L’intelligence artificielle et les merveilleux progrès longtemps promis par les thuriféraires du “transhumanisme” font défaut à une humanité en proie au péril du coronavirus. Toutefois, la géolocalisation offre déjà des perspectives inédites de contrôle des humains récalcitrants…
Au temps du confinement, l’homme étant en cage, la nature a repris ses droits. Ici et là, on assiste à ce délicieux spectacle offert par des animaux qui se réapproprient leurs espaces naturels, comme ces cygnes rivalisant d’adresse pour atterrir sur les lacs du Bois de Boulogne. D’autres, bien plus sauvages, s’aventurent même jusque dans les territoires urbains à présent délaissés par les hommes confinés, comme ce puma entrevu à Santiago. En revanche, une autre espèce qui était, quant à elle, en voie d’apparition, manque à l’appel.
Sauvons déjà l’humanité
L’Intelligence Artificielle, comme son créateur, a déserté les lieux, à croire qu’elle se serait confinée dans son espace algorithmique. Pourtant, composée de programmes et de datas, elle n’a pas franchement à craindre d’être infectée !
Aujourd’hui, on est interpellé par le silence intersidéral de ces thuriféraires technophiles qui vantaient ses prouesses à longueur d’éditos portant sur la 3ème révolution industrielle ? Où sont-ils ces chantres de l’idéologie progressiste qui réunis lors des grandes messes de la Tech voyaient dans l’intelligence artificielle l’avenir de l’homme ? À croire qu’il suffit d’un petit microbe venu de Chine qui infecte la planète entière pour ébranler leur foi dans cette IA qui n’a de puissance que superficielle à défaut d’être thaumaturgique. Il faut dire que l’heure n’est plus à vouloir transhumaniser l’humanité mais bien à la sauver.
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Pourtant, objets intelligents et autre robotisation sophistiquée seraient bel et bien utiles non seulement pour faire tourner les usines à l’arrêt et quadrupler la cadence de celles destinées à produire masques, appareils respiratoires et autres produits nécessaires au corps médical mais également pour assurer le turn over de ceux dont le métier est à risque en ce moment : chauffeurs routiers, caissières, éboueurs sans compter les forces de l’ordre et tout le personnel hospitalier… ! Cette technologie ultra pointue n’aurait pas été utilisée pour remplacer mais pour soulager, aider, assister.
Musk: un prophète passé de mode
Prenons le corps médical. On aurait préféré voir à l’œuvre une armada de Watson et autres robots intelligents prêter leurs mains robotiques et venir renforcer les rangs de ces soignants envoyés sur le front sanitaire, dépourvus de protection anti contagion, ou alors, pour les plus chanceux et les plus ingénieux, équipés de masques de plongée qui leur tuméfient le visage au fil des heures passées au bloc ou auprès des patients en réanimation. La redoutable invulnérabilité et infatigabilité de ces stakhanovistes métalliques, tant louée quand tout va bien, fait cruellement défaut quand tout va mal.
Au lieu d’être augmenté, le corps médical est finalement anémié.
Idem pour les routiers, on aurait préféré voir filer sur les routes de France désertées par les automobilistes confinés, une armada de transporteurs 100% autonomes plutôt que des chauffeurs, privés de pauses, faute d’airs de repos, de douches, de restaurants ouverts, devant compter sur le casse-croute préparé la veille par une éventuelle épouse dévouée. On aurait aimé qu’un Elon Musk mette son hubris technologique au service du collectif au lieu de le voir assouvir ses rêves prométhéens. Au regard du bilan macabre dressé tous les soirs sur les chaines d’info en continu, et qui va être considérablement alourdi par la tragédie qui se profile sur le sol américain, la voiture volante du patron de Telsa et autres gadgets intelligents écoloresponsables nous paraissent infiniment dérisoires.
Or, si on n’assiste pas au déploiement des innovations issues de cette Intelligence Artificielle dont les épicentres sinoaméricains de la Tech Mondiale nous promettait l’avenir radieux, la technologie ultra connectée n’est pas totalement absente de la crise actuelle.
L’abominable géolocalisation menace
En effet, face à cette guerre menée contre le Covid-19, l’innovation tech est mise à contribution mais pas franchement de manière altruiste. L’IA n’est pas là pour nous aider, nous guérir, nous pauvres humains, faibles créatures que nous sommes, soumis à une mortalité assurée, causée ou non par le virus chinois, mais bien plutôt pour nous surveiller et nous contrôler. Comment ? Grâce aux données des opérateurs de smartphones qui permettent, entres autres, de pister les allers et venues de la population.
Cette géolocalisation punitive a été utilisée en Chine, en Corée du Sud et dans quelques pays européens les plus touchés par le virus, comme l’Espagne et dans la région italienne la plus sinistrée, la Lombardie. Le but de ce pistage numérique : mesurer l’efficacité du confinement et de traquer le non-respect de ses règles.
En France, tout est suspendu à l’avis du CARE, de ce comité scientifique, chargé de conseiller le président sur les mesures nécessaires pour enrayer la propagation de l’épidémie. Selon un communiqué de presse de l’Élysée, daté du 24 mars, l’une des mesures à l’examen serait d’établir « une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées ». Traquer pour mieux protéger, telle serait la mission de ce comité qui pourrait honorer, peut-être plus dignement son acronyme anglais, en mettant en place ce « backtraking » là où la responsabilité citoyenne fait cruellement défaut c’est-à-dire dans les territoires perdus de la République.
Dans Surveiller et punir, Michel Foucault avait analysé comment une épidémie offrait la possibilité d’exercer un pouvoir disciplinaire sur les corps. L’auteur ouvre le chapitre consacré au Panoptique, cette architecture carcérale inventée par le philosophe utilitariste anglais, Jérémy Bentham, en distinguant deux contagions, la peste et la lèpre et en expliquant comment elles ont permis la mise en place d’un gouvernement sur les corps bien distinct, « deux manières d’exercer le pouvoir sur les hommes, de contrôler leurs rapports, de dénouer leurs dangereux mélange ». Alors que la lèpre induit une pratique d’exclusion, d’exil, la peste, elle, génère une autre logique, celle de la discipline où se met en place un quadrillage, un découpage qui se ramifie de plus en plus. Mais relisons plutôt Michel Foucault : « A la peste, répond l’ordre (…) qui prescrit à chacun sa place, à chacun son corps, à chacun sa maladie et sa mort, à chacun son bien, par l’effet d’un pouvoir omniprésent et omniscient… »
Remplaçons la peste par le coronavirus, ça marche tout aussi bien !