L'erreur de Pierre Bourgault

RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"

Il est toujours facile de faire l'histoire à rebours et de porter des jugements sur les choix stratégiques effectués par des dirigeants politiques. Le but de cette réflexion n'est pas de porter ombrage à la contribution du plus grand tribun de l'histoire du Québec moderne. Je veux plutôt revenir en arrière pour mieux comprendre le cul-de-sac où se retrouve le mouvement souverainiste après 40 ans de lutte et en tirer les leçons.
J'ai l'impression qu'aujourd'hui nous sommes confrontés au même dilemme qu'a dû résoudre le chef du RIN en 1968, et que nous devrons sans doute trouver une réponse différente à celle qu'il a proposée après la création du Parti québécois.
À cette époque, j'étais militant du RIN et j'avais voté contre la résolution soutenue par l'exécutif du RIN, qui proposait la dissolution du parti et l'intégration individuelle dans les rangs du PQ. Il s'agissait de se rallier à une grande coalition regroupant diverses familles idéologiques et qui pourrait faire progresser l'idée de souveraineté dans l'opinion publique grâce à la crédibilité de ses dirigeants et à la nature plus consensuelle de son projet.
Nous sentions confusément dès ce moment que le projet d'indépendance risquait d'être dilué dans des stratégies à court terme.
Mais quelle était la meilleure option? Compter sur la visibilité et les ressources de politiciens professionnels pour faire avancer plus rapidement le projet de pays dans l'opinion publique ou soutenir un parti sans ressources et qui mettrait bien du temps à faire sa place? Les gens pressés de cette époque, ceux qui pensaient prendre un raccourci historique, était ceux qui se ralliaient au Parti québécois et qui acceptaient de diluer leur projet tant sur les plans de l'objectif que de la stratégie.
L'histoire a montré que ce choix a peut-être suscité des espoirs et permis la prise du pouvoir, mais qu'il a échoué quant à sa raison d'être.
Lévesque avait compris
À l'occasion d'une rencontre privée que j'ai eue à Paris avec René Lévesque en 1971, celui-ci, avec une lucidité peut-être prémonitoire, disait que le RIN n'aurait pas dû se saborder parce que, en qualité de chef du PQ, il avait besoin d'un parti indépendantiste pour faire pression sur l'opinion publique, pour faire en quelque sorte le travail de persuasion. La disparition du RIN laissait la gauche de l'échiquier politique vide, ce qui avait pour effet de donner une image trop radicale au Parti québécois, d'autant plus qu'il devait absorber des militants qui étaient beaucoup plus actifs que ne l'étaient les membres des formations politiques traditionnelles.
Le calcul de Lévesque était de confiner les indépendantistes dans les marges du système afin d'avoir les coudées franches pour réaliser une réforme constitutionnelle qui aboutirait aux États associés ou à une nouvelle forme de confédération.
Bourgault croyait quant à lui qu'il était préférable d'être à l'intérieur du PQ pour exercer une influence qui empêcherait ce parti de trop dériver vers une forme d'autonomisme. Ces tensions contradictoires ont tissé depuis les succès et les échecs du PQ, mais elles n'ont pas permis d'atteindre la souveraineté.
Toujours le même dilemme
Nous sommes confrontés aujourd'hui au même dilemme. Les indépendantistes ont depuis 40 ans fait confiance à la logique de l'union de toutes les forces nationalistes au sein d'une grande organisation politique. Ils ont accepté de militer dans un parti qui ne reflétait pas toujours leurs convictions et se sont ralliés aux stratégies des états-majors péquistes qui, par électoralisme, reléguaient la promotion de la souveraineté aux campagnes référendaires. Ils critiquaient l'attentisme des dirigeants du Parti québécois, mais lui étaient fidèles tant que ce parti en faisait son objectif principal.
Cette patience se justifiait en dépit des tergiversations du leadership tant et aussi longtemps que le PQ demeurait une solution de rechange crédible pour empêcher les fédéralistes de contrôler le gouvernement québécois et d'éroder l'identité collective.
Cette patience stratégique se justifie moins aujourd'hui dans un contexte où le Parti québécois est devenu un tiers parti et où ses dirigeants envisagent de prendre à nouveau le beau risque du fédéralisme. On s'apprête encore une fois à relancer le débat sur l'opportunité de mettre la souveraineté en veilleuse.
Lorsqu'on parle de faire le ménage des idées au Parti québécois, de dépoussiérer le programme pour mieux coller à l'opinion publique, cela signifie immanquablement qu'on cherche à provincialiser l'action politique. Étant donné que l'échiquier politique penche plus vers la droite avec l'irruption de l'ADQ qui revient aux positions autonomistes traditionnelles, la direction du PQ veut suivre le courant et effectuer un autre virage idéologique pour se repositionner vers le centre tant sur le plan constitutionnel que sur le plan social.
Si jamais le Parti québécois prenait cette direction, il commettrait une grave erreur de jugement stratégique car cette case est déjà occupée sur l'échiquier politique par l'ADQ. Les Québécois préféreront faire confiance à un parti dont l'idéologie est cohérente plutôt qu'à un parti girouette qui se renie constamment.
Souveraineté d'abord
C'est en revalorisant son option fondamentale et en renonçant à être un bon gouvernement provincial que le Parti québécois pourra résoudre la contradiction logique qui mine sa crédibilité.
Comment prendre au sérieux un parti qui fait de la souveraineté son objectif fondamental, mais qui en minimise l'importance en renonçant à sa promotion, ou encore en remettant en cause sa pertinence au gré des fluctuations de l'opinion publique? Comment convaincre les Québécois de l'urgence de faire la souveraineté lorsqu'on s'ingénie dans le programme du même parti à préconiser une série de mesures qui visent à faire progresser le Québec dans le cadre du fédéralisme canadien?
Il est illogique de prétendre pouvoir être un bon gouvernement et en même temps tenter de justifier la nécessité de la souveraineté. Le PQ est arrivée au bout de sa contradiction et il devra trancher entre le projet national et son programme de gouvernement. En continuant à jouer sur l'ambivalence, il se condamnera à l'impuissance politique.
Les indépendantistes doivent se mobiliser pour faire barrage à ce nouveau tête-à-queue idéologique, ils doivent affirmer leurs convictions souverainistes et insister sur la nécessité de traiter la souveraineté comme un enjeu primordial et non pas comme un vague horizon souhaitable.
Si le Parti québécois choisit de se repositionner dans une logique provincialiste et de reprendre la route des tergiversations, les indépendantistes n'auront d'autre choix que de créer un nouveau Rassemblement pour l'indépendance nationale. Comme le disait le poète Gaston Miron pour nous inciter à la persévérance: «Tant que l'indépendance n'est pas faite, elle reste à faire.» C'est le choix du bon sens pour tout Québécois qui désire se donner un pays.
Denis Monière, Professeur de science politique à l'Université de Montréal


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