Après quelques années de silence, si l'on excepte son intervention pour lancer la manifeste des dits "lucides", Lucien Bouchard a frappé un grand coup mardi, en tombant à bras raccourcis sur le PQ, Pauline Marois, le projet indépendantiste et l'affirmation identitaire québécoise.
Depuis, les médias, surtout La Presse, ont trouvé dans ses propos une nouvelle source d'inspiration pour vendre leur option fédéraliste à la sauce multiculturelle et néo-libérale. On ne s'en surprendra pas.
Par contre, faut-il se surprendre de la sortie de Lucien Bouchard? Oui et non. Oui parce que l'ex PM nous avait habitué à une stricte réserve depuis son départ de la politique active. Non parce que Bouchard se montre enfin sous son vrai visage : autonomiste, conservateur et adepte du multiculturalisme (ou pluralisme à la Gérard Bouchard).
Dans un article disponible dans le Voir, la chroniqueuse Josée Legault y va d'une analyse fort pertinente du parcours politique de Bouchard qui, à première vue, peut sembler sinueux mais qui en réalité est d'une limpide cohérence. D'abord admirateur de Trudeau et du French Power, Bouchard a appuyé aussi Bourassa et le PLQ avant de changer son fusil d'épaule après 1970, en optant pour le PQ de René Lévesque. Négociateur du gouvernement, il a soutenu le OUI en 1980. Ami de Brian Mulroney, il l'a suivi dans l'aventure du Beau risque en 1984, rédigeant les discours du chef conservateur (dont le célèbre discours de Sept-Îles sur la signature de la Constitution dans l'honneur et l'enthousiasme). Ambassadeur du Canada jusqu'en 1988, Bouchard est devenu ministre et lieutenant politique du Québec sous Mulroney jusqu'à sa démission fracassante en 1990. Prétextant une mésentente avec Mulroney sur une révision de l'Accord de Meech, il a quitté le cabinet et le caucus conservateur pour fonder le Bloc Québécois, un groupe de dissidents conservateurs et libéraux destiné d'abord et avant tout à défendre les intérêts du Québec dans cette période trouble.
En 1993, Bouchard a mené le Bloc à une victoire historique, raflant 54 des 75 sièges du Québec et devenant même l'opposition officielle de Sa Majesté. En 1995, il est devenu quasi-messianique suite à son amputation et il a fomenté une nouvelle forme d'étapisme en imposant à Jacques Parizeau un partenariat économique et politique avec le Canada advenant la souveraineté. Il voulait même d'une formule à deux référendums comme en 1980 et un mandat de négocier.
On connaît son rôle au référendum de 1995. Son charisme et ses talents de tribun ont transmis au camp du OUI une dose d'énergie contagieuse et ont contribué à cette presque victoire.
Son arrivée au pouvoir en 1996 aurait dû signifier la reprise de la lutte souverainiste après une aussi courte défaite. Et non! Avant de s'atteler à son obsession du déficit zéro, Bouchard est allé rencontrer la communauté anglophone pour lui signifier qu'elle pouvait compter sur lui pour ne pas organiser un 3e référendum à brève échéance et pour ne pas rouvrir le dossier linguistique.
Le Congrès du PQ a été le théâtre d'un affrontement entre Bouchard et l'aile dite radicale du PQ, sur la question linguistique. On se souviendra que Bouchard a menacé de démissionner suite à un vote de confiance à 76%. Il a profité de son retour le lendemain pour écraser les dissidents et imposer sa volonté, en utilisant évidemment la mémoire de René Lévesque (tiens, tiens).
En 1998, Bouchard a fait une campagne électorale en promettant un référendum s'il arrivait à réunir les conditions gagnantes. Sa victoire à l'arraché sur le PLQ de Charest lui a donné une autre raison de mettre le projet sur la glace.
Et en 2001, il s'est servi des propos déformés du militant Yves Michaud sur l'importance du génocide juif pour lâcher le bateau et déposer les armes. Il n'avait pas réussi à convaincre les Québécois de la justesse de l'indépendance. Dans les faits, a-t-il au moins essayé? Quand on regard les efforts de Bouchard pour secouer les Québécois, on se rend compte qu'il se fiait uniquement aux réactions populaires face aux assauts répétés du gouvernement fédéral. Bouchard n'a jamais tenté une quelconque offensive pour promouvoir le projet en soi qui en lui-même, est suffisamment défendable. Pendant toutes ses années comme PM, Lucien Bouchard a pratiqué un nationalisme défensif et attentiste.
