L'ingérence et l'indifférence

La question constitutionnelle ne se limite cependant pas au choix entre le fédéralisme et la souveraineté. Même dans le cadre d'un Canada uni, l'affirmation de l'identité québécoise et la protection des champs de compétence que la Constitution reconnaît au Québec demeurent un combat permanent.

France-Québec : fin du "ni-ni"?

Tout le monde convient que Nicolas Sarkozy est un homme très occupé et qu'il doit l'être plus encore en ces temps de crise. La presse française n'a cependant pas manquer de souligner avec quel enthousiasme le président français s'est lancé dans l'entreprise ambitieuse de «refonder le capitalisme», qui le forcera malheureusement à écourter sa présence au Sommet de la Francophonie.
Le hasard faisant bien les choses, la crise financière qui secoue la planète a coïncidé avec l'accession de la France à la présidence de l'Union européenne. M. Sarkozy a donc trouvé là un magnifique exutoire à l'hyperactivité qui le caractérise. Plutôt que de jouer un rôle d'arbitre, comme c'est souvent le cas, il pourra réellement agir.
En outre, la crise le justifie de prendre certaines libertés avec les règles qui régissent le système politique français, en s'inspirant de l'article 16 de la Constitution de la Ve République qui, face à des événements exceptionnels, permet au président de prendre des «mesures exigées par ces circonstances».
Bref, la crise offre à M. Sarkozy une occasion en or de redorer un quinquennat qui n'a pas été à la hauteur des attentes. Avec un tel enjeu à la clé, il semble que nous devrions nous estimer chanceux qu'il passe quelques heures à Québec plutôt que de «chipoter» sur la durée de son séjour.
Pour une fois que les chefs d'État et de gouvernement de la Francophonie ont jugé utile de s'interroger sur l'avenir du français, l'absence de M. Sarkozy est sans doute déplorable, mais le plus américanophile des présidents français n'allait tout de même pas manquer un rendez-vous à Camp David pour si peu. George W. Bush est peut-être un «canard boiteux», mais il porte des bottes de cow-boy.
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Diplomatie oblige, Jean Charest ne pouvait que se montrer compréhensif. D'ailleurs, en professionnel de la politique, il sait très bien qu'il serait presque criminel de laisser passer une aussi belle occasion. Il a donc laissé sa ministre de la Culture, Christine St-Pierre, dire ce que pense le commun des mortels: «C'est un peu décevant.»
L'ancienne ministre péquiste des Relations internationales, Louise Beaudoin, a condamné la décision de M. Sarkozy d'écourter son séjour, mais ce qu'on pense vraiment du président dans les cercles péquistes serait tout simplement impubliable.
Bien avant son élection à la présidence, ceux qui avaient eu l'occasion de le rencontrer en étaient rapidement arrivé à la conclusion qu'il voyait la question québécoise à travers les yeux de la famille Desmarais et qu'il ne fallait pas espérer le faire changer d'idée.
Hier, M. Sarkozy n'a rien fait pour apaiser leurs craintes. Malgré l'accent qu'il a mis sur les liens fraternels entre la France et le Québec, il a clairement laissé paraître sa préférence pour un Canada uni.
Dans le point de presse qu'il a donné à la citadelle, en compagnie de Stephen Harper, il a déclaré que le monde actuel n'avait surtout pas besoin de divisions additionnelles. L'allusion était très claire.
Dans son discours à l'Assemblée nationale, il a loué le Québec pour son «refus du repliement sur soi» et a parlé d'une nation québécoise «au sein du grand peuple canadien», comme le disait la motion adoptée par la Chambre des communes. Assis dans les tribunes, M. Desmarais a certainement apprécié ses propos à leur juste valeur.
À Paris, on avait indiqué que la formule classique de la «non-ingérence, non-indifférence» traduisait mal la pensée de l'actuel président. En réalité, il semble voir les choses à l'opposé. À l'entendre hier, on avait plutôt une impression d'ingérence et d'indifférence.
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Dans une des réponses publiées aux questions écrites que lui avait adressées La Presse, M. Sarkozy laisse clairement entendre que, dans son esprit, «l'époque des référendums sur la souveraineté au Québec» est révolue. Si la nature de la relation entre la France et le Québec demeure la même, «le contexte a changé», note-t-il.
Il est difficile de lui donner tort. Pourquoi la France entretiendrait-elle une querelle avec un vieil allié et un partenaire économique important comme le Canada alors qu'à deux reprises les Québécois eux-mêmes ont décidé de demeurer au sein de la fédération?
En réalité, les souverainistes devraient se réjouir que la présidence de M. Sarkozy coïncide avec le report d'un éventuel troisième référendum à une date indéterminée. Il y aurait un réel problème s'il était imminent, mais il y a de très fortes chances que M. Sarkozy soit à la retraite quand il aura lieu. Si jamais il a lieu.
La question constitutionnelle ne se limite cependant pas au choix entre le fédéralisme et la souveraineté. Même dans le cadre d'un Canada uni, l'affirmation de l'identité québécoise et la protection des champs de compétence que la Constitution reconnaît au Québec demeurent un combat permanent.
Depuis près d'un demi-siècle, la France a été son plus sûr allié. C'est grâce à elle qu'il a pu faire entendre sa voix sur la scène internationale, et le Sommet de la Francophonie demeure le seul grand forum auquel il a accès.
Même si la France a toujours privilégié les relations bilatérales, notamment avec ses anciennes colonies, les prédécesseurs de M. Sarkozy avaient accepté de jouer le jeu du multilatéralisme. En passant à Québec en coup de vent au Sommet de la Francophonie, M. Sarkozy l'a en quelque sorte dévalorisé.
Il faut certainement se réjouir du développement des relations économiques avec la France. Le nouvel accord sur les compétences professionnelles est une excellente nouvelle, mais c'est avant tout sur le plan politique que le Québec a besoin de la France. Malheureusement, M. Sarkozy semble indifférent à ce besoin.


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