La gouvernance à la CDPQ, un modèle?

L'éthique des parasites

La main qui nourrit l'administrateur

Chronique de Louis Lapointe

Le fiasco de l’UQAM est aux PPP ce que la Caisse de dépôt et placement (CDPQ) est à l’éthique de gouvernance. Dans les deux cas, on a voulu innover en ignorant les impitoyables lois du marché. Les dirigeants de l’UQAM ont pensé qu’ils faisaient une bonne affaire en confiant la maîtrise d’œuvre d’un projet immobilier à l’entreprise privée et ceux de la CDPQ ont pensé qu’ils pouvaient enrichir la Caisse en jouant au casino avec les épargnes des contribuables.
Ce qu’il y a de plus navrant dans le cas de la CDPQ, c’est que le gouvernement libéral de Jean Charest a voulu faire de la gouvernance à la Caisse de dépôt un exemple pour toutes les sociétés d’État et qu’il s’apprête maintenant à reproduire le même modèle dans les universités et le réseau de la santé et des services sociaux. Rémunérer des administrateurs professionnels et leur confier le contrôle des modes de gestion des organisations publiques grâce à l’implantation de comités d’éthique et de gouvernance était une très mauvaise idée comme on a pu le constater dans le cas de la CDPQ. Loin d’aider, ces comités ont donné l’illusion de la bonne gouvernance alors que les administrateurs qui les composaient dormaient au gaz.
Le problème avec ce modèle de gouvernance suggéré par l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP) qu’on s’apprête à implanter dans plusieurs établissements financés par des fonds publics, hôpitaux comme universités, c’est qu’il suppose que des administrateurs professionnels nommés et rémunérés seront plus compétents que des citoyens bénévoles élus. Il suggère que des administrateurs de sociétés professionnels pourront faire mieux parce qu’ils seront indépendants et rémunérés. Leur présence aux comités de vérification, d’éthique et de gouvernance garantirait ces organisations contre la bêtise.
Or, c’est justement à l’inverse que nous avons pu assister à la CDPQ. Contrairement aux administrateurs qui sont élus, ces administrateurs nouveaux genres n’ont de comptes à rendre à personne, ils ne travaillent que pour eux-mêmes et leur compte de banque. En fait, ils agissent comme des consultants privés qu’on paie pour des conseils dont la teneur est souvent connue à l’avance. Ce n’est pas leur esprit critique qui est recherché, mais bien leur souplesse et leur capacité d’adaptation, des qualités de plus en plus recherchées chez les dirigeants et les administrateurs de sociétés.
Voulant à tout prix conserver le pouvoir et la rémunération qui s’attachent à leur charge d’administrateur, ils ne voudront surtout pas importuner l’autorité à qui ils doivent leur nomination en ne posant pas trop de questions qui pourraient être jugées inopportunes. Mieux, réunis en comité de sélection, ils favoriseront toujours l’embauche de directeurs généraux qui ne souhaiteront pas remettre en question la pérennité de leur participation au conseil d’administration.
Naîtra alors une relation où les dirigeants et les administrateurs vivront en état d'osmose, chacun devenant le parasite de l'autre, un lieu où la bienséance fera office de règles d’éthique, conduisant les uns comme les autres à ne pas trop être curieux, soutenant béatement toutes les initiatives de la direction générale quand ce ne seront pas les exigences du gouvernement ou les propositions d'un administrateur bien branché. Le fait qu’ils soient nommés plutôt qu'élus les amènera à confondre leur rôle de chien de garde, se croyant d’abord au service de l’autorité qui les rémunère, pas comme des fiduciaires de l’organisation.
En fait, le nouveau modèle de gouvernance que le gouvernement s’apprête à implanter dans de nombreux établissements publics transformera leurs conseils d’administration en clubs privés, des lieux de pouvoir où s'échangera maintes informations privilégiées, où seuls seront admis avocats, comptables, administrateurs professionnels, anciens ministres et autres consultants en tout genre qui auront en commun qu’ils sont tous des amis du parti qui souhaitent être rémunérés et siéger au plus grand nombre de conseils d’administration, faisant de cette occupation une lucrative activité.
Ce seront les mêmes administrateurs de sociétés qui signeront des études indépendantes concluant à la privatisation de tout ce qui peut être rentable pour l’entreprise privée, mettant en valeur leur connaissance dans le domaine et minimisant le risque potentiel de conflit d’intérêts entre leur charge d’administrateur et leur travail de consultant privé. S’ils sont le moindrement habiles, ils feront même fructifier leur expertise et leurs réseaux au profit de leurs clients intéressés dans les opérations des organisations qu'ils administrent, ayant simplement à déclarer leur intérêt et à se retirer des délibérations du conseil lorsqu’il sera question de leurs affaires.
Voilà l’enseignement que l’on doit retirer du malheureux exemple de la Caisse de dépôt et de placement du Québec.
L'administrateur de sociétés ne mord jamais la main qui le nourrit!
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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