Ce que Josée Legault a démontré comme cohérence chez Bouchard, c'est cette volonté d'en arriver à un accord négocié avec le Canada, même après un Oui. La souveraineté si nécessaire mais pas nécessairement la souveraineté. Il fait partie d'un courant de pensée qui rappelle l'idée de Daniel Johnson père, soit l'égalité ou l'indépendance. Lucien Bouchard est davantage un autonomiste qu'un indépendantiste. Sa quête politique l'illustre parfaitement. Après Meech, Bouchard a tenté de former un autre parti politique au Québec, pour damner le pion au PQ et réclamer plus de pouvoirs au fédéral et un statut politique particulier au Québec. La menace souverainiste a toujours été pour lui une menace et un instrument de chantage plus qu'autre chose. Il voulait que les Québécois disent OUI mais pas forcément au pays mais à une forme d'autonomie au sein de la fédération canadienne.
Lucien Bouchard est également cohérent au niveau socio-économique. Il est de tendance centre-droit. Certes, il a dirigé un parti politique de centre-gauche mais c'était pour lui contre-nature. Le PQ était un passage obligé pour lui permettre d'accéder au pouvoir et mener ses réformes et sa lutte au déficit. On l'a vu avec les Lucides : Lucien Bouchard est un apôtre de la libre entreprise et du néolibéralisme. Il aime aussi fréquenter les élites financières dont il est très proche.
Idem pour sa pensée sur l'identité. Pour Lucien Bouchard, l'affirmation de l'identité et des valeurs québécoises sont des preuves de fermeture et d'intolérance. Il est donc normal qu'il soit en accord avec son frère Gérard sur ce point. Gérard Bouchard n'a-t-il pas suggéré d'évacuer toute référence au passé canadien-français pour mieux intéger les nouveaux venus à notre histoire nationale? Renier notre passé pour mieux bâtir l'avenir... Tout un programme!
Lucien Bouchard a probablement raison sur la nécessité d'un débat sur l'avenir des services offerts par l'État. La dette, les finances publiques et les conséquences du vieillissement sont des questions préoccupantes, bien évidemment. Mais l'ex-premier ministre voit ce débat à travers un prisme néo-libéral alors que les sociaux-démocrates du Québec devraient le voir comme une belle occasion de rédéfinir la gauche à l'aube des années 2010.
Alors que les rumeurs s'intensifient sur la fondation d'un autre parti de centre-droit à partir des ruines de l'ADQ, le PQ a un double-défi devant lui : remettre le projet d'indépendance à l'agenda politique et renouveler la social-démocratie québécoise pour faire en sorte d'assurer l'avenir des prochaines générations et les deux objectifs sont intimement liés. Le Québec doit avoir la pleine maîtrise de ses moyens politiques, culturels et économiques pour faire face à ces défis. Non seulement le pays du Québec est-il souhaitable et réalisable mais il est plus nécessaire que jamais. Lucien Bouchard, tout souverainiste qu'il se prétend être, sera-t-il du combat?
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1 commentaire
Gaston Boivin Répondre
19 février 2010"Renier notre passé, pour mieux bâtir l'avenir...Tout un programme!", dites-vous, en faisant allusion à la suggestion qui nous serait collectivement faite par Gérard Bouchard d'évacuer toute reférence au passé canadien-francais pour mieux intégrer les nouveaux-venus à notre histoire. Je trouve que cette expression caricaturale décrit bien le trop bon vouloir de ce monsieur Bouchard: En somme: Renier notre passé pour mieux nous bâtir dans notre avenir et surtout pour mieux bâtir les nouveaux Québécois dans cet avenir.
N'est-ce pas cela même que nous demandait, à l'époque, Lord Durham lui-même? Au moins, lui, il avait l'excuse de croire que notre histoire n'en était pas une et, surtout, il n'était pas issu de ce peuple dont il voulait nier le bien-fondé de son existence.
En définitive, pour notre mieux-être et, surtout pour celui des nouveaux Québécois qui nous accompagneront désormais dans l'avenir, oublions-nous nous-mêmes pour mieux être présents aux nouveaux venus et pour mieux se mettre à leur diapason. Dépouillons-nous comme peuple de notre essence pour mieux accueillir l'essence même des peuples que représentent les nouveaux venus qui désormais feront partie de notre peuple.
Que ceux et celles issus de notre peuple né de la Nouvelle-France deviennent désormais des abbés Pierre et des mères Thérésa à l'égard de tous les nouveaux-venus, en mettant au rebut les caractéristiques qui les font comme peuple pour mieux respecter celles propres aux peuples d'origine de ces nouveaux venus.
Que, tout comme les apôtres, nous abandonnions tout pour suivre notre nouveau messie!
Je veux bien que nous soyons bons, accueillants, fraternels et ouverts, ...mais pas au point de nous oublier nous-mêmes: Nous ne somme pas, ainsi que notre peuple, des êtres désincarnés, sans aucune référence.