Les vice-présidents de la Société des alcools du Québec se sont fait rembourser plus de 100 000 $ en comptes de dépenses en 2016. Mais la société d’État refuse de révéler dans quels pays ils ont voyagé, dans quels hôtels ils ont dormi ou encore quels restaurants ils ont fréquentés.
Le premier ministre Philippe Couillard avait promis en 2014 d’offrir aux Québécois «le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu».
Son message n’a vraisemblablement pas été compris par tous, car en réponse à une demande d’accès à l’information soumise par notre Bureau d’enquête sur neuf vice-présidents actuels ou passés de la SAQ, la société d’État a fourni des comptes de dépenses lourdement caviardés.
Au total, les hauts dirigeants ont réclamé aux contribuables le remboursement de 115 586,56 $ sur leurs comptes de dépenses l’an dernier.
Mais comme les détails de plusieurs frais sont presque entièrement cachés, il est impossible de connaître leur justification et où la dépense a eu lieu.
Par exemple, le v.-p Exploitation des réseaux de vente, Daniel Trottier, a réclamé le remboursement de 4742,72 $ en décembre 2015 pour un «congrès» et de 7925 $ en septembre 2016 pour un «voyage», sans davantage de précisions. La SAQ a refusé de divulguer le nom et le lieu de ces évènements.
Idem pour d’autres vice-présidents comme Jacques Farcy dont le «voyage» a coûté 7525 $ aux contribuables en juillet 2016.
Conforme à la loi
La SAQ s’appuie sur une décision de 2007 de la Commission d’accès à l’information du Québec qui l’autorise à limiter l’information transmise au public, notamment le nom des invités et de l’établissement où un haut dirigeant a fait une dépense.
La société d’État affirme qu’elle agit ainsi de façon conforme à la loi.
«Concernant les voyages, nous considérons avoir répondu à la demande en spécifiant, dans la catégorie de dépense, si la dépense a été faite au Québec ou hors Québec», a aussi indiqué le porte-parole Renaud Dugas.
– Avec la collaboration de Andrea Valeria
Les dépenses des dirigeants en 2016
Daniel Trottier
V.-P. Exploitation des réseaux de vente
28 831,95 $
Jacques Farcy
V.-P. Marketing, dons et commandites
27 384,12 $
Catherine Dagenais
V.-P. Stratégie commerciale et expérience client
19 377,10 $
Jean-François Thériault
Ex-V.-P. à la chaîne d’approvisionnement
11 314,86 $
Nathalie Hamel
Ex-V.-P. des Affaires publiques et communications
10 065,84 $
Jean-François Bergeron
V.-P. Technologies de l’information
8021,98 $
Raymond Paré
V.-P. et chef de la direction financière
5 735,54 $
Madeleine Gagnon
V.-P. Ressources humaines
3 606,41 $
Suzanne Paquin
Ex-secrétaire générale et ex-v.-p. des services juridiques
1 248,76 $
Un « manque de transparence »
La SAQ manque de transparence envers les Québécois, déplore la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
«Tous les jugements que l’on voit apparaître depuis quelques années prouvent une fois de plus que la loi sur l’accès à l’information est désuète. La loi sert à éviter de donner de l’information. C’est là qu’on est rendu», déplore le président de la FPJQ Stéphane Giroux.
«Il s’agit d’employés de l’État qui ont des comptes à rendre», rappelle aussi M. Giroux.
Assez d’information
Spécialiste en éthique et directeur de l'Institut de la confiance dans les organisations, Me Donald Riendeau croit aussi que cette façon de faire n’est pas transparente, puisqu’on ne peut déterminer si les dépenses des vice-présidents de la SAQ sont justifiées ou non.
«La transparence, ce n’est pas de tout donner comme information, mais c’est d’en donner suffisamment (...) C’est important d’avoir assez d’information pour dire: est-ce que la SAQ fait attention? Est-ce que ces dépenses-là sont raisonnables? C’est certain qu’un VP peut aller dans plusieurs pays et que son compte de dépenses peut être important, mais il faut le justifier», analyse-t-il.
«Ce n’est pas de nature à augmenter la confiance envers les pratiques de compte de dépenses de la SAQ».
Des cas troublants
Contrairement à la SAQ, certains organismes publics acceptent de divulguer des copies plus détaillées des comptes de dépenses de leurs dirigeants. Au cours des dernières années, cela a permis aux médias de révéler des cas troublants:
C’est l’examen des dépenses de l’ancienne lieutenante-gouverneure Lise Thibault qui avait permis au Journal de découvrir qu’elle avait obtenu des remboursements pour des restaurants dans trois endroits différents en même temps ou encore pour un souper personnel avec des amis. En 2015, elle a été condamnée à 18 mois de prison ainsi qu’à rembourser 300 000 $ pour fraude et abus de confiance à l'endroit des gouvernements provincial et fédéral.
Dernièrement, Le Journal révélait que le président de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, Evan Siddall, avait déboursé 1119,58 $ de fonds publics pour un luxueux repas avec une compagnie privée qui touchait déjà 1,5 million $ en contrat du gouvernement. Les convives s’étaient régalés de filet mignon, langoustines en extra et grand vin.
L’ex-ministre fédérale de la Coopération internationale, Bev Oda, a démissionné dans la controverse en 2012. Ses dépenses jugées excessives avaient été rapportées par La Presse canadienne, notamment un séjour au prestigieux hôtel le Savoy, à Londres, à 665 $ la nuit, pour une conférence internationale en 2011 au lieu de se loger à l’hôtel prévu par les organisateurs. L’ex-ministre y avait dégusté un verre de jus d’orange à 16 $ et avait exigé une limousine à 1000 $ par jour.
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