L'échec des meneurs

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Élections fédérales du 14 octobre 2008

Lorsque le chef conservateur Stephen Harper a décidé, le 7 septembre dernier, de déclencher des élections précipitées, à peu près personne ne doutait de son retour au pouvoir. On se demandait plutôt si la faiblesse de ses adversaires lui permettrait ou non d'obtenir un mandat majoritaire.
Cette course, qu'on a alors craint de voir tomber dans les attaques personnelles et une guerre d'images, s'est finalement révélée être plus substantielle qu'il n'y paraissait au départ. Un véritable conflit entre deux visions a émergé. Le rôle de l'État, la conciliation de l'économie et de l'environnement, l'importance à accorder à la culture: autant de thèmes qui ont divisé les partis, les conservateurs se retrouvant seuls contre tous.
Les conservateurs, eux, tenaient à imposer le thème du leadership, insistant sur la nécessité, en ces temps de vague incertitude économique, d'avoir un capitaine aguerri à la barre. Ils n'avaient pas prévu que la tempête s'abattrait en pleine campagne. La crise financière américaine qui a ébranlé le reste du monde a non seulement remis à l'ordre du jour la question du rôle du gouvernement dans l'économie, mais elle a changé les contours du débat sur le leadership.
Soudainement, on pouvait mesurer les qualités des chefs à l'aune d'enjeux immédiats et bien réels. Le bilan du premier ministre sortant n'a plus suffi. On voulait des chefs capables de réagir aux imprévus. Soumis à ce test au beau milieu des débats des chefs, Harper a perdu des plumes.
L'impression d'insensibilité envers les inquiétudes des citoyens s'est sédimentée, ce qu'il est venu aggraver quelques jours plus tard en évoquant les occasions de bonnes affaires sur les marchés boursiers. Cette image, plus que les détails des soi-disant plans des autres chefs, s'est transformée en boulet.
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Cette incapacité de Harper de se mettre rapidement au diapason de la population et d'ajuster promptement sa stratégie en conséquence ne date pas d'hier. Doté de la plus grosse et de la plus riche organisation, Harper a toujours été un habile tacticien tant et aussi longtemps qu'aucun grain de sable ne venait enrayer sa machine. Quand le vent tourne trop vite, il peine à trouver le ton et la réponse justes. Ce fut sa faiblesse quand son premier plan vert a été descendu en flammes, quand l'affaire des détenus afghans a éclaté ou encore quand sont survenus les affaires Cadman, Bernier-Couillard et celle des dépenses électorales contestées de son parti. C'est cette faille dans son leadership qui est revenue le hanter durant cette campagne.
Même si Stephen Harper l'emporte ce soir, il restera le grand perdant de cette élection car il était en droit, à la fin d'août, de rêver d'un mandat majoritaire. Au lieu de le porter vers cet objectif, cette campagne a fragilisé son avance.
Son plus grand échec, cependant, restera sa performance au Québec, où il espérait faire des gains et prouver que son parti y était plus qu'un feu de paille. Il a plutôt démontré que, à bien des égards, la réalité québécoise lui échappe encore. Ses décisions et déclarations dans le domaine de la culture, son intention de durcir encore plus la justice pénale pour adolescents, sa réaction à l'incertitude économique ont redonné des ailes au Bloc québécois. Du coup, le chef conservateur a vu ses appuis décliner et certains de ses députés être en danger.
Le terrain semblait pourtant fertile depuis quelques mois. Menacé par l'usure, dépourvu d'échéancier référendaire capable de retenir ses partisans tentés d'aller voir ailleurs, victime de tirs amis, Gilles Duceppe se préparait à une campagne laborieuse. Mais il a eu droit à une cascade de cadeaux qu'il a su exploiter. Le tollé du milieu culturel lui a permis de jouer avec plus d'efficacité la carte de l'identité. La ligne dure à l'égard des jeunes contrevenants a renforcé l'idée d'un fossé entre les valeurs conservatrices et québécoises. Les sorties du premier ministre Jean Charest et de plusieurs de ses ministres -- un véritable cadeau du ciel -- ont donné une nouvelle pertinence à l'argument bloquiste en faveur d'un parti défenseur des intérêts du Québec. Gilles Duceppe aura bien des gens à remercier au lendemain du vote, mais il a le mérite d'avoir su profiter au maximum de la situation, faisant peut-être de lui le principal gagnant de cette campagne.
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Le fossé entre la vision conservatrice et celle des autres partis a trouvé son illustration la plus forte dans le mouvement anti-Harper. Jamais n'avait-on vu autant d'efforts déployés, du moins au Québec, pour mobiliser les électeurs non pas derrière un parti, mais contre un seul d'entre eux. Tous les chefs d'opposition ont joué cette carte, appelant au ralliement des électeurs derrière leur formation respective. Un seul a réussi et c'est Gilles Duceppe. Ailleurs au pays, aucun des autres chefs n'y est parvenu, ce qui est en soi un échec pour le chef libéral, Stéphane Dion, car cela représentait sa seule planche de salut.
À moins de l'emporter ce soir, Stéphane Dion n'aura, avec sa solide fin de campagne, que gagné du temps avant la reprise des remises en question de son leadership. Il a réussi, comme il l'espérait, à faire valoir sa vision différente, à modifier la perception qu'on avait de lui, mais il n'est pas parvenu à pleinement exploiter la faille de son principal adversaire, ni à vraiment éroder l'attrait exercé par le chef néo-démocrate, Jack Layton. À quelques rares exceptions près, le Parti libéral n'a pas réussi tout au long de la campagne à récolter des intentions de vote supérieures au résultat obtenu lors des élections de 2006. Si le PLC ne fait pas mieux ce soir, Stéphane Dion n'aura finalement réussi qu'à sauver les meubles.
Au bout du compte, Stéphane Dion et Stephen Harper auront manqué de temps. Le premier, pour s'imposer, le second, pour réparer ses pots cassés.
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mcornellier@ledevoir.com


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