Michaud et Morin

La calomnie comme technique gouvernementale

Peut-être que monsieur Michaud aurait droit à plus de respect du leader parlementaire du gouvernement s’il avait défendu, au lieu des petits investisseurs, un système d’enveloppes brunes.

Affaire Michaud 2000-2011

[->30568] Un gouvernement doit répondre de ses actes, assurer le devoir d’équité envers les citoyens sous sa juridiction, et, puisqu’il s’agit d’une “assemblée nationale”, représenter la nation québécoise. Or, Jean-Marc Fournier, membre du gouvernement, s’est attaqué la semaine dernière à deux hommes, Yves Michaud et Claude Morin, qui ont déployé d’amples efforts au cours de plusieurs décennies pour marquer leur vie par un engagement public peu commun.

En principe, ce devrait être plus qu’assez pour que ces deux hommes aient droit au respect.

Monsieur Yves Michaud a notamment travaillé pour la défense des investisseurs. Il s’est opposé à la culture du secret menée par des entreprises et plus particulièrement les banques. Peut-être que monsieur Michaud aurait droit à plus de respect du leader parlementaire du gouvernement s’il avait défendu, au lieu des petits investisseurs, un système d’enveloppes brunes.

Dans son bilan de session, Madame Pauline Marois a noté que monsieur Michaud n’avait pas été traité équitablement par l’Assemblée Nationale. Comme Jean-Marc Fournier avait menacé d’instruire un réquisitoire contre monsieur Michaud sous prétexte qu’il défendait une vision ethnocentrique, madame Marois a voulu priver Jean-Marc Fournier d’un terrain de jeu où il pourrait répandre son flot nauséabond.

Sur quelle base un tel réquisitoire pourrait-il s’échafauder de l’avis de Jean-Marc Fournier? Certes, un réquisitoire n’a pas besoin de base. Monsieur Yves Michaud avait exprimé publiquement son désir de briguer les suffrages au nom du parti Québécois. Cela signifie en clair qu’il voulait devenir un député à l’Assemblée Nationale et par conséquent représenter la nation québécoise. On peut s’attendre à ce qu’un aspirant député à l’Assemblé Nationale veuille représenter la nation québécoise et que cela se range comme un devoir, pas comme un dessein condamnable.

Rien de plus naturel que de stipuler que l’action d’un député à l’Assemblée nationale se centrera sur l’existence de la nation québécoise. On devrait s’attendre à ce qu’une personne voulant être élu à l’Assemblée nationale respecte cet aspect crucial de sa fonction de député sans se faire accuser d’entretenir des dogmes primitifs favorables au racisme.

Il semblerait, dans la vision tordue de Jean-Marc Fournier, que la notion de “nation québécoise” aurait une version secrète qui, elle, contiendrait des idées vilipendées. Ce serait à cette version secrète qu’adhérerait Yves Michaud. Dans cette version secrète, on ferait profession de foi envers des composantes indésirables de la nation québécoise. Tout citoyen responsable voudrait que soient retranchées ces composantes funestes.

On devrait défendre plutôt une appartenance de sol. La nation québécoise serait désormais l’agglomérat des occupants d’un territoire où on y dort, on y mange, on y reçoit. Plus question de reconnaître quelque autre aspect du fait national. Si le fait national est aussi une filiation culturelle, il y aurait sûrement un affreux revers à la médaille. Pour être “politiquement correct”, il faudrait traiter de la nation québécoise strictement comme du sol occupé, aussi bien dire en termes de tactiques de l’habitat.

Voir ainsi la nation comme un lieu de résidence sans mention de la particularité d’une langue, d’une culture, et d’un Etat, relève d’une âpreté exceptionnelle envers la nation québécoise. Cette vision ne trouve aucune base dans la pratique le moindrement sérieuse des sciences humaines. Malheureusement, monsieur Jean-Marc Fournier croit que sa carte de membre du parti Libéral lui donne la science infuse et qu’il sait distinguer les idées qui ont fait leur temps des autres.

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Monsieur Jean-Marc Fournier a aussi attaqué monsieur Claude Morin, ironisant sur l’espionnage dont il aurait fait sa spécialité. D’abord situons un peu Claude Morin. Il fut connu comme une figure dévouée de la période dite de la révolution tranquille. Il fut appelé à servir par plusieurs premiers ministres car Claude Morin, comme d’autres, Parizeau, Lévesque, Michaud, comprenaient la nécessité de doter l’Etat québécois de moyens étatiques plus larges.

Le Québec voulait jeter entre autres les bases d’une politique de représentation internationale qui aurait sa source dans le gouvernement lui-même. Très tôt, le Fédéral a harcelé les tenants de cette politique d’ouverture du Québec sur le monde avec des comportements dignes d’une chancellerie paranoïaque. Comme artisan laborieux de la politique d’ouverture du Québec, Claude Morin fut sur le front pour dialoguer avec un appareil d’Etat qui y voyait une intrusion, une menace de sécurité continentale, et quoi encore.

Le Fédéral se montra réticent à la politique d’ouverture du Québec dès les années soixante et ses réticences allèrent de sommet en sommet par la suite, alors qu’on changeait de décennie. Les notes datées du 4 avril 1976 de Claude Morin donne une bonne idée de cette chancellerie dont un des bras est la GRC et qui veut que la diplomatie internationale soit réservée de droit aux représentants du Canada et de son système politique: “La théorie de base de la GRC est que le PQ risque d’être manipulé (s’il ne l’est pas déjà) par les services français! Cette idée est une constante de toutes mes conversations avec LF (Léo Fontaine). D’où son intérêt pour tout ce qui concerne la France. La GRC est aussi d’avis que le PQ constitue un excellent point de chute pour des agents étrangers, notamment URSS Cuba.”*

La surveillance du Fédéral et sa crainte de ne pouvoir imposer des mécanismes de contrôle suffisant à l’endroit du Québec se sont enflées dans un contexte où déjà Trudeau accusait les indépendantistes de crime contre l’humanité. A chaque époque des prétextes se montent de toutes pièces pour justifier le Fédéral d’investir l’espace politique que le Québec entend prendre.

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Dans ce contexte précaire, des hommes comme Yves Michaud et Claude Morin, à leur façon, ont voulu défendre l’Etat du Québec. Dommage que monsieur Jean-Marc Fournier les calomnie et juge que sa mission de parlementaire se résume à protéger ceux qui sont dans le giron de son parti. Le gouvernement Charest protège ceux qui ont des méthodes douteuses d’arrivisme et de recherche de fric, point à la ligne.

On ne s’étonnera pas que ceux qui vivent en fonction d’une conception plus noble du service public n’aient pas droit aux mêmes égards de la part du gouvernement québécois. Pourquoi autant de calomnies? Parce que les scandales pleuvent sur le gouvernement et qu’il veut braquer les projecteurs ailleurs. L’an passé, Michèle Courchesne a congédié un chef de cabinet pour “bris de confiance”. La députée de l’ADQ Sylvie Roy a soulevé la question de l’indemnité de départ versée à son ancien chef de cabinet, monsieur Marineau.

On a là une vraie “affaire” impliquant de possibles malversations et, selon Sylvie Roy, le cas implique que le personnel de cabinet peut agir à titre de solliciteur de fonds du parti Libéral. La ministre Courchesne a d’ailleurs admis avoir eu vent d’allégations selon lesquelles monsieur Marineau aurait eu des rapports avec des firmes de génie-conseil à des fins de financement du parti Libéral.

Madame Courchesne a affirmé avoir soumis l’affaire à la Sûreté du Québec. Elle n’a cependant pas jugé bon de déclencher une enquête au sein même du ministère. L’affaire révèle aussi les liens de copinage entre les appareils du parti Libéral du Canada et du parti Libéral du Québec, monsieur Marineau ayant d’abord travaillé dans les officines d’Ottawa. Un point qui n’étonnera pas Jean-Marc Fournier qui a laissé la garde rapprochée de Michael Ignatieff pour rejoindre à nouveau celle de Jean Charest.

Bien que nébuleuse dans ses réponses, il faut rendre grâce à madame Courchesne de s’être levée pour répondre vaille que vaille. Les autres membres de la députation libérale, Jean Charest en tête et son leader parlementaire Jean-Marc Fournier font de la diversion systématique.

André Savard

*Le point après un an, extrait de L’Affaire Morin, éd. Boréal 2006.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    13 décembre 2010

    Non seulement les petites gens ne voient pas leur petitesse mais, qui plus est, elles croient avoir de la grandeur. Jean-Marc Fournier ne déroge pas à ce phénomène.