Il y a un an, le CLSC Parc-Extension était sous tous les projecteurs. On racontait qu’il avait soi-disant succombé aux accommodements « déraisonnables » en excluant les hommes des cours prénataux pour des motifs religieux.
Un an plus tard, la cinéaste Karina Goma tient à rectifier les faits. Si vous allez voir son très beau film, Un coin du ciel (1), vous comprendrez à quel point ceux qui ont crié au scandale dans ce cas bien précis n’ont rien compris ou rien voulu comprendre. Vous constaterez à quel point les discours politiques opportunistes paraissent bien petits à côté de l’humanité et de la passion qui animent les gens de ce CLSC. Et vous ne verrez plus jamais de la même façon les exilés de Parc-Extension, cette « petite Babylone moderne » de Montréal qui est l’un des quartier les plus pauvres et les plus cosmopolites du pays.
Karina Goma a eu la très bonne idée de déposer son documentaire en guise de mémoire à la commission Bouchard-Taylor. Elle prendra d’ailleurs la parole cet après-midi aux audiences qui ont lieu à Laval. Qu’a-t-elle à dire aux commissaires ? Elle va leur parler de son voyage de trois ans dans Parc-Extension. Elle va leur parler des mois passés dans les coulisses du CLSC qui est le coeur battant du quartier. Elle va leur parler de ces femmes qui assistaient le jeudi matin aux rencontres de groupes périnataux. Des rencontres en 10 langues menées par des immigrantes bénévoles. Une sorte de chaos organisé répondant beaucoup mieux aux besoins de la population vulnérable fréquentant le CLSC que la formule classique du cours du soir (avec une petite vidéo et une infirmière à l’avant), peu attirante pour les mères démunies du quartier qu’on tentait de sortir de l’isolement.
Au cours de ces rencontres très particulières, Karina Goma a vu des femmes arriver seules et repartir en groupe. Peut-être n’avaient-elles rien appris sur l’art d’accoucher. Mais au moins, elles avaient eu la chance, dans cette ville où elles ne connaissaient personne, de tisser des liens, de se faire une amie qui pourrait, qui sait, donner un coup de main le jour de la naissance.
Karina Goma était au CLSC Parc-Extension quand le « scandale » des cours prénataux a éclaté. Il y avait un décalage troublant entre ce qu’on racontait dans les médias et la réalité bien particulière qu’elle côtoyait tous les jours. Là où elle n’avait vu que générosité, inventivité, humanité, on parlait d’abus et d’accommodement religieux. Mais qui avait pris la peine d’aller voir sur le terrain ce qui s’y passait vraiment ? Pour la documentariste, le scandale, il était plutôt là.
Musulmane et Égyptienne par son père, catholique et Québécoise par sa mère, Karina Goma, qui a fait la Course Europe-Asie, a assez voyagé pour savoir qu’il est nécessaire de se prémunir contre les dérives de l’orthodoxie religieuse. Elle n’est certainement pas une apôtre de la vitre givrée. Elle sait que l’égalité hommes-femmes est une valeur fondamentale qui doit être protégée contre ceux qui, au nom de la religion, voudraient la remettre en cause. Elle constate que, oui, il y a des abus et que, oui, il faut les dénoncer. Mais la dénonciation est une chose. Le dérapage en est une autre.
Dans le film Un coin du ciel, il n’est d’ailleurs nulle part question d’accommodements raisonnables. Les gens sont bien trop occupés à survivre. Ils sont ailleurs, les deux pieds dans la misère, le coeur plein d’espoir. On voit cette femme exilée venir raconter à Tassia, formidable « ombudsman » improvisée du CLSC, que son appartement est infesté de rats, qu’elle en a même vu un dans le berceau de son enfant et que son propriétaire lui a répondu qu’elle devait être habituée puisqu’il y en a dans son pays, n’est-ce pas... On y suit une jeune maman d’origine sri lankaise, qui n’a pas de rats comme colocataires, mais des coquerelles, qui travaille dans une manufacture et qui tapisse la chambre de son fils de photos de Jésus pour le protéger. Elle vient au CLSC rencontrer Hélène, cette travailleuse sociale dévouée, native de Québec, qui dit parfois devoir « parler Tarzan » avec les nouveaux arrivants se présentant dans son bureau. On y suit d’autres gens encore tout aussi touchants et attachants qui sont venus trouver ici un coin de ciel.
Ils ne demandent pas la mer à boire. Ils demandent juste un coin de ciel. C’est tout. Merci Karina pour ce mémoire tout en finesse, qui en dit plus long que bien des discours clamés haut et fort.
(1) Le film Un coin du ciel sera présenté ce soir à 18 h à la Grande Bibliothèque et samedi à 18 h 15 à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire. Il prendra l’affiche au Cinéma Parallèle (Ex-Centris) le 7 décembre.
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