L'art de la suffocation

La loi « matraque » au nom d’une noyade néolibérale

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir

« Du possible, sinon j’étouffe... »
_ Gilles Deleuze
Depuis les horreurs de Victoriaville, les tensions n’ont cessé de s’exacerber. Alors que des manifestants ont été blessés par divers projectiles – y compris les balles de caoutchouc des policiers –, leur conférant une allure de morts-vivants tout droit sortis d’un film d’épouvante, les autorités les ont étiquetés de « terroristes » le jour où des bombes fumigènes ont déclenché la panique des usagers de la STM. Pourtant, ce matin-là, le sang n’a pas coulé. La fumée a incommodé l’atmosphère pendant un temps, et une poignée de citoyens est arrivée en retard au travail, sans plus. Qu’on affuble les manifestants des masques du macchabée et du terroriste importe peu, considérant qu’en dessous, ils sont des individus remplis de rêves, de projets et d’espoirs. Ils sont en quête d’une société libre, neuve – à leur image. Or, il s’avère que cette image ne concorde aucunement avec les valeurs néolibérales du gouvernement au pouvoir, qui s’intéresse davantage à l’économie qu’à la population québécoise.
L’horreur s’est donc poursuivie : peu de temps après l’annonce du Premier ministre Charest selon laquelle il y aurait du « changement », Michelle Courchesne a pris la place de Line Beauchamp au titre de ministre de l’Éducation. Cette dernière était visiblement épuisée, compte tenu de la position difficile dans laquelle elle était maintenue depuis près de trois mois. Somme toute, elle aura gardé son masque de politicienne souriante jusqu’à la fin, même s’il était sur le point de craquer tant la pression paraissait insoutenable. Quant à la ministre Courchesne, elle a discuté avec les étudiants dans le cadre d’une rencontre par trop malhonnête ; car les libéraux – improvisateurs par excellence – manigançaient à l’insu de la population le coup bas qui allait surgir le lendemain. En effet, la ministre, sur un ton quelque peu méprisant, a affirmé devant les caméras que les étudiants s’étaient « raffermis » lors des négociations. Ainsi, par un jeu d’acteur douteux mêlé à une tournure verbale plus que contestable, ces propos se sont avérés suffisants pour qu’une loi spéciale soit promulguée en fin de journée. Ce n’est donc pas sans frémissements d’horreur que les étudiants ont appris, le soir du 16 mai, le sort qui planait hypocritement sur eux : sous la responsabilité des ministres Courchesne et Dutil, leur session serait suspendue pour les deux mois à venir ! Plus encore : la ministre de l’Éducation s’arrogerait le droit de suspendre l’application de n’importe quelle loi en vigueur au Québec ; sans compter que les salariés ne pourraient arrêter, ralentir, diminuer ou altérer leurs activités. Doit-on entendre par là qu’il leur sera interdit de tomber malades et qu’ils devront tout faire pour surpasser la fatigue qui les attende inexorablement ?...
Sans surprise, le soir même de cette annonce brutale, une manifestation nocturne a sévi dans les rues de Montréal contre cette loi « 78 ». La population a bien cerné la tentative de dissolution du mouvement étudiant de la part des libéraux, d’autant que les manifestants n’ont pas hésité à scander de nouveaux slogans en désaccord avec la répression sournoise des ministres. Il s’en fallut peu pour que l’escouade antiémeute les encerclent et les obligent à fuir en trombe. Ainsi, force est de constater que le monstre néolibéral, errant dans les profondeurs d’une mer idéologique écrasante, s’acharne sur les étudiants afin de les noyer avec eux. En guise de réponse, ces derniers portent désormais, auprès du rouge, un carré noir symbolisant le deuil de la démocratie et de la liberté d’expression.
De fait, à ceux qui oseraient désobéir, de lourdes amendes leur seront infligées : de 1000$ à 5000$ par manifestant ; de 7000$ à 35 000$ pour un porte-parole ; de 25 000 $ à 125 000 $ pour les organisations. Et en cas de récidive, les montants seront multipliés par deux ! Est-ce surprenant si l’ardeur des manifestants redouble aussi ? Doit-on s’étonner si le conflit désigne maintenant une nouvelle cible ? Car depuis lors, le thème de la hausse fut relégué en arrière-plan, la loi « matraque » étant devenue la nouvelle visée des manifestants en colère. Mais – comble de l’ironie ! – cette loi est présentée par les ministres comme un moyen de préserver la paix, l’ordre et la sécurité publique, alors qu’en réalité, elle ne fait qu’étouffer les manifestants déjà épuisés à force de lutte et d’acharnement. S’il est vrai qu’un individu dont le souffle a été coupé ne gigote plus tant, est-ce vraiment d’une paix répressive dont le Québec a besoin ? Une paix créée de toute pièce sur un fond de noyade et de suffocation ? Par ailleurs, l’inhumanité de la loi 78 aurait-elle occasionné la démission de Line Beauchamp, qui en avait peut-être déjà trop sur la conscience, notamment avec ses présumés lien avec un membre de la mafia ?
Une chose demeure certaine : lorsqu’un gouvernement jette son dévolu sur la matraque au lieu des négociations – sur la force bestiale au lieu de la parole humaine –, il ne faut guère se surprendre si les photographes se font piétiner par la cavalerie, si les clients des bars se jettent en criant par-dessus les tables et si les « terroristes » mettent le feu en plein cœur de la ville tout en reversant des cônes et des clôtures ici et là. Malgré tout, ce sont ces même « terroristes » qui viennent en aide aux personnes âgés lorsqu’elles sont aspergées de poivre de Cayenne – tandis que les policiers les traitent de « vieilles peaux » sans faire quoi que ce soit, témoignages à l’appui. Il va sans dire que le masque de la honte est porté par la milice urbaine, qui est davantage à craindre que les manifestants et autres revendicateurs luttant pour un avenir florissant ; car ces derniers sont déterminés plus que jamais à éviter la noyade, n’ayant que les pieds dans la mer néolibérale. Leur tête est bien au dessus, là où les possibles resplendissent de rêve et de projets. Ainsi, il n’est guère surprenant que le thème de la désobéissance civile soit devenu si populaire chez les citoyens en faveur d’un printemps québécois qui germe de plus en plus au fil des jours.
David Hébert, étudiant à la maîtrise en philosophie / Université de Montréal


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