Si jamais les coprésidents de la commission Bouchard-Taylor avaient l'intention de produire un rapport de "visionnaire" bourré de vastes plans, les audiences que la commission a tenues à Montréal devraient normalement les en dissuader.
Ils y auront appris, s'ils ne le savaient déjà, que sur le plancher des vaches, les choses marchent passablement bien, que les problèmes posés par le pluralisme ethnique et religieux sont relativement mineurs et fort bien circonscrits, et qu'il n'y avait aucune raison de s'inventer des drames.
En fait, une fois rendus dans la région montréalaise - la seule région où se posent les défis de l'immigration et du multiculturalisme - les commissaires auront peut-être compris que leur commission, cette pure création politique, n'était pas vraiment nécessaire.
L'un après l'autre, les grands organismes ancrés dans la réalité du multiculturalisme - commissions scolaires, hôpitaux, centres de services sociaux, etc. - sont venus expliquer comment ils géraient la diversité. Ils la gèrent très bien, merci, et toujours - détail capital - au cas par cas, dans une optique pragmatique.
Comme le disait Lise Denis, la présidente de l'Association des établissements de santé et de services sociaux, "chaque patient est unique". On essaie de répondre aux demandes d'accommodement quand c'est possible, tout dépendant de la condition du patient, des risques, des coûts et des effets sur les autres clientèles et les employés. C'est une question de bon sens, de sensibilité, de compassion.
Mme Denis s'insurge contre l'idée d'imposer un cadre de référence global, une solution "mur à mur". Laissons travailler en paix ceux qui ont accumulé au fil des années une précieuse expérience dans la gestion du multiculturalisme...
Son de cloche analogue du côté de la Commission scolaire de Montréal, où les deux tiers des 894 demandes d'accommodements ont été agréées tranquillement, sans fanfare ni scandale.
Détail piquant, le plus grand groupe de "demandeurs" (163 parents) étaient... les Témoins de Jéhovah, une secte chrétienne entièrement composée de Québécois de vieille souche! Et que demandaient ces Témoins de Jéhovah? Que leurs enfants soient exemptés des célébrations de la fête païenne de l'Halloween! Nous voici bien loin des scénarios apocalyptiques fabriqués à Hérouxville!
La CSDM n'attend rien de l'État, sauf sur trois points: elle voudrait des lois pour interdire les voiles couvrant entièrement le visage et empêchant l'identification des personnes, de même que l'établissement de locaux de prière dans les écoles publiques. La CSDM voudrait aussi que le gouvernement légifère pour régler le problème des congés religieux en égalisant le temps de travail pour tous.
Légiférer contre les niqab et les burqas qui sont pratiquement inexistants ici? Mon Dieu, si ça nous amuse... Interdire l'octroi de locaux de prière? Pourquoi pas? Mais pourquoi par une loi? Les gestionnaires locaux ne sont-ils pas assez adultes pour refuser cet accommodement? (Un local de prière accessible à toutes les religions ne dérangerait pas grand monde; le problème, c'est que lorsqu'il y en a un, les musulmans fondamentalistes le réclament pour eux seuls et veulent en interdire l'entrée aux autres. Dans ce cas, les directeurs d'école n'ont qu'à se tenir debout et à dire non.)
Enfin, on voit mal ce qui empêche les gestionnaires locaux d'égaliser le temps de travail de leurs employés, comme cela se fait du reste dans les hôpitaux, où, grosso modo, ceux qui prennent des congés supplémentaires pour les fêtes juives ou le ramadan doivent ensuite "remettre" ces heures-là à l'institution.
La tentation sera forte, chez les coprésidents, de redessiner la carte culturelle du Québec, histoire de laisser leur marque personnelle. C'est d'ailleurs pourquoi il aurait été préférable que cette commission soit présidée par des gens qui ont une connaissance pratique du terrain plutôt que par des intellectuels de haute voltige.
M. Bouchard, au début des audiences, semblait intéressé par l'idée d'un "Office du vivre-ensemble" (sic). Une autre structure bureaucratique, alors qu'on a déjà une flopée de ministères, deux chartes des droits, une commission et un tribunal des droits, et d'innombrables conseils consultatifs?
Après avoir passé tant de temps en tournée, et avoir injecté tant de fonds publics dans cette grosse machine qu'est devenue la commission, les coprésidents voudront-ils faire acte d'humilité et s'abstenir de jouer dans une réalité qui dans l'ensemble n'a rien de très problématique?
Rien n'est moins sûr, mais c'est ce qu'il faut souhaiter. Le pragmatisme, ici, est mille fois préférable aux grands projets de visionnaires férus de solutions globales.
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