Ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali vient de résumer le sentiment que partagent bien des politiciens européens concernant Berlin en avançant: «Aujourd'hui, c'est de nouveau au tour de l'Allemagne de tenir dans sa main l'arme du suicide collectif du continent. Si Angela Merkel refuse encore et toujours de modifier le mandat de la Banque centrale européenne (BCE), la catastrophe aura lieu», de conclure l'auteur de Tous ruinés dans dix ans?
La chronologie des faits récents et inhérents à la tempête monétaire qui souffle sur le continent européen est si abracadabrante que c'est à se demander si ses dirigeants ne sont pas en train de tisser le lit de la déraison. Reprenons cette chronologie. À peine parachutés à la tête de l'Espagne et de l'Italie, les nouveaux dirigeants de ces pays promettent d'injecter la dose d'austérité prescrite, c'est à retenir, à l'extérieur proche, soit Berlin et Paris, et à l'extérieur lointain, soit le FMI. Au surlendemain de ces engagements qui annoncent des troubles sociaux, que constate-t-on? Que le taux d'intérêt imposé a augmenté. Dans le cas de l'Italie, il a même dépassé les 7 % et donc pénétré dans le territoire de tous les dangers.
Presque simultanément, on apprend que Berlin a imité peu ou prou ce qu'Athènes avait effectué il y a quelques années, soit «oublier» de comptabiliser certaines dépenses. Résultat, on se rend compte que le déficit de la «vertueuse» Allemagne enregistré lors de l'exercice 2010 n'était pas de 3 %, mais bien de 5,2 %. Tout logiquement, la main invisible digère ce vice quantifié et inflige un revers de fortune à Merkel en acquérant 60 % seulement des obligations émises au milieu de la semaine. Tout aussi logiquement, ce coup de poing financier aiguise à la nanoseconde les inquiétudes des Européens. Que l'Allemagne luthérienne perde son avantage sur le front des taux d'intérêt, que l'Allemagne besogneuse se voie imposer un loyer laissant présager des lendemains difficiles a eu ici et là l'effet que l'on prête au knock-out.
Cette avalanche de dépressions financières avec les conséquences politiques cahoteuses qui lui sont prévisibles a noyé davantage la maison Europe. On insiste: le feu de paille se répand à la vitesse grand V. Que fait Merkel? Elle refuse systématiquement la création d'euro-obligations. À la moindre évocation d'une transformation de la BCE en banque de dernier recours, elle se pince le nez. En d'autres mots, elle maintient fanatiquement la stratégie de la corde raide qu'elle a confectionnée tout en feignant d'ignorer que l'Allemagne, cela ne se dit pas assez, est la nation à qui l'euro a le plus profité. Point!
Lors du énième sommet tenu dans l'urgence à Strasbourg avec Sarkozy et l'Italien Mario Monti, elle a écarté toute modification du mandat de la BCE pour mieux défendre ce qui est devenu sa marotte: amender les traités. On voudrait illustrer le retour de ces égoïsmes nationaux qui ont tant saigné l'Europe qu'on ne s'y prendrait pas autrement. De quoi s'agit-il? L'Allemagne étant le pays le plus peuplé, la proposition avancée par Merkel, si elle était avalisée évidemment, se traduirait par une hausse du poids que détiennent les députés allemands au Parlement européen et donc du pouvoir sur la Commission, sur Bruxelles.
La posture de Merkel a eu pour contrecoup la réaction suivante du gouvernement britannique: il a ordonné aux banques anglaises de prendre des mesures calquées sur la fin de la monnaie unique. On sait également que la Banque des règlements internationaux a fait de l'implosion de l'euro son hypothèse numéro un. Quoi d'autre? Au lendemain de l'échec de Strasbourg, la Belgique a été décotée et les bons du Trésor hongrois ont été envoyés dans la classe dite des obligations de pacotille.
Le mot de la fin appartient à Jean Pisani-Ferry, professeur à l'Université Paris-Dauphine: «C'est quitte ou double. L'heure n'est plus aux bricolages. Soit on renforce vraiment l'intégration économique et politique de la zone euro, soit on ira de crise en crise, avec au bout le risque d'éclatement. La désintégration de la zone euro entraînerait un cortège de faillites et une chute profonde de l'activité, elle aurait des répercussions politiques très dangereuses. Il faut de l'audace.» Et du courage pour mieux mettre entre parenthèses les démons nationalistes.
La crise de l'euro
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