La Belgique disparaît mais lentement

Chronique de José Fontaine

C’est toujours un peu étonnant d’observer la crise nationale belge. Cette semaine on a appris que le parti nationaliste flamand, la NVA (Nieuwe Vlaamse Alliantie), pourrait obtenir plus de 25 % en Flandre y devenant le premier parti politique. La NVA est heureusement (cela, tout le monde s’en réjouit), en train de prendre les voix du Vlaams Belang parti flamand également séparatiste, mais fasciste et non démocratique. La NVA est, elle, un parti démocratique, certes fort à droite. Elle est également séparatiste, mais veut aller à l’indépendance de la Flandre par étapes. La première étape, ce serait de passer au confédéralisme. Les Libéraux flamands veulent aussi y aller, mais ils fixent le confédéralisme comme le but à atteindre, pas comme une étape.
Il n’y a pas d’Etat confédéral mais…
En théorie, il n’y pas d’Etat confédéral, puisque le principe d’une Confédération c’est d’unir des Etats souverains à travers un traité international qui laisse libres les parties qu’il engage. A première vue, cela n’aurait donc pas de sens de parler de confédéralisme en Belgique sauf dans un sens fédéraliste. Pourtant, le fédéralisme belge ou le pacte constitutionnel belge a d’ores et déjà [http://www.larevuetoudi.org/fr/story/confédéralisme-de-fait->d’évidents traits de confédéralisme] comme le principe de l’équipollence des normes (la loi d’un Etat fédéré a la même force juridique qu’une loi fédérale). Une exclusivité des compétences qui n’est pas rattrapée comme au Canada par le fameux « pouvoir de dépenser » de l’Etat fédéral. Et enfin, surtout peut-être, le fait que lorsqu’une compétence est accordée aux Etats fédérés, ceux-ci l’exercent pleinement, y compris sur le plan international, c’est-à-dire exactement comme un Etat indépendant ou dans le cadre du Conseil des ministres européens. Ce que les juristes wallons et bruxellois commentent dans les mêmes termes que ceux de la doctrine Gérin-Lajoie.
Et je sais qu’au Canada, on est bien au courant du fait que les gouvernements régionaux belges sont très autonomes, même si les compétences qu’ils exercent ne sont pas aussi nombreuses que celles de l’Etat québécois. Par exemple, la Justice chez nous demeure une matière exclusivement fédérale de même que le maintien de l’ordre ou – ce qui est évidemment est encore plus important – la Sécurité sociale. Bart de Wever, le leader de la NVA, propose fondamentalement que toutes les compétences soient désormais exercées par les Etats fédérés et il veut scinder complètement la Sécurité sociale. Là, il y a un problème, au moins dans un pays comme le nôtre et pour une matière comme celle-là.
Une seule chose doit rester « belge » : la Sécurité sociale
Les syndicalistes tant wallons que flamands s’opposent à la scission du financement de la Sécurité sociale. Ils partent de l’idée qu’une assurance est d’autant plus solide qu’elle a d’affiliés. Ce qui est une idée absolument incontestable, quasiment un axiome. D’autant plus que la Sécurité sociale est une institution qui doit défier le temps, qui concerne un temps plus long qu’une vie d’homme : elle concerne les enfants que nous allons avoir, si nous sommes jeunes, mais aussi la pension dont ces jeunes jouiront plus tard. Les nationalistes flamands font souvent état du fait de transferts d’argent dans ce domaine de la Flandre à la Wallonie. Un transfert c’est « la somme qu’une Région reçoit en plus que ce qu’elle recevrait si sa part dans les dépenses était égale à sa contribution aux recettes. » Et il est vrai que, notamment pour les soins de santé et le chômage, la Wallonie qui a connu des problèmes économiques graves (mais en partie du fait de la prédominance flamande), reçoit plus que sa contribution aux recettes. Par contre, dans les pensions, c’est en train de devenir le contraire. La Flandre vieillit à toute vitesse. On considère que, d’ici 2050, [http://www.larevuetoudi.org/fr/story/les-mensonges-sur-les-fins-de-carrière ->elle va perdre 12% de sa population active]. Et comme elle est dans une phase de prospérité, les pensions flamandes à payer vont être très élevées.
Ce qui permet de dire que la Wallonie ne vit pas réellement aux crochets de la Flandre (contrairement à ce que dit la propagande). En outre, les transferts entre régions belges sont parmi les plus faibles des transferts de ce type en Europe. Enfin, il y a des indices que la Wallonie se relève économiquement (le chômage y a augmenté moins qu’en Flandre avec la crise, les investissements étrangers ont été l’an passé presque aussi importants qu’en Flandre pour une population nettement inférieure, Arcelor-Mittal a rouvert un haut fourneau dans la sidérurgie liégeoise etc.).
Les Wallons n’ont plus peur
Il me semble que l’on peut dire que les Wallons n’ont donc plus peur aujourd’hui de voir grandir leur autonomie, c’est-à-dire l’espace où ils devront se débrouiller eux-mêmes. Le Ministre-Président wallon, Rudy Demotte, l’a dit clairement lors de la fête du 1er mai. D’autres indices sont plus intellectuels ou moraux. Comme le succès du livre de Michel Quévit dont j’ai déjà parlé . La grande audience atteinte par l’émission « Ma Terre ». Il y a aussi les prises de position très régionalistes du principal syndicat wallon, la FGTB. Il existe d’ailleurs un contraste entre ces indices très clairs et très probants et une certaine rhétorique unitariste belge qui semble avoir la faveur de l’opinion publique wallonne et bruxelloise. Mais la manifestation pour l’unité de la Belgique (la quatrième en un peu moins de 50 ans : il y en eut une en 1963, une en 1993, une en 2007 et la quatrième le 16 mai dernier), [http://www.larevuetoudi.org/fr/story/manifestations-pour-lunité-de-la-belgique-1963-2010 ->a été un échec patent]. Les autres l’étaient aussi dans la mesure où la majorité écrasante des participants étaient chaque fois des Bruxellois francophones, ce qui n’est nullement représentatif ni de la Flandre, ni de la Wallonie. Mais ce coup-ci, il y avait de toute façon très très peu de monde. Chose étonnante quand il s’agit d’une manifestation, les médias francophones ont unanimement regretté l’échec de celle-ci, tenté de l’expliquer ou de l’excuser. On a rapporté les mots de policiers qui devaient bien confier qu’il y avait peu de monde (même pas 2.000 personnes !). Alors que pour toutes les autres manifestations, la police ne se confie pas et annonce sans états d’âme des chiffres nettement inférieurs à ceux donnés par les manifestants. L’organisatrice de la manifestation a même précisé que cette démonstration n’était dirigée ni contre la Wallonie, ni contre la Flandre. Il y a dans cette précision quelque chose qui dit peut-être assez bien le paradoxe belge. Pour que Flamands, Wallons et Bruxellois continuent à s’entendre, il faut qu’ils prennent les uns et les autres de la distance par rapport au pays qui les rassemble depuis 180 ans, cette Belgique mal faite qui au fond divise plus qu’elle n’unit. Et dont à la limite, pour continuer à s’y entendre, il faut en réalité se débarrasser.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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