L’indépendance pour la Grèce, mais pas pour le Québec

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Il y a des liens que le député libéral moyen refuse de faire





Député depuis 2007 de Laurier-Dorion, Gerry Sklavounos n’est pas ce qu’on pourrait appeler une figure marquante du caucus libéral. D’ailleurs, il n’a jamais été nommé ministre. Il n’est pas sans vertu, toutefois. Il ne fait pas de vague. En général, on n’en demande pas plus à un député du PLQ. Bien installé dans une forteresse libérale et fédéraliste, où le camp du Non a obtenu 62,78% au référendum de 1995, il sert probablement de manière très honorable ses électeurs, à la manière de ces politiciens qui aiment leurs commettants et travaillent fort à améliorer leurs vies. Qu’il ne soit pas éclatant ne veut pas dire qu’il n’est pas compétent et s’il est patient, peut-être obtiendra-t-il un jour un poste de ministre dans son gouvernement.


Il y a quelques jours, toutefois, il s’est distingué de belle manière, comme il le fait probablement chaque année, en allant célébrer l’indépendance des peuples, à tout le moins, d’un peuple, celle du peuple grec (quelques jours plus tôt, il rappelait positivement l’indépendance du Bengladesh). Ce devait être une belle fête, car ça doit être exaltant de célébrer l’indépendance du pays de son cœur (d’ailleurs, sur Facebook, il écrivait le 25 mars : «aujourd’hui, les Grecs du monde entier célèbrent leur nation». Si j’étais chicanier, je lui reprocherais d’entretenir ici une conception ethnique de la nation, mais l’essentiel est ailleurs). En fait, je devine que c’est exaltant, mais je n’en sais rien, car mon peuple, lui n’est toujours pas indépendant, et s’il peut rêver à l’indépendance, il ne l’a jamais vécu. Tout ce quoi nous avons droit, c’est à une fête nationale dont on coupe régulièrement le financement, comme si la fierté québécoise coutait trop cher, et qu’il ne fallait pas consacrer trop de dollars à l’approfondissement de notre identité nationale.


Je me demande alors, comme je me demande chaque fois, pourquoi les Grecs méritaient d’avoir leur propre pays mais les Québécois ne méritent pas d’avoir le leur? Pourquoi l’indépendance est-elle bonne pour la Grèce mais est-elle mauvaise pour le Québec? Serait-ce parce que la Grèce est davantage une nation à part entière que le Québec?  Si tel est le cas, je serais intéressé qu’on me l’apprenne. Que dirait le député Sklavounos si on lui disait que la Grèce n’aurait jamais dû s’affranchir de l’empire ottoman? Qu’elle s’est alors repliée sur elle-même? Je devine bien la réponse: les Grecs étaient opprimés alors que les Québécois ne le sont pas. C’est vrai. Mais l’indépendance est-elle bonne seulement pour les peuples martyrs? Doit-on comprendre aussi que si les Grecs de l’époque n’avaient pas été dominés, ils n’auraient pas dû obtenir leur souveraineté?


Il nous dira peut-être que le Québec risquerait de mal se gouverner sans la tutelle canadienne. Que nous avons besoin du Canada pour être prospères. Mais on pourrait lui répondre que le patriotisme grec est encore aujourd’hui bien vivant même si les dirigeants grecs ont fait ces dernières années un usage exemplairement mauvais de leur souveraineté nationale? En gros, le fait qu’un pays soit mal géré ne devrait pas remettre en question le fait qu’il s’agisse d’un pays souverain. Que dirait-il si on lui disait que le désastre des finances publiques des dernières années justifierait la mise sous tutelle de la Grèce par l’Europe ou par un autre pays, et qu’on lui rendra l’indépendance une fois qu’elle aura terminé de payer sa dette, ou encore, quand elle sera plus économiquement performante que l’Allemagne? Il enverrait paître ses contradicteurs avec raison, et je les enverrais paître avec lui. Mais n’est-ce pas pourtant ce qu’on dit aux Québécois?


Mais bon, ces questions n’ont peut-être aucune valeur, car on le sait, au Québec, rien n’est jamais pareil comme ailleurs. L’indépendance est bonne pour les Polonais, les Hongrois, les Estoniens, les Danois, les Italiens, les Grecs, les Algériens, mais pas pour les Québécois. Apparemment, nous sommes un peuple à part, si distinct qu’il peut se passer de ce qui est vital pour les autres. Et lorsque un grand nombre d’immigrants ou de descendants d’immigrants installés au Québec continuent de célébrer l’indépendance de leur pays d’origine, il ne nous est pas permis de leur demander pourquoi ils célèbrent pour eux ce qu’ils refusent à leur nation d’accueil. Parce qu’alors, encore une fois, on sera accusé de cultiver la xénophobie. Alors on se tait, on sourit, on sifflote. Et on fait comme si tout cela était normal. Sauf que ce ne l’est pas*.


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*La photo qui illustre cet article est tirée de la page Faebook du député. On la trouve ici.



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