L’inquiétude

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«Oui, mais...»

L’émotion est grande lorsqu’on plonge enfin dans le numéro des rescapés de Charlie Hebdo. Sur sa couverture, un Mahomet éploré tient, lui aussi, son affiche «Je suis Charlie».
Dès la page 2, le rédacteur en chef, Gérard Biard, pose une question troublante: est-ce qu’il y aura encore des «oui, mais»? Ce «oui, mais», c’est la condamnation de l’exécution de ses principaux artisans par deux djihadistes suivie d’un «mais». Un «mais» qui, pour ne pas «jeter de l’huile sur le feu» ou stigmatiser une minorité qui l’est déjà, demande s’il ne faut pas cesser de dessiner Mahomet pour ne plus «offenser».
Ce «oui, mais» se fait de plus en plus entendre. Et ce, bien au-delà des médias anglo-canadiens, américains et britanniques qui, sous prétexte de ne pas «offenser», censurent toute caricature de Mahomet.
Même Delfeil de Ton, un des fondateurs de Charlie Hebdo, accuse Charb – directeur du journal et une des victimes de la tuerie du 7 janvier – de s’être entêté sur Mahomet. Et puis un jour, lance-t-il, «la provocation se retourne contre nous».
Le prix du «oui, mais»
Dans la foulée des attentats de Paris et d’un sentiment croissant d’exclusion au sein même des communautés musulmanes françaises, ce «oui, mais» s’inscrit dans un flot compréhensible de questionnements. Or, il n’en est pas moins risqué. Le premier danger est d’ouvrir la porte aux intégrismes.
Un exemple de premier ordre: refuser de montrer les caricatures de Mahomet pour ne pas «offenser» une croyance, c’est laisser un dogme dicter aux citoyens d’une démocratie ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas voir. Pour Mahomet, le dogme est même changeant selon les époques, les régions et les diktats du moment.
Dans l’islam, Mahomet fut pourtant déjà représenté sans problème. Dans Le Nouvel Observateur, la directrice du Département des arts de l’islam du musée du Louvre explique comment, au fil de l’Histoire, chaque dynastie va convoquer «différemment les textes à des fins politiques». Aujourd’hui, conclut-elle, l’islam «a perdu de vue sa propre histoire». L’Occident, semble-t-il, l’ignore tout autant...
Des dogmes politiques
D’où le danger ultime de ce «oui, mais» en démocratie. Soit d’ignorer la composante fondamentalement politique des dogmes religieux. Une composante qui, lorsqu’elle mène à la violence et à la dépossession de la liberté de pensée au nom de la liberté de religion, exige qu’on la dénonce.
Si le «blasphème» est permis en démocratie – Charlie Hebdo en est un ardent pratiquant, toutes confessions confondues –, c’est qu’il sert aussi à combattre l’instrumentalisation politique des religions par des leaders religieux cherchant avant tout à asseoir leur propre pouvoir.
L’enquête du Journal de Montréal faisant état hier de la présence au Québec de propagande intégriste et islamiste dans certaines mosquées et écoles religieuses subventionnées l’illustre parfaitement.
L’inquiétude, réelle, est que, pour ne pas «offenser», ce «oui, mais» gagne encore du terrain. Si tel était le cas, la liberté de pensée et de presse s’en trouverait soumise à des dogmes religieux qui, trop souvent, servent de façade à des fins politiques antidémocratiques.


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