La commission Bouchard-Taylor a subi son épreuve du réel cette semaine à Montréal. Pulvérisant les idées reçues, les voix de la santé et de l'école se sont fait entendre, démontrant avec une désarmante simplicité que, loin des grands principes et de la plus pompeuse des théories, des accommodements sont possibles. Cet écho, qui prône avec sagesse l'éthique de la différence, devrait peser lourdement dans la balance des commissaires avant qu'ils ne songent à alourdir la machine.
À des kilomètres d'Hérouxville ou de Saguenay, Gérard Bouchard et Charles Taylor ont eu droit cette semaine à un véritable condensé montréalais d'accommodements consentis sur une base quotidienne par les sphères de l'école et de la santé. Exit la théorie; bienvenue la pratique!
À eux seuls, certains témoignages composent un précieux guide pratique décliné sur les thèmes du respect, de l'ouverture et de la créativité. Des responsables de services de santé et des porte-parole de commissions scolaires ont froidement rectifié certains faits -- à leur bout du spectre, les accommodements sont monnaie courante et ne créent aucune ergoterie, quoiqu'en rapporte le bazar médiatique --, exposant avec sensibilité les clés essentielles à l'entente mutuelle idéale: c'est-à-dire respectueuse des croyances des uns et des principes des autres.
À croire Marc Sougavinski, directeur général du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Montagne, il y a déjà bien assez de cadres théoriques, de lois et de règles pour baliser la diversité culturelle et ses demandes d'ajustements. Basta! Percutant, l'avis qu'il a livré mercredi est d'une simplicité inouïe: en milieu pluriethnique, on a beau composer avec une matière complexe, inutile de sombrer dans les formules toutes faites.
Après le choc de la différence et le jugement de l'autre -- impossible à éviter --, le personnel s'affaire à comprendre l'interlocuteur, puis à tenter un rapprochement, a rappelé avec une candeur sympathique Hélène Greffard, qui travaille au CLSC Parc-Extension, véritable terreau de la pluriethnicité à Montréal.
Forts d'une grande expérience, les porte-parole des commissions scolaires et du réseau de la santé ont semé de précieuses leçons, qu'il faut placer au-dessus des autres tout simplement parce qu'elles puisent dans la réalité: la religion a beau ne pas colorer nos institutions laïques, elle ne se cantonne pas aux consciences et à la vie domestique. Bienheureux qui réussira à l'intégrer sans qu'elle envahisse. L'ajout de règles, de mesures et de balises risque d'encourager les recours à la justice; voie d'échappement, la judiciarisation ne peut être érigée en dogme.
Appuyé sur de solides principes d'éthique de l'altérité, le personnel des réseaux de la santé et de l'école ne se dérobe pas: chacun de ces cas particuliers est un défi de taille. Dans une balance où oscillent convictions personnelles, visées professionnelles, politiques publiques, lois et besoins du client, on rêve d'un certain équilibre.
Qui s'en rappelle? Avant que le port du kirpan par un élève de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys n'ébranle le Québec en 2002 et ne fasse l'objet d'une décision de la Cour suprême, la Commission scolaire de Montréal avait vécu tout en douceur, et bien plus tôt (1998), sa propre affaire du kirpan. Sans micro inquisiteur ni baguettes juridiques, la commission scolaire et les parents avaient trouvé un compromis et accepté le port par l'enfant d'un bijou rappelant le kirpan. Un vrai compromis dont on n'a jamais entendu parler.
Pour tous ces théoriciens du «nous» et du «eux», qui rêvent d'un Québec homogène, intégrateur et guéri de sa crise identitaire, le compte rendu en provenance du monde réel est source d'enseignements. La diversité religieuse dans un cadre laïque est cause d'«inconforts», certes, mais elle constitue matière à enrichissement avant d'être source de conflits.
MM. Bouchard et Taylor se transformeront bientôt en scribes studieux. Avant de soumettre de nouveaux carcans qui baliseront l'intégration de la diversité, les commissaires doivent s'attarder à ces voix venues du «vrai monde». Elles constituent leur propre épreuve du réel.
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machouinard@ledevoir.com
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