le rapatriement de la Constitution. «L'aveuglement volontaire» n'est pas son rayon, a-t-il assuré.
Heureusement qu'Antoine Robitaille veillait au grain ! Imaginez, le responsable du programme au ministère de l'Éducation avait déjà donné le feu vert aux représentants des maisons d'édition et ce pauvre M. Fournier n'était au courant de rien. Il ne se le serait jamais pardonné. Comment, un doute vous assaille ? Moi aussi.
La cachotterie est devenue la marque de commerce de ce gouvernement depuis qu'il est arrivé au pouvoir. Prenez les subventions aux écoles privées juives. Les ententes avec les commissions scolaires concernées étaient signées depuis des semaines quand Le Devoir a découvert le pot-aux-roses. Autrement, on n'en aurait rien su.
L'affaire était choquante, mais tenter de dépouiller nos enfants de leur histoire est encore plus révoltant. Soit, elle n'a pas toujours été glorieuse, mais ils sont en droit de le savoir et de savoir pourquoi. Ils en tireront les conclusions qu'ils voudront. On a reproché avec raison au Conseil de la souveraineté d'avoir voulu leur présenter une version tronquée. Cette fois-ci, c'est comme si on voulait leur faire croire qu'il ne s'est rien passé, ou si peu.
mdavid@ledevoir.com
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