Alors qu’Olivier Véran vient de présenter 33 mesures pour répondre au malaise des soignants, le podcast «Russeurope Express» consacre son dernier numéro à la crise de la santé. Invités de Jacques Sapir et Clément Ollivier, le médecin André Grimaldi et l’économiste Nicolas da Silva plaident pour un retour à l’esprit originel de la Sécurité sociale.
«Accélérer la transformation» du système de soins pour y «remettre de l'humain, mais aussi des moyens et du sens», telle est l’ambition affichée par Olivier Véran le 21 juillet au moment de dévoiler une série de dispositions concluant les six semaines de négociations du «Ségur de la santé». Après les annonces du gouvernement sur le volet salarial huit jours plus tôt, le ministre de la Santé a présenté mardi 33 mesures en réponse aux revendications des personnels soignants, en grève pour certains depuis plus d’un an et particulièrement remontés depuis la crise sanitaire.
Création de 4.000 lits «à la demande», allègement d’un tiers de la dette des hôpitaux, réévaluation de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam), réduction de la part de la très décriée tarification à l’activité, ou encore implication des médecins dans la gouvernance des hôpitaux: des propositions saluées par Nicole Notat, la coordinatrice du «Ségur» et ancienne Secrétaire générale de la CFDT, mais jugées insuffisantes par le collectif Inter-Hôpitaux.
Son cofondateur, le professeur André Grimaldi, martèle au micro de France Info qu’«il y a un problème structurel» dans l’hôpital public. Invité, mi-juillet, de l’émission Russeurope Express sur Sputnik, l’ancien chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière dénonçait déjà un double phénomène de «privatisation en même temps que d’étatisation» ces dernières décennies:
«Avec la Sécurité sociale en 1945, la France avait créé un système original, considéré comme un bien commun, avec des ressources dédiées et sanctuarisées.»
«Un système qui était géré par les usagers eux-mêmes par le biais des syndicats, et sur lequel l’État n’avait pas la main», rappelle André Grimaldi. Or ce mode d’organisation n’a eu de cesse «d’être de plus en plus étatisé, par exemple avec l’instauration de la nomination du directeur de l’Assurance maladie par le gouvernement, ou encore la fin de la sanctuarisation des recettes de la Sécurité sociale, tout en étant de plus en plus privatisé, en donnant une plus grande place aux mutuelles et aux assurances privées».
Un phénomène dont le professeur émérite de médecine note d’ailleurs qu’il «entraîne des frais de gestion colossaux, tout simplement dus à une double gestion: chaque soin est traité par la Sécu et par les complémentaires». «Il ne s’agit pas d’un affaiblissement de l’État: l’étatisation va de pair avec la marchandisation», confirme Nicolas da Silva, économiste spécialiste de la protection sociale.
«Moins d’État, plus de commun»
André Grimaldi appelle donc au contraire à revenir à l’esprit originel de la Sécurité sociale à la française, avec un système public universel. Il a réuni autour de cette cause le collectif Les Jours heureux, dont le nom est une référence directe au programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944.
Une évolution qui s’incarne tout particulièrement, selon André Grimaldi, dans la fameuse «T2A», la tarification à l’activité, introduite à partir de 2007 et généralisée avec la loi Bachelot de 2009: «On est passé d’un système où la règle éthique était “le juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité” à un système qui cherche le meilleur coût pour l’hôpital lui-même, censé fonctionner de façon rentable.»
«On en vient, s’agace l’ancien médecin, à des directeurs qui, en mal de financements, vous demandent d’augmenter l’activité artificiellement, de faire venir les malades deux fois au lieu d’une…»
Le sociologue Frédéric Pierru, qui a co-dirigé avec lui l’ouvrage Santé: urgence (éd. Odile Jacob, 2020), parle ainsi de «bureaucratisation néolibérale». Est-ce pour cette raison que les revendications des soignants exigent à la fois «plus d’État» au sens de plus de moyens, et «moins d’État» dans la gouvernance des hôpitaux?
Maître de conférences à Paris 13, Nicolas da Silva «interprète ces revendications, qui ne sont contradictoires qu’en apparence, comme “plus de commun mais moins d’État”. Critiquer l’État, poursuit-il, ce n'est pas nécessairement vouloir plus de marché. L’État est un problème quand il prétend dire aux professionnels comment ils doivent faire leur travail. C’est une question démocratique, une question de répartition du pouvoir», conclut l’économiste de la santé.