Nous avons lu avec intérêt la lettre publiée dans Le Devoir du 26 mai dernier, sur les avantages d’une Assemblée constituante ouverte, c’est-à-dire sans mandat prédéfini quant au type de pays sur lequel cette assemblée peut aboutir. Nous ne partageons pas ce choix, mais nous reconnaissons à l’auteur le mérite de contribuer à un débat d’idées absolument nécessaire au Québec. C’est une excellente façon de s’élever au-dessus des invectives et des calculs bassement partisans qui minent notre capacité de converger pour aller vers l’indépendance.
Dans sa lettre, l’auteur fait des constats très justes. Il invite à prendre en compte les leçons du passé et à nous inscrire dans une réflexion à la fois stratégique et pédagogique. Il constate que les fédéralistes ne sont pas monolithiques et qu’au-delà des « purs et durs », plusieurs aspirent à une constitution renouvelée. Se plaçant en respect de l’intelligence citoyenne, il cherche à laisser la plus grande marge de manoeuvre possible à l’Assemblée constituante. Autant de préoccupations importantes qui nous animent aussi.
Les OUI Québec ne sont pas des nouveaux venus dans ce débat qui mise sur une Constituante pour donner plus de substance au projet de pays et pour faire sortir le Québec de l’impasse dans laquelle il est enfermé. Depuis longtemps, nous appelons à ce changement de paradigme. Nous avons tenu des États généraux sur la question, publié notre réflexion dans Forger notre avenir, organisé des débats sur ce thème, débats que nous comptons multiplier. Surtout, nous avons eu l’audace, en décembre 2015, de proposer aux partis politiques indépendantistes d’entamer des travaux pour nous entendre sur une voie commune d’accès à l’indépendance.
La marche était haute en nous proposant comme chef d’orchestre de ces travaux. Nous avons pris cette responsabilité au sérieux. Nous avons lu, réfléchi, discuté avec toute sorte de monde. Nous avons réuni les meilleurs experts. Bref, nous croyons maintenant pouvoir apporter une contribution au débat. La période de refroidissement à laquelle nous avons appelé ne doit pas avoir pour effet de placer la réflexion au congélateur ! Le débat public qui s’ouvre maintenant sur le fond des choses est salutaire, et nous comptons y contribuer activement.
Pour aller vers l’indépendance, il nous faudra additionner les appuis. En ce sens, intéresser des fédéralistes et ouvrir avec eux un espace de débat présentent un intérêt stratégique et démocratique certain. Cette question était d’ailleurs une réelle préoccupation des OUI Québec lors des travaux que nous avons menés avec nos partenaires du Parti québécois, de Québec solidaire, d’Option nationale et du Bloc québécois.
Malgré l’importance que nous accordons à ces préoccupations stratégiques, nous devons éviter deux dérives. D’une part, mettre à risque le projet d’indépendance et diviser davantage les indépendantistes. D’autre part, décevoir les fédéralistes qui rejoindraient la Constituante avec beaucoup d’attente face à un Canada renouvelé, en leur proposant une voie de modification de la Constitution canadienne qui ne tient pas la route.
Placer le peuple québécois au coeur de la Constituante et lui permettre, pour la première fois dans son histoire, d’exercer son pouvoir constituant est un défi emballant dont on ne doit cependant pas négliger les embûches.
S’inspirant de la pensée républicaine, la Constituante est complètement étrangère au système de droit canadien et à sa culture. Voilà qui donne au gouvernement canadien et à sa Cour suprême des poignées importantes dont nous devons être conscients. Le Canada est un État de droit. Que ça nous plaise ou pas, nous en faisons partie et celui-ci ne nous fera pas de cadeau. La Cour suprême a déjà statué que la Constitution canadienne s’appliquait au Québec malgré le refus unanime de l’Assemblée nationale. Surtout, le gouvernement fédéral n’est pas du genre à regarder passer le train.
Ces considérations sont au coeur de la réflexion qui nous amène non pas à baisser les bras, mais à militer fermement pour une constituante avec le mandat de rédiger la Constitution d’un Québec pays. Faute de mandat clair, nous nous fragilisons dangereusement dans la lutte féroce de légitimité qui ne manquera pas de s’ouvrir au Canada. Pour renforcer la posture délicate dans laquelle l’histoire nous a placés, les partis indépendantistes devront faire du projet de nous doter d’une Assemblée constituante avec mandat de rédiger la Constitution d’un Québec indépendant, un engagement électoral fort sur lequel ils inviteront la population à voter.
Toute ambiguïté sur l’objectif recherché permettrait au Canada de prétendre que les travaux de la Constituante ne peuvent déboucher que sur une constitution interne d’un Québec province, ou encore sur de vagues demandes de modifications à la Constitution canadienne de 1982. Bref, un vrai désastre quant à l’intention recherchée et un bourbier juridique sans nom ! Il y a des limites à donner toute la place à des considérations stratégiques, aussi généreuses soient-elles, au détriment d’un résultat qui peut nous conduire aux antipodes de nos aspirations les plus chères ! Rater notre indépendance en voulant trop la gagner est la pire des solutions !
En bons démocrates, nos compatriotes fédéralistes sont invités à participer à la Constituante soutenue par une majorité de l’électorat, de même qu’au référendum qui clôturera cette démarche en permettant à tous de se prononcer tant sur le statut politique du Québec que sur le projet de Constitution proposé. Nous les invitons à s’inscrire à la consultation publique qui serait organisée par la Constituante sur les principes directeurs du nouvel État, sur ses institutions politiques, sur nos relations avec les Premiers Peuples, et sur la répartition des pouvoirs avec les régions. Il y a là à boire et à manger pour faire la pédagogie de l’indépendance. Laisser croire aux fédéralistes, qui ont le droit de choisir le Canada, qu’une Constituante est une voie praticable pour amender la Constitution canadienne est un leurre auquel nous nous refusons.
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