Lettre n°53: Chronique de l'antirépublique

L’axe Berlin-Paris s’impose par la force contre la volonté des peuples

L'Allemagne vs BCE



par Jean-Pierre Alliot - Les banques et leurs filiales avivent les conflits entre les intérêts nationaux. L’Europe promise de la démocratie et de la paix apparaît comme une union instable qui dévore les nations et contraint leurs habitants à payer tribut aux financiers des pays les plus puissants.
Les deux berceaux de l’Europe, l’Italie et la Grèce, ont été privées de leur droit d’évincer elles-mêmes leurs gouvernements faillis et de les remplacer par des gouvernements indépendants des banques. C’est le conseil européen qui, le 26 octobre dernier, a mis fin à l’indépendance relative dont jouissaient encore, au moins formellement, ces deux nations. Le projet de référendum a été aboli, le Premier ministre grec et le président du Conseil italien ont été déposés puis remplacés par deux satrapes.
Comparaison n’est pas raison, certes, mais l’actualité présente parfois de telles analogies avec l’Histoire, qu’elle provoque la réflexion et permet parfois de discerner les tendances profonde des forces en présence et de caractériser, de voir clairement une réalité masquée par les images floues des déclarations officielles prononcées dans des conférences de presse théâtralisées.
Ainsi, ces Monti et Papademos présentent-ils bien des traits communs avec les gouverneurs provinciaux de l’ancien empire perse, les satrapes réputés pour leur cruauté. Mais, progrès historique considérable, l’empire dont le siège flotte quelque part entre Berlin et Paris, a choisi des nationaux pour exécuter leurs basses œuvres de satrapes.
Mais les liens de ces deux-là avec les peuples dont ils sont issus sont tellement brisés qu’ils n’ont pu être choisis que pour faire couleur locale et faire croire au monde que le tribut imposé par les banquiers d’Europe et d’ailleurs sera prélevé par des compatriotes, des Italiens et des Grecs.
Après l’Irlande, les marchés ont donc eu raison de la Grèce et de l’Italie. Les marchés ? Dans chaque pays, quelques dizaines de milliers de propriétaires de grandes fortunes et leurs gestionnaires dans les banques, qui se font concurrence et s’affrontent là où s’achètent et se vendent les biens : les bourses de valeurs. Leurs initiatives, qui sont en général des réactions à la crainte de perdre une part de ce qu’ils possèdent, les unissent dans des réflexes moutonniers et participent à ce qui les constitue en couche dominante des classes possédantes.
Couche dominante ? Dictatoriale, pratiquement. L’Italie « a besoin de réformes, pas d'élections » anticipées si elle souhaite rassurer les marchés, a estimé le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. C’était le 11 novembre dernier… Sur son blog, Arnaud Leparmentier, journaliste au Monde, révèle que le Président de la République française, M. Nicolas Sarkozy, le 18 octobre, a fait de la guerre et de ses horreurs un argument : « Le choix qu’a fait la France de l’Europe, sur fond de réconciliation franco-allemande, est un choix que nul ne doit remettre en cause. La France seule ne résistera pas. Notre continent, je voudrais dire continent européen, est le continent qui a connu les affrontements guerriers les plus barbares du monde. Ce n’était pas au Moyen Âge, c’était au XXe siècle, à deux reprises ». Pour que tout le monde comprenne bien les enjeux et le chantage, il a ajouté : « Laisser détruire l’euro c’est prendre le risque de détruire l’Europe. Ceux qui détruiront l’euro prendront la responsabilité de résurgence de conflits sur notre continent ».
Naguère, certains politiciens affirmaient : « si vous ne votez pas pour moi, vous aurez le fascisme ». Les enchères ont monté. La guerre est dans les esprits. La guerre économique fait rage, déjà. Quant à la démocratie… Qui, à Bruxelles, s’offusque aujourd’hui qu’un parti récemment encore qualifié de populiste voire d’extrême droite ait fait son entrée au gouvernement grec ? L’important est qu’il n’y ait pas eu de référendum et pas d’élections. Faut-il rappeler que la Cassandre de la tragédie grecque n’annonçait pas que des catastrophes qui n’arrivaient jamais ? Qu’elle eut raison quand elle annonça la chute de Troie ?
Et le cheval de Troie sert toujours. Le nouveau Premier ministre grec, M. Lucas Papademos, en endosse la parure avec une perfection classique. Ancien vice-président de la Banque centrale européenne (BCE), il peut prétendre au rôle d’un envahisseur caché dans la machinerie de la finance internationale. Son maître, M. Trichet, en quittant ses fonctions à la tête de la BCE, lui a en quelque sorte confié une mission, dans une inteview-testament au Monde (31 octobre 2011): « Demain, il faudrait que l’on puisse imposer à un pays les décisions indispensables après plusieurs refus d’appliquer les recommandations formulées par la gouvernance européenne ».
Deuxième cheval de Troie, M. Mario Monti. Depuis 2005, il est conseiller international de la banque Goldman Sachs, et, dans un article de février 2000 intitulé « Super Mario », The Economist le présente comme « l'un des plus puissants bureaucrates européens ». En 1994, c’est le premier gouvernement de M. Silvio Berlusconi qui le présente pour un poste de commissaire européen. En 1999, ce sera le gouvernement de gauche de M. Massimo D'Alema. Il reçoit alors le portefeuille de la Concurrence. Libre. Et non faussée par le jeu des partis…
En février 2005, un peu avant le référendum en France, il donne au Figaro un aperçu de ses conceptions démocratiques : « il faut trouver des éléments plus coercitifs à l'image de ce qui a été réalisé pour le marché unique, le pacte de stabilité et le traité de Maastricht ». Il préconise, déjà, de manier « la carotte et le bâton » et rêve d’un programme impérial : « aucun ministre européen ne voudrait rentrer chez lui après s'être fait tancer par Bruxelles ».
Bruxelles ? Aujourd’hui, aucune des institutions imaginées par les bureaucrates de l’Union Européenne n’a de substance réelle. Les décisions opérationnelles sont prises en dehors même du Conseil Européen, par les deux têtes actuelles de l’Union, Mme Merkel et M. Sarkozy. Mais un axe Paris-Berlin ne peut exister que provisoirement. Chacun des deux États organise le pillage des plus faibles, en espérant échapper au désastre, et se prépare pour les futurs conflits d’intérêt.
Le divorce est en germe dans l’évolution du « spread ». Le 15 novembre, on apprenait que l’écart entre les taux des obligations à dix ans de l'Allemagne et de la France, le fameux « spread », avait atteint un nouveau record depuis la création de la zone euro. La France va payer beaucoup plus d’intérêts à ses créanciers que son allié d’Outre-Rhin. L’une sera plus pillée que l’autre. Le rendement français à dix ans avait progressé à 3,5%. La dette allemande, elle, faisait figure de valeur refuge car le taux pays du baissait à 1,775%. Ce record du « spread » franco-allemand s’est produit alors que s’accentuait la défiance des marchés envers la zone euro. Les investisseurs, disons les usuriers, doutent de la capacité de plusieurs pays à faire face à leur dette, notamment l’Espagne et l’Italie. C’est au moment ou est monté l’écart des taux entre l’Allemagne et la Grèce, puis l’Italie, que les gouvernements d’Athènes et de Rome sont tombés.


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