Dans son tout premier geste public d’impatience face à SNC-Lavalin, la Caisse de dépôt s’est adressée directement au conseil d’administration de la firme d’ingénierie lundi pour lui demander d’agir « sans délai » de façon « décisive ».
« C’est un peu comme si on blâmait le conseil de ne pas avoir fait sa job, de ne pas avoir fait le ménage bien plus tôt », estime Yvan Allaire de l’Institut sur la gouvernance.
La « détérioration » de la situation financière de SNC, encore confirmée lundi par une nouvelle révision à la baisse des prévisions financières, « est une source de préoccupation grandissante pour la Caisse », a averti le bas de laine des Québécois, qui détient près de 20 % de l’entreprise.
Activités abandonnées
SNC-Lavalin a annoncé lundi l’abandon des contrats à prix fixe, qui sont, selon le PDG Ian Edwards, « la cause première des problèmes de rendement » de l’entreprise. Cela signifie que SNC s’exclura désormais de projets comme le Réseau express métropolitain (REM), qu’elle a raflés aux dépens de sa rivale WSP.
SNC-Lavalin envisage aussi de se retirer carrément de secteurs actuellement peu rentables : les hydrocarbures, les mines et la construction.
Ces activités dont se désintéresse SNC seront désormais séparées du cœur de métier de l’entreprise, l’ingénierie, la gestion de projets, l’énergie nucléaire et les services d’infrastructures. Elles représentent 42 % du chiffre d’affaires.
« C’est une tactique assez courante dans une stratégie de redressement : on isole tout ce qui est en mauvais état, ce qui va permettre au marché de mieux évaluer les secteurs où ça va bien », explique Louis Hébert, professeur à HEC Montréal.
En 2018, les secteurs en bonne santé de SNC-Lavalin ont généré un bénéfice d’exploitation de 776 M$ sur des revenus de 5,8 G$. En revanche, les activités en difficulté ont entraîné une perte d’exploitation de 237 M$ sur des revenus de 4,3 G$.
« Plan d’exécution réaliste »
SNC promet d’en dire plus sur sa nouvelle stratégie au début de l’automne, mais déjà, la Caisse presse l’entreprise d’aller plus loin dans sa restructuration.
« Cette nouvelle orientation stratégique devra couvrir l’ensemble [des] activités [de SNC-Lavalin] et permettre de renverser la tendance actuelle, qui est inacceptable. Nous nous attendons de plus à ce que cette stratégie soit accompagnée d’un plan d’exécution réaliste. »
Au cœur d’un scandale de corruption qui a plongé le gouvernement Trudeau dans une profonde crise, SNC fait également face à d’importants problèmes causés par l’accumulation de contrats déficitaires.
Lundi, SNC a fait état d’une radiation de 1,9 G$ liée à sa filiale Kentz, acquise en 2014 pour 2,1 G$. Une première radiation de 1,2 G$ avait été inscrite en février.
♦ L’action de SNC a perdu 6,7 % lundi pour clôturer à 23,80 $.
La Caisse et SNC-Lavalin
- Plus important actionnaire
- Participation de 19,9 %
- 1,3 milliard $ investis
- Perte sur papier de 600 M$ (-47 %)
Pas question de changer de nom
SNC-Lavalin a assuré lundi ne pas avoir l’intention de changer de nom, malgré l’utilisation d’un acronyme pour la dénomination de ses deux nouvelles divisions d’exploitation.
L’entreprise montréalaise regroupera les activités qu’elle entend délaisser au cours des prochaines années dans une entité baptisée « SNCL Projets ». Quant aux activités qu’elle prévoit poursuivre, elles seront réunies au sein de « SNCL Services d’ingénierie ».
« SNCL est tout simplement un acronyme court parfois utilisé pour SNC-Lavalin, a indiqué lundi au Journal un porte-parole de l’entreprise, Nicolas Ryan. Il n’y a pas de changement de nom en vue. »
Le nom SNC-Lavalin a été malmené au cours des dernières années en raison d’affaires de corruption. La situation a encore empiré au cours des derniers mois alors que le scandale s’est transporté à Ottawa, plongeant le gouvernement Trudeau dans une crise sans précédent.
Dans des cas semblables survenus ailleurs dans le monde, des entreprises ont préféré adopter un nouveau nom afin de réduire les connotations négatives.
Siège social
Changement de nom ou pas, SNC est tenue, en vertu d’un accord de financement conclu en 2017 avec la Caisse de dépôt et placement, de maintenir son siège social à Montréal au moins jusqu’en 2024. L’entente prévoit aussi que « la prise de décisions stratégiques [de SNC-Lavalin] continuera d’être concentrée à Montréal » et qu’« une partie importante de l’équipe de direction » de l’entreprise doit résider au Québec.
De plus, l’accord donne à la Caisse le droit d’être consultée sur le choix du président du conseil d’administration de SNC et le droit de proposer la nomination d’un administrateur.
Or, la Caisse n’a pas exercé ce droit, de sorte qu’elle n’est pas représentée au conseil de l’entreprise même si sa participation au capital-actions frise les 20 %.
Maxime Chagnon, porte-parole de la Caisse, n’a pas pu expliquer pourquoi lundi. « C’est un droit qu’on a toujours », a-t-il toutefois noté